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guérir enfin tous les admirateurs de cette hideuse Révolution. Le duc répondit : « Elles sont en effet terribles, mais dans toutes les révolutions on a toujours versé beaucoup de sang, et une fois commencées, on ne peut les arrêter quand on veut. »

Il me parla, continue madame Elliott, de l'abominable meurtre de madame de Lamballe, de sa tête qu'on lui avait apportée au PalaisRoyal pendant son dîner. Il me parut très-impressionné de cette mort, et il avait fait, me dit-il, tout ce qui était en son pouvoir pour l'empêcher... Il resta quelque temps avec moi; il était triste et dit que les révolutions devaient être très-bonnes et très-utiles pour nos enfants, car elles étaient vraiment terribles pour ceux qui en étaient témoins et qui les subissaient.

« Je lui exprimai mes regrets qu'il ne fût pas resté en Angleterre lorsqu'il y était; il me répondit qu'il l'aurait désiré, mais qu'on n'aurait pas voulu le lui permettre... Il m'assura qu'il avait toujours envié la vie d'un gentilhomme campagnard anglais, et que, pendant que ses ennemis l'accusaient d'avoir voulu se faire roi, il aurait volontiers échangé sa position et toute sa fortune contre une petite propriété en Angleterre, avec les priviléges de ce délicieux pays, qu'il espérait revoir encore...

«Je lui conseillai alors de s'arracher aux mains des misérables qui l'entouraient, et de ne pas les laisser abuser de son nom pour commettre de si horribles attentats.

«Tout cela, me dit-il, semble facile à faire dans votre salon; je voudrais bien que cela le fût autant en réalité; mais je suis dans le torrent, je dois m'élever ou tomber avec lui. Je ne suis plus le maître de mon nom ni de ma personne, et vous ne pouvez pas juger de ma position, qui n'est pas agréable, je vous assure. »

« Je ne m'appartiens pas, j'obéis à ce qui m'entoure, » c'est l'aveu perpétuel et le refrain à voix basse de ce triste et abandonné prince. Il rappelle, à bien des égards, ce Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, cet autre prince si lâche de volonté, si misérable de conduite, avec cette différence que Gaston, poussé de même par ceux qui le gouvernaient, compromettait ses amis et ensuite les plantait là, au péril de leur tête, et que Philippe se laissa compromettre par eux au point d'y

tout perdre, tête et cœur, honneur et vie. Gaston, plus avisé, n'y laissait en chemin que l'honneur.

Madame Elliott, la belle compatriote de Marie Stuart et de Diana Vernon, est de la race la plus opposée à celle de ces hommes de peur (chickenhearted) au cœur amolli. Il y a de ces choses qui lui font bouillir le sang et dont elle ne supporte pas l'idée. Elle est de la religion politique de Burke qui ne concevait pas que dans une nation de galants hommes, dans une nation d'hommes d'honneur et de chevaliers, dix mille épées ne sortissent pas de leurs fourreaux à l'instant, pour venger une noble reine de l'insulte, ne fût-ce que de l'insulte d'un seul regard. Causant un jour avec Biron du procès du roi, elle lui dit « que c'était l'événement le plus cruel et le plus abominable qu'on eût vu jusqu'alors, et que son seul étonnement était qu'il ne se fût pas trouvé un brave chevalier français pour mettre le feu à la salle où siégeait la Convention, brûler les scélérats qui y étaient, et délivrer le roi et la reine de la prison du Temple. » Causant avec le duc d'Orléans lui-même de ce procès qui allait se conclure, elle lui dit (le lundi 14 janvier) (1) qu'elle espérait bien qu'il n'irait pas siéger à côté de ces vils mécréants :

<< Il me répondit que son titre de député l'obligeait à le faire. « Comment! m'écriai-je, pourriez-vous siéger et voir votre roi et votre « cousin traîné devant cette réunion de misérables, qui oseraient « l'outrager en lui faisant subir un interrogatoire? Je voudrais pouvoir << être à la Convention, ôter mes souliers et les jeter à la tête du président et de Santerre, qui n'auront pas honte d'insulter leur maître << et leur souverain. » Je m'emportai sur ce sujet, et le duc d'Orléans paraissait de fort mauvaise humeur. Le duc de Biron lui fit alors quel

(1) Madame Elliott avait fait ici une légère confusion de dates, commu l'a remarqué M. Laurent (de l'Ardèche) dans son livre sur la Maison d'Orléans (page 171). Le roi fut condamné à mort dans la séance permanente du 16 au 17 janvier, dans la nuit du mercredi au jeudi. J'ai remis partout les jours et dates problables ou nécessaires.

ques questions sur le procès. Je ne pus m'empêcher de dire:- « J'espère, monseigneur, que vous voterez pour la mise en liberté du roi. » << Certainement, répondit-il, et pour ma propre mort! » « Je vis que le prince était en colère, et le duc de Biron dit : « Le « duc ne votera pas. Le roi en a mal usé toute sa vie avec lui; mais «< il est son cousin, et il feindra une maladie pour rester chez lui, « samedi, jour de l'appel nominal qui doit décider du sort du roi. »

« Alors, monseigneur, dis-je, je suis sûre que vous n'irez pas à la « Convention mercredi; je vous en prie, n'y allez pas. » Il répondit qu'il n'irait certainement pas, qu'il n'en avait jamais eu le projet, et il me donna sa parole d'honneur qu'il ne s'y rendrait pas ce jourlà, ajoutant que, quoique, selon lui, le roi eût été coupable en manquant de parole à la nation, rien ne pourrait le contraindre, lui, son parent, à voter contre Louis XVI. Ce fut là pour moi une triste consolation, mais je ne pouvais faire davantage, et les deux ducs me quittèrent.

« Je ne vis personne le mardi... Le mercredi, je reçus un mot du duc de Biron qui me priait de venir passer la soirée avec lui, madame Laurent et Dumouriez, à l'hôtel Saint-Marc, rue Saint-Marc, près de la rue de Richelieu; que là j'apprendrais des nouvelles et qu'il espérait beaucoup que les choses pourraient s'arranger. A cette époque, le duc de Biron n'avait ni maison ni domicile à Paris; il avait été dénoncé à l'armée par un des généraux révolutionnaires nommé Rossignol... Le duc, qu'on nommait alors le général Biron, était venu se disculper auprès du ministre de la guerre, et il logeait, pour le peu de temps qu'il devait rester à Paris dans cet hôtel garni.

(t J'y arrivai à sept heures et demie, et je trouvai M. de Biron et toute la compagnie fort tristes on lui envoyait toutes les demiheures une liste des votes, et nous voyions tous avec désespoir que beaucoup de ces votes demandaient la mort du roi. On nous apprit aussi qu'à huit heures le duc d'Orléans était entré à la Convention, ce qui nous surprit tous. J'avais grand'peur qu'il ne votât pour la réclusion, car je n'ai jamais pensé à pis que cela. Chaque liste pourtant devenait plus alarmante, et enfin vers dix heures nous arriva la triste et fatale nouvelle de la condamnation du roi et du déshonneur du duc d'Orléans.

« Je n'ai jamais ressenti pour personne une horreur pareille à celle que j'éprouvai en ce moment pour la conduite de ce prince. Nous étions tous dans une profonde affliction et dans les larmes. Le pauvre Biron qui était, hélas! républicain, avait presque un accès de désespoir. Un jeune aide de camp du duc arracha son uniforme et le jeta dans le feu, en disant qu'il rougirait de le porter désormais. Il se nommait Rutan et était de Nancy; c'était un noble et excellent jeune homme, qui n'avait point émigré par affection pour le pauvre Biron, quoique de cœur il fût avec les princes. Quand ma voiture vint, je retournai chez moi, mais tout me semblait affreux et sanglant. Meɛ

gens paraissaient frappés d'horreur. Je n'osai pas coucher seule dans ma chambre; je fis veiller ma femme de chambre avec moi toute la nuit, avec beaucoup de lumières et en priant. Il m'était impossible de dormir: l'image de ce malheureux monarque était sans cesse devant mes yeux. Je ne crois pas qu'il soit possible de ressentir un malheur de famille plus vivement que je ne ressentis la mort du roi. Jusqu'à ce moment, je m'étais toujours flatté que le duc d'Orléans s'était laissé séduire, et je voyais les choses sous un faux jour; maintenant, toute illusion était dissipée. Je jetai dehors tout ce qu'il m'avait donné, tout ce que j'avais dans mes poches et dans ma chambre, n'osant pas garder près de moi rien de ce qui lui avait appartenu.Telle était en ce moment, la répulsion que j'éprouvais à l'égard d'un homme pour lequel quelque temps auparavant j'aurais donné ma vie. »

Retirée les jours suivants à sa maison de Meudon, et devenue peu après assez sérieusement malade, elle reçut un matin, par les mains d'un vieux valet de chambre, une lettre du duc d'Orléans, très-affectueuse, dans laquelle il regrettait de ne pas oser venir lui-même, et la priait de passer chez lui dès qu'elle serait mieux, « ajoutant que tout le monde l'avait abandonné et qu'il espérait que sa malheureuse situation lui vaudrait un pardon, si elle le croyait coupable.» Désirant alors quitter la France et obtenir un passe-port pour l'Angleterre, madame Elliott alla donc un jour au Palais-Royal. C'était six ou sept semaines environ après la mort du roi; le duc d'Orléans était en grand deuil, comme elle l'était elle-même. Elle ne put s'empêcher tout d'abord de lui jeter à la face la pensée dont son cœur était plein, et de lui dire qu'elle le supposait en deuil apparemment de la mort du roi : il sourit d'un air contraint et dit qu'il était en deuil de son beau-père le duc de Penthièvre. Elle fut impitoyable et retourna le poignard en tous sens : « Je présume, dit-elle que la mort du roi à hâté la sienne, ou peutêtre est-ce la manière cruelle dont son procès a été mené, et votre vote pour sa mort. » Il lui répéta dans cette conversation ce qu'il avait dit tant de fois: « Je

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connais ma position; je ne pouvais éviter de faire ce que j'ai fait. Je suis peut-être plus à plaindre que vous ne pouvez l'imaginer. Je suis l'esclave d'une faction plus que personne en France; mais laissons ce sujet; les choses sont au pire. » Il croyait en détournant les yeux du danger, l'ajourner un peu, et il allait, en marchandant le plus qu'il pouvait, et le front de plus en plus bas, à sa perte prévue et certaine. Il savait bien (sans même que madame Elliott le lui dît) que, pour lui aussi, l'échafaud était au bout; seulement, il tâchait à tout prix d'allonger le tour et, suivant l'expression vulgaire, de prendre le plus long.

J'ai indiqué le côté historique de ce petit volume, ce qui sert à expliquer le caractère d'un prince que l'histoire ne peut éviter. Le reste n'est qu'anecdotes, mais anecdotes bien vives, bien contées, et qui tranchent assez agréablement sur le fond connu d'horreurs. Il y a l'historiette du vieux médecin anglais, le philosophe athée, que madame Elliott a pour compagnon de chambre dans la prison de Versailles, et qu'elle soigne comme un père. Transférée à Paris aux Carmes, elle est fort surprise de voir arriver le général Hoche qu'on y écroue en même temps qu'elle. Bon gré mal gré, il faut bien faire connaissance; elle le trouve très-aimable et trèspoli, tout républicain qu'il est. Dès les premiers instants, en raison du malheur commun, on devient les meilleurs amis du monde. « C'était un très-gai jeune homme, avec un air très-militaire, très-beau et très-galant. » Il venait beaucoup, dès qu'on le lui permit, du côté des dames, et il y en avait de très-grandes de l'ancienne noblesse, qui toutes paraissaient le connaître. A un moment Santerre est aussi jeté dans la même prison, et de près on ne le trouve pas si monstre; mais ici la royaliste en madame Elliott tient bon: « Malgré toutes les attentions qu'il eut pour moi, je ne pus jamais vivre

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