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LIVRE V

LES RAPPORTS ENTRE PATRONS ET OUVRIERS

CHAPITRE PREMIER

INSTITUTIONS

PATRONALES.

Nous avons étudié, en son temps, le taux des salaires dans la filature de coton; ce n'est pas là la seule ressource de l'ouvrier. La plupart des industriels du Nord ont créé et organisé des institutions sociales destinées, soit à parfaire le salaire insuffisant, soit à secourir les malades et les blessés, soit enfin à leur procurer les éléments d'une existence plus facile et plus en rapport avec leurs besoins journaliers.

Avant d'examiner ce qui se fait aujourd'hui, dans ce but, commençons par voir ce qui a été fait dans le cours du XIXe siècle. Il est intéressant de montrer que ce n'est pas d'aujourd'hui que les patrons se préoccupent du sort de leurs ouvriers, et que les conditions d'existence de leurs collaborateurs salariés ont toujours élé l'un de leurs soucis les plus sacrés.

Le Règlement d'atelier élaboré, en 1849, par les fila

teurs de coton de Lille et de ses environs, se complétait par l'organisation de caisses de secours et de retraites, alimentées à la fois par les amendes disciplinaires, dont nous avons parlé,et par des retenues faites chaque samedi sur le salaire des ouvriers.

La caisse de secours était destinée à procurer le soulagement des ouvriers malades et blessés, et ne pouvait <«< dans aucun cas recevoir d'autre destination ».

Elle était administrée par un conseil composé de 4 membres, savoir:

1o Le chef de la manufacture, président de droit; 2. Le doyen des ouvriers fileurs, membre de droit; 3. Deux membres élus, chaque année, le 20 mai, par les ouvriers-hommes, les femmes et les rattacheurs âgés de plus de 16 ans ; « ces deux membres devant être pris, l'un parmi les fileurs, le second parmi les autres ouvriers de la fabrique ».

Toutes les décisions du conseil devaient être prises à la majorité le président avait, en cas de partage, voix prépondérante. L'emploi des fonds pouvait être vérifié par les ouvriers, sur la demande faite par six ouvriers, hommes.

Les ouvriers étaient divisés en trois classes:

1re Classe: les hommes;

2e Classe: les femmes et les rattacheurs âgés de 16 ans. 3 Classe: les mineurs de 16 ans.

Les ressources de la caisse de secours se composaient: 1o Des amendes disciplinaires;

2o Des retenues infligées pour mauvais travail; 3o Des cotisations versées le samedi ;

4o Des intérêts des fonds placés.

Les cotisations exigibles obligatoirement de chaque ouvrier étaient fixées de la manière suivante :

Pour la 1re classe: 0 fr. 25

par semaine.

Pour la 2o

Pour la 3°

0 fr. 15

0 fr. 10

Le fonds de réserve se composait des cotisations, amendes et retenues perçues pendant trois mois.

Tout ouvrier renvoyé par suite de manque complet de travail avait droit de réclamer sa part de la caisse, s'il n'avait pas << toutefois reçu dans l'année, en secours, une somme supérieure à la moitié de ses versements ». Les secours alloués se composaient :

1o Des soins du médecin de la filature;
2o Des sommes suivantes payées en argent :
Pour la 1re classe : 5 francs par semaine.

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Certaines mesures étaient prises pour prévenir les abus, et diminuer les fraudes :

<< Tout ouvrier qui reçoit des secours de la caisse ne peut se livrer à aucun genre de travail, ni à aucun débit de marchandises, à peine par lui de perdre son droit à ces secours. Il perd également ce droit, s'il a été vu au cabaret, ou s'il s'est enivré, querellé ou battu. »

Enfin, «si, dans l'opinion du médecin, la guérison se faisait trop attendre, l'ouvrier assisté de la caisse, pouvait ètre forcé par une décision du conseil d'administration à se faire admettre à l'hôpital, à peine par lui de perdre ses droits à l'assistance de la caisse. Pendant ce temps, la famille du malade recevait à sa place le secours en argent, s'il ne logeait pas habituellement en garni ».

Le reliquat de la caisse non distribué était partagé

entre tous les ouvriers de la fabrique, déduction faite du prélèvement pour les fonds de réserve. Ce partage se faisait à la fête du « Broquelet », au prorata des cotisation s versées. Le calcul s'opérait comme suit :

Un an de cotisation donnait droit à une part entière ; Neuf mois aux trois quarts;

Six mois à la moitié ;

Trois mois au quart.

Les fonds pouvaient, au lieu d'être partagés, servir à constituer une caisse de retraite, instituée « pour procurer des moyens d'existence aux ouvriers vieux et infirmes ».

A l'heure actuelle, les caisses de secours sont fréquentes dans les filatures de coton du département du Nord. Nous ne pouvons les citer toutes. Nous nous bornerons à décrire quelques-unes des institutions patronales les plus importantes, installées et organisées dans l'industrie et dans la région qui nous occupent.

Parmi les plus grandes filatures du Nord, celles de MM. Thiriez père et fils sont des plus intéressantes à connaître, tant par l'importance des usines que par le nombre des institutions que ces Messieurs ont créées en faveur de leurs ouvriers.

Situées à Lille et à Loos, elles occupent près de 2.000 ouvriers au travail de 150.000 broches à filer et de 100.000 broches à retordre. Leur chiffre d'affaires atteint dix millions de francs.

Nous ferons toucher du doigt la merveilleuse installation de ces usines, quand nous aurons dit qu'elles comptent des ouvriers de 60 à 70 ans (22 en 1890), de 50 à 60 (56 à la même époque) et qu'il n'est pas rare d'y rencontrer des ouvriers ayant de 40 à 45 ans de service. C'est

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