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PARNY

POETE ÉLÉGIAQUE (1).

Parny: le premier poëte élégiaque français. On lui reproche la Guerre des Dieux et on a raison; mais les Élégies restent, ces Élégies sont un des plus agréables monuments de notre poésie moderne.

FONTANES, Projet de rétablissement de l'Académie française, 1800.

J'ai déjà écrit sur Parny (2); je voudrais parler de lui une fois encore, et cette fois sans aucune gène, sans aucune de ces fausses réserves qu'imposent les écoles dominantes (celle même dont on est sorti) et les respects humains hypocrites. Pour cela, je limite mon sujet comme les présents éditeurs eux-mêmes ont limité le choix des œuvres, comme Fontanes demandait qu'on le fit dès 1800; je laisse de côté le Parny du Directoire et de l'an VII, le chantre de la Guerre des Dieux: non que ce dernier poëme soit indigne de l'auteur par le talent et par la grâce de certains tableaux; mais Parny se trompa quand il se dit, en traitant un sujet de cette

nature:

La grâce est tout; avec elle tout passe.

Un tel poême, qui n'aurait pas eu d'inconvénient lu

(1). Ce morceau a été écrit pour une édition des Élégies de Parny, publiée chez MM. Garnier (1861.)

(2) Au tome III des Portraits contemporains et divers. édit. de 1855, pages 118-155.

entre incrédules, aux derniers soupers du grand Frédéric, et qui aurait fait sourire de spirituels mécréants, prit un tout autre caractère en tombant dans le public: il fit du mal; il alla blesser des consciences tendres, des croyances respectables, et desquelles la société avait encore à vivre. Je laisserai donc ce poëme tout à fait en dehors de mon appréciation présente, et il ne sera question ici que du Parny élégiaque, de celui dont Chateaubriand disait: « Je n'ai point connu d'écrivain qui fût plus semblable à ses ouvrages: poëte et créole, il ne lui fallait que le ciel de l'Inde, une fontaine, un palmier et une femme. »

Né à l'île Bourbon, le 6 février 1753, envoyé à neuf ans en France, et placé au collége de Rennes, où il fit ses études, Évariste-Désiré de Forges (et non pas Desforges) de Parny entra à dix-huit ans dans un régiment, vint à Versailles, à Paris, s'y lia avec son compatriote Bertin, militaire et poëte comme lui, Ils étaient là, de 1770 à 1773, une petite coterie d'aimables jeunes gens, dont le plus âgé n'avait pas vingt-cinq ans, qui soupaient, aimaient, faisaient des vers, et ne prenaient la vie à son début que comme une légère et riante orgie. Que de générations de jeune gens et de poëtes ont fait ainsi, et depuis lors et de tout temps! Mais le propre de cette aimable société de la Caserne et de Feuillancour, c'est que la distinction, l'élégance, le goût de l'esprit surnageaient toujours jusque dans le vin et les plaisirs.

Rappelé à l'âge de vingt ans à l'île Bourbon par sa famille, Parny y trouva ce qui lui avait manqué jusqu'alors pour animer ses vers et leur donner une inspiration originale, la passion. Il y connut la jeune créole qu'il a célébrée sous le nom d'Éléonore; il commença par lui donner des leçons de musique; mais le professeur amateur devint vite autre chose pour son Héloïse; les obstacles ne s'aperçurent que trop tard, après la faute,

après l'imprudence commise; l'heure de la séparation sonna; il y eut ensuite un retour, suivi bientôt de refroidissement, d'inconstance. C'est l'éternelle histoire. Parny a eu l'honneur de graver la sienne en quelques vers brûlants, naturels, et que la poésie française n'oubliera jamais.

Les Poésies érotiques (vilain titre, à cause du sens trop marqué qui s'attache au mot érotique; je préférerais Élégies), les Élégies de Parny, donc, parurent pour la première fois en 1778, et devinrent à l'instant une fête de l'esprit et du cœur pour toute la jeunesse du règne de Louis XVI. L'oreille était satisfaite par un rhythme pur, mélodieux; le goût l'était également par une diction nette, élégante, et qui échappait au jargon à la mode, au ton du libertinage ou de la fatuité. Les connaisseurs faisaient une différence extrême de cette langue poétique de Parny d'avec celle des autres poëtes du temps, les Bouflers, les Pezai, les Dorat: c'eût été une grossièreté alors de les confondre.

Serions-nous devenus moins délicats en devenant plus savants? Je sais que tout a changé; nous n'en sommes plus à Horace en fait de goût, nous en sommes à Dante. Il nous faut du difficile, il nous faut du compliqué. Le critique, et même le lecteur français, ne s'inquiète plus de ce qui lui plaît, de ce qu'il aimerait naturellement, sincèrement; il s'inquiète de paraître aimer ce qui lui fera le plus d'honneur aux yeux du prochain. Oui, en France, dans ce qu'on déprime ou ce qu'on arbore en public, on ne pense guère le plus souvent au fond des choses; on pense à l'effet, à l'honneur qu'on se fera en défendant telle ou telle opinion, en prononçant tel ou tel jugement. Le difficile est trèsbien porté; on s'en pique, on a des admirations de vanité. Un critique spirituel et sensé le remarquait à propos de la musique d'Auber, en parlant d'un de ses derniers

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opéras qui avait fort réussi : « Pour remporter ce succès avec une œuvre si élégante et si claire, un style si aimable et si charmant, il a fallu, disait-il, un très-grand talent et un très-grand bonheur; car aujourd'hui, par la pédanterie qui court, par les doctrines absurdes qu'on voudrait accréditer, par l'ignorance et l'outrecuidance de quelques prétendus savants, la clarté, la grâce et l'esprit sont un obstacle plutôt qu'un avantage... Le beau mérite que d'entendre et d'admirer ce que tout le monde admire et comprend! » Ainsi parlait un critique, qui est aussi un traducteur de Dante (1), et auquel bien des gens doivent de le lire en français; car l'original leur est absolument fermé. J'insiste sur ce travers de notre goût, sur cette gloriole de notre esprit. Que ceux qui arrivent à conquérir et à admirer ces fortes choses à la sueur de leur front, en aient la satisfaction et l'orgueil, je ne trouve rien de mienx; mais que des esprits médiocres et moyens se donnent les airs d'aimer et de préférer par choix ce qu'ils n'eussent jamais eu l'idée de toucher et d'effleurer en d'autres temps, voilà ce qui me fait sourire. Un des derniers traducteurs de Dante, une manière de personnage politique, me faisant un jour l'honneur de m'apporter le premier volume de sa traduction, me disait d'un air dégagé : « Je l'ai traduit avec charme. » C'est là de la fatuité. Ce même homme, il y a trente ans, eût traduit Horace à la suite de Daru, avec charme, ou plutôt par mode encore, tout comme depuis il avait fait pour Dante. Il n'en est pas moins vrai que nous tenons tous plus ou moins de cette nouvelle et rude éducation que l'on s'est donnée; nous avons repris à la scholastique et au gothique par quelque bout; le Moyen-Age s'impose à nous, il nous domine: un peu de Sic et non a bien son charme; nous

(1) M. P.-A. Fiorentino,

avons tous, à doses plus ou moins Inegales, avalé de l'Ozanam, de cet ardent et vigoureux écolier dont ils sont en train de faire un grand homme. Ce qui me console, c'est que les gens d'esprit de ces doctes géné rations assurent que cette voie est la meilleure, en définitive pour en revenir à apprécier tout ce qui rentre dans le génie de la France, et ce qui exprime le goût français. Est-il donc bien nécessaire d'en passer par la méthode de Gervinus pour sentir et admirer La Fontaine ? Pour faire à Gresset sa vraie place, pour réserver le rang qu'elle mérite à une élégie de Parny, est-il donc indispensable d'avoir fait le tour des littératures, d'avoir lu les Niebelungen, et de savoir par cœur des stances mystiques de Calderon? Peut-être. C'est, dans tous les cas, le chemin le plus long, et le jour où l'on rentre au logis, on court risque d'être si fort fatigué, que le sommeil s'ensuive. Le simple fruit qu'on se proposait de déguster au retour ne sera-t-il pas de bien peu de saveur pour un palais blasé et dédaigneux?

J'admets pourtant que si un peu de science nous éloigne, beaucoup de science nous ramène au sentiment des beautés ou des grâces domestiques; et alors l'élégie de Parny, vue à son heure, est, en effet, une des productions de l'esprit français qui mérite d'être conservée comme spécimen dans l'immense herbier des littératures comparées. Sans y mettre tant de façons, revoyons-la un moment, vivante et dans sa fleur, sous ce règne de Louis XVI, pendant les dix heureuses années qui précédèrent la plus terrible des révolutions.

Le poëte est amoureux; il l'est comme on l'était alors, et même un peu mieux, comme on l'est dans les époques naturelles, c'est-à-dire avec tendresse et abandon, d'une manière précise, positive, non angélique, non alambiquée, et aussi sans y mêler un sentiment

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