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C'est à l'époque des Croisades que l'on nous signale, d'une manière plus précise, les premiers vêtements réellement confectionnés en coton, et à des prix tellement exorbitants, qu'ils étaient considérés comme des objets précieux et du plus grand luxe.

L'Orient en eut d'abord le monopole, puis Venise commença à tisser des étoffes avec des fils importés des Indes. En France, un mémoire de la fin du XIIIe siècle (1) nous signale l'importation de quatre livres de coton pour rembourrer le matelas du roi,et cela pour le prix de quatre sols six deniers; c'est-à-dire en monnaie d'aujourd'hui 3 fr. 85. << Sous Louis VI, nous dit Flammermont (2), la futaine et le molequin, étoffes de fil et de coton, étaient vulgaires en France », mais en réalité la majorité du coton importé dans notre pays servait à faire des mèches de chandelles, des gants et des bonnets. A Lille, l'on fabriquait sous le nom de bourras une sorte d'étoffe légère faite de laine et de coton.

Aux XIV, XVe et XVIe siècles, des importations considérables de coton brut et de coton filé nous sont révélées par les mémoires du temps: il en venait du Levant, de Smyrne et d'Alep par exemple; il en vint surtout d'Amérique, quand la France y eut étendu son domaine. colonial.

Le XVIIe siècle peut être considéré comme celui où s'implanta véritablement chez nous l'industrie du coton. M. Henri Lecomte (3), dans son ouvrage sur le coton,

(1) V. Levasseur, Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789. Paris, Arthur Rousseau, 1900, in-8°, t. II, p. 421, note.

(2) Jules Flammermont, Histoire de l'industrie à Lille, 51, rue Nationale, 1897, p. 20.

(3) H. Lecomte, Le coton, op. cit., p. 275.

parle d'une ordonnance de 1664 qui fixa les droits d'entrée à trois livres le cent pesant, pour le coton en laine ou sur graine, et à dix livres pour les cotons filés. « Un arrêt du 11 décembre 1691 éleva les droits à vingt francs sur les cotons filés et diminua de moitié les droits qui frappaient la matière première; car on nourrissait l'espoir d'établir à Lyon la filature de coton; cet espoir n'ayant pu se réaliser, un arrêt du 11 septembre 1700 remit les droits sur le même pied qu'auparavant et, un demisiècle après, on les élevait encore. Malgré cela Marseille recevait du coton des Échelles du Levant et un peu des Antilles.» C'est à cette époque que fut également connue l'industrie du bas de coton; un arrêt du Conseil du 21 janvier 1684 autorisa la fabrication au métier de la bonneterie en coton, à la condition que l'on ne fit que des articles fins. Mais toute cette époque est caractérisée par un ensemble de mesures, qui montrent combien on avait de peine à laisser s'implanter sur le sol français une industrie, que l'on croyait devoir enlever des bras à l'agriculture, au profit des seuls riches capables de s'offrir ces produits, considérés comme des objets de luxe. Ainsi les toiles de coton peintes venues de l'Orient devinrent à la mode sous le ministère de Colbert ; celui-ci essaya d'en prohiber l'importation, il n'y réussit pas. Le gouvernement oscilla successivement de la liberté à la proscription; de 1686 à 1692 des arrêts contradictoires furent pris pour protéger l'industrie nationale des serges. Un siècle plus tard, la fabrication des toiles de coton peintes était une des richesses de l'industrie française.

Le XVIII° siècle aura eu, en effet, dans l'histoire de notre industrie nationale, l'honneur et la gloire de voir se dé

velopper les manufactures, où l'on travaillait le coton, et les gouvernements, qui se sont succédé pendant son cours, ont eu le mérite d'encourager par une réglementation sage et entendue, voire même par des subventions, les fondateurs de nos premiers établissements cotonniers. C'est en 1700 que fut essayé pour la première fois à Rouen, l'emploi au tissage, du coton brut qui y était importé d'Amérique. On ne dit pas si l'essai a réussi ; nous sommes portés à le croire, à en juger par le nombre de toiles de coton qui figurent dans les statistiques d'exportation à la fin du XVIIIe siècle. Les inventions se succèdent à cette époque: c'est un Suisse, nommé Gronus, qui, en 1756, obtient de créer une manufacture royale de cotonnades au Puy, avec successivement treize, quarante et soixante-quatre métiers. C'est encore, en 1759, Oberkampf, qui fonde à Jouy (près Versailles) une fabrique de toiles peintes connues sous le nom d'indiennes; M.Levasseur(1), dans son Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France, nous raconte « qu'une robe de l'inde, qu'une dame de la Cour avait gâtée et qu'Oberkampf reproduisit exactement, le mit en vogue, et Jouy commença à devenir une manufacture où l'on fila, tissa et imprima le coton ». Les encouragements venaient de haut. Les arrêts du Conseil des 7 novembre 1762, 3 février et 15 octobre 1765, et 28 février 1766 proclamèrent la liberté du tissage ; malgré l'opposition des villes, comme Lille et Amiens, l'industrie put s'établir librement dans les campagnes et tous les habitants du royaume purent «< acheter des matières textiles et des ustensiles, filer toute espèce de matières et fabriquer toutes sortes d'étoffes ». La noblesse ne dédai

(1) Levasseur, Histoire des classes ouvrières avant 1789, op. cit., II, p. 526.

gnait point de protéger l'industrie: la duchesse de Choiseul-Gouffier crée une filature de coton de Heilly, le curé d'Auxy-le-Château n'épargne ni soins ni dépenses pour introduire et pour faire goûter dans son village la filature de coton. Le roi accorde à un sieur Milne pour avoir créé une machine nouvelle pour filer le coton 60.000 livres de gratification, 6.000 de pension annuelle et lui en promet 1.200 pour installer à Neuville-sur-Saône une filature avec des métiers continus.

Nous ne pouvons citer tous les établissements qui se fondèrent sous ce régime de liberté, liberté apparente peut-être, quand on la compare à celle qui suivra la Révolution, mais qui n'en est que plus étonnante à une époque de réglementation étroite et partiale. Sans suivre pas à pas le progrès de l'industrie cotonnière naissante, nous pouvons dire qu'elle s'est étendue à toute la France et qu'elle tenait occupé un nombre, considérable pour l'époque, d'ouvriers pour transformer en fils et en tissus les onze millions de livres de coton, que la France importait en 1786, et les trente-trois millions qui figurent au tableau des importations en 1789. Il y avait des manufactures de velours de coton à Rouen, à Dieppe, à Bolbec, à Yvetot, à Louviers, à Evreux, à Vernon ; il y en avait en Picardie, à Amiens notamment; les indiennes étaient fabriquées à Lille, à St-Denys, à Jouy, en Lorrain e, en Bourgogne ; la filatureflorissait à Rouen, à Coutances, Honfleur, etc... Enfin il y avait près de quinze mille métiers de bonneterie de coton.

CHAPITRE II

L'INDUSTRIE DU COTON DANS LE DÉPARTEMENT DU NORD JUSQU'A L'INVENTION DE LA FILATURE MÉCANIque.

Nous avons vu comment la Flandre, après la Normandie, avait été une des premières à comprendre ce que l'on pouvait tirer du coton; de nombreux artisans filaient à l'aide du rouet et du fuseau et l'on tissait à Lille même des toiles destinées à imiter celles que l'on connaissait sous le nom d'indiennes en considération de leur origine. Mais les renseignements précis manquent sur cette industrie, et ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle qu'il nous est permis de nous faire une idée à peu près complète de ses progrès dans le nord de la France.

Flammermont dit (1) « qu'en 1700 il y avait trois ou quatre marchands de coton à Lille; mais de gros droits d'entrée ayant été imposés sur les mouchoirs de coton et les basins de Bruges, des ouvriers de Lille et de la Chatellenie imitèrent ces étoffes. En 1736 il y avait plus de 200 familles dans la ville qui «ne faisaient autre profit que de faire filer du coton, qu'elles vendaient aux ouvriers ». Le nombre des fileuses n'était pas même suffisant et les fabricants en étaient réduits, pour en trouver, à se faire concurrence en augmentant les salaires. C'est

(1) Ouvrage cité, p. 20.

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