Images de page
PDF
ePub

retînt pour l'échange des officiers généraux pris aux Piémontais. Ja communiquai mes craintes à Masséna, qui était d'autant moins tran. quille qu'il est du comté de Nice, quoique ayant toujours servi en France.

« Nous en fûmes quittes pour la peur. Nous dinâmes avec trois généraux, quatre colonels. Rien ne fut plus gai. »

Nous ne nous attacnerons pas à suivre Joubert dans les diverses actions qui marquent les temps glorieux de cette multiple campagne. Il montre partout intrépidité et intelligence: nous irons là où il prouve sa supériorité. Il est à l'avant-garde de Masséna, et de bonne heure il se trouve placé entre le lac de Garde et l'Adige, à la forte position de Corona, au-dessus de Rivoli, regardant le Tyrol italien et faisant face aux troupes impériales qui tendent sans cesse, à chaque recrue con sidérable, à déboucher et à forcer de ce côté. Tantôt il a l'avantage, et il pousse en avant jusqu'à l'entrée du Tyrol; tantôt il est repoussé et obligé lui-même à faire retraite sur Rivoli et jusqu'en arrière de Rivoli. Le brave La Noue, cet excellent homme de guerre du seizième siècle, a soutenu dans ses Paradoxes militaires << qu'il est profitable à un chef de guerre d'avoir reçu une route, » c'est-à-dire d'avoir, une fois dans sa vie, essuyé une déroute ou du moins un échec qui lui est une leçon; Joubert essuya une première défaite à Corona, et cela dut lui servir : il paraît bien, d'ailleurs, qu'il avait reconnu tout d'abord, et mieux que Masséna son chef, l'importance de ce poste de Corona, qui est la clef, le point stratégique des opérations dans cette contrée du Montebaldo:

« Pour ce qui me regarde, dit-il, je n'osais, après ma défaite de Corona, me présenter à Bonaparte; mais tous les volontaires avaient parlé de ma défense. Il me prévint lui-même et me dit que j'avais fait mon devoir. »

Mandé la veille de la bataille de Castiglione, il arrive à temps pour y prendre sa bonne part:

« J'arrivai à l'heure indiquée (le 4 août à six heures du soir): Voilà Joubert, dit un des aides de camp du général en chef, c'est un bon augure pour la journée de demain. «Il faut encore que tu donnes « uu coup de collier, me dit Bonaparte, et nous nous reposerons ensuite. » Je l'ai vivement donné ce coup de collier... >>

On sourit involontairement: on songe à cette longue série de coups de collier, depuis Montenotte, depuis Castiglione jusqu'à Moscou, jusqu'à Montmirail. Encore un, et ce sera le dernier... Illusion et mobile des héros !

Joubert n'est pas nommé dans tous les bulletins et Rapports où il devrait l'être. Son père s'en plaint: il s'excuse; Masséna se tait assez volontiers sur Joubert dans quelques-uns de ses bulletins :

Au reste, si vous me demandiez où j'étais, je vous répondrais que je taisais l'avant-garde de Masséna le 2, le 3 (août, combat de Lonato), et qu'à la bataille du 5 (Castiglione), je faisais celle du général Augereau, attaquant le centre de l'ennemi. Les généraux divisionnaires ont encore tout eu pour eux: Sic vos non vobis fertis aratra boves. »

Joubert est un militaire qui a fait ses études; il sait le latin.

Il y a un moment de cette campagne où Joubert voit tout en noir et ne présage que malheurs. Sans doute, il est un peu blessé de l'oubli qu'on a fait de sa brigade dans le Rapport sur le combat de Lonato; mais, indépendamment de cela, il obéit à sa disposition philosophique et assez prudente dès qu'il n'est pas au feu. Loin d'être enivré du succès, il ne voit que les difficultés sur gissantes, et il se méfie de la Fortune « qui aime, dit-il, à changer de parti. » C'est d'un titre tout pareil (« Tantôt pour l'un, tantôt pour l'autre ») et d'un seul mot en sa belle langue (1), qu'Homère, ce premier chantre des combats, s'est plu à désigner Mars et la Victoire.

Joubert paraît aussi avoir essuyé quelque froideur de la part du général en chef à cette date (août-septem

(1) ̓Αλλοπρόσαλλος.

bre 1796). Il écrivait des lettres dans son pays, et un de ses correspondants en avait fait imprimer une dans un journal. Cela était revenu à Bonaparte, qui lui en avait parlé.

Cependant le moment approchait où il allait se dégager du second rang et être appelé à se produire en première ligne. Il s'usait beaucoup de généraux (1) dans cette guerre sans cesse renaissante et où les victoires elles-mêmes, en récidivant, épuisaient une armée que le Directoire ne renforçait pas. « Les blessés sont « l'élite de l'armée, écrivait Bonaparte au Directoire << (13 novembre 1796): tous nos officiers supérieurs, << tous nos généraux d'élite sont hors de combat; tout «< ce qui m'arrive est si inepte, et n'a pas la confiance

du soldat! L'armée d'Italie, réduite à une poignée « de monde, est épuisée. Les héros de Lodi, de Mille<< simo, de Castiglione et de Bassano, sont morts pour << leur patrie ou sont à l'hôpital; il ne reste plus aux << Corps que leur réputation et leur orgueil. Joubert, << Lannes, Lanusse, Victor, Murat, Chabot, Dupuy, << Rampon, Pigeon, Chabran, Saint-Hilaire sont bles«sés, ainsi que le général Ménard. Nous sommes << abandonnés au fond de l'Italie... » Joubert, en tête de cette élite dont chaque nom est celui d'un héros, quel plus bel éloge! Le général en chef comptait désormais sur lui.

Commandant à Legnago en octobre, il avait reçu ordre du général en chef de lui faire un rapport sur la défense de Corona en été et en hiver, et sur toute la ligne de l'Adige au lac de Garde. Cette étude, cette connaissance approfondie de l'un des grands chemins du Tyrol en Italie, était devenue comme la spécialit

(1) Voir la lettre de Napoléon au Directoire, du 14 août 1796, dans laquelle il donne son opinion sur chacun des divisionnaires.

stratégique de Joubert, et le point capital sur lequel le général en chef allait se confier à lui pour un grand commandement : « Je ne peux confier une divison, disait Bonaparte, sans avoir éprouvé, par deux ou trois affaires, le général qui doit la commander. » Joubert avait eu ses trois affaires, et au delà; il était éprouvé, il était mûr. La grande carrière pour lui commence.

Le général Vaubois s'est laissé battre. Bon officier dans l'ordinaire, s'acquittant bien des emplois réguliers, il s'est trouvé au-dessous du poste de guerre qui lui a été confié dans le Tyrol, et sa retraite a dégénéré un moment en déroute. Joubert est nommé général de division pour le remplacer (22 novembre 1796). Nous avons dit ses craintes, ses effrois, son double refus. Bonaparte y ferme l'oreille, et dit tout haut, de manière à ce qu'on le lui rapporte (1): « Je compte sur lui comme sur moi. » Enfin il se résigne, et il écrit au général en chef, le 18 décembre :

« Je n'accepte ce grade qu'avec inquiétude. Au reste, sous vos ordres j'agirai toujours avec confiance. Et puis il faut laisser quelque chose à César et à sa fortune. >>

Et à son père, trois jours après (21 décembre):

« Je vais donc encore faire l'épreuve de la fortune. Je m'en défie furieusement. Mais enfin je suis poussé, il faut relever mon vol. Je vois malheureusement aujourd'hui qu'il est plus difficile de l'arrêter que de le commencer.

<< Faire son devoir, le faire avec distinction san se mêler des partis, voilà le vrai patriote, l'homme estimable; et voilà bien pourquoi je ne me soucie guère d'une grande charge où l'on est entraîné dans les partis, ou du moins l'on est entraîné à des liaisons qui décident souvent de votre sort, avec des gens qui ne peuvent exister sans troubler l'État par des opinions exclusives. >>

(1) De manière à ce que... C'est parler comme le peuple. Mais pourquoi ne pas parler comme le peuple, là où le peuple marque une nuance que les grammairiens suppriment et ne sentent pas?

4

Prévision étrange! paroles presque prophétiques, et comme s'il avait déjà sa fin en perspective!

La gloire militaire de Joubert, et qui le mit réellement en vue, il va l'acquérir à Rivoli et dans le Tyrol, c'est-à-dire dans les dernières opérations. qui couronnèrent une campagne que rien depuis n'a surpassée.

L'armée d'Italie, toujours victorieuse, était cependant dans une position difficile, à eette fin de 1796. Si peu nombreuse au début, n'atteignant pas d'abord le chiffre de 40 mille hommes, n'ayant jamais, avec les renforts reçus, passé de beaucoup le chiffre de 50 mille, elle avait dû vaincre successivement l'armée sarde et l'armée de Beaulieu, fortes ensemble de 73 mille hommes (Montenotte, Millesimo, Dego, Mondovi); - puis l'armée de Beaulieu (Lodi), renforcée des 20 mille hommes de Wurmser (Salo, Lonato, Castiglione, Roveredo, Bassano); - puis l'armée de Wurmser, renforcée des 36 mille hommes d'Alvinzi (Arcole). Enfin, une dernière fois, et Wurmser plus que jamais bloqué et enfermé dans Mantoue, on allait avoir affaire aux débris de toutes ces armées, à l'armée d'Alvinzi, renforcée de 30 à 35 mille hommes. Le Directoire n'envoyait que peu de monde.

De quel côté Alvinzi, avec le gros de ses forces, essayerait-il de percer? Dans son plan il y avait diversion et double attaque : une sur le bas Adige, l'autre, la principale, par Corona. Cette dernière ne se démasqua qu'au dernier moment. Bonaparte à Vérone, dans l'intervalle et prêt à tout, attendait. Joubert, attaqué le 13 janvier, se défend avec vigueur, se sent débordé, se replie en ordre sur le plateau de Rivoli, et avertit le général en chef que le danger sérieux est là et non pas ailleurs. Bonaparte, qui avait prévu le mouvement, s'y porte aussitôt. Il arrive sur le plateau de Rivoli dans la nuit. Au clair de lune et par un froid excessif, il fait, accompagné de Joubert, la reconnaissance de l'armée

« PrécédentContinuer »