sera permis toutefois de faire remarquer que si c'est une politique positive qui doit sortir de telles études et de telles méditations, il importe fort de ne la point puiser trop haut. La vraie politique (est-ce à l'illustre orateur qu'il est besoin de le rappeler ?) dépend avant tout de l'appréciation des faits sociaux qu'il convient de ne jamais perdre de vue; M. Guizot nous a tout récemment montré dans sa belle Étude sur sir Robert Peel combien une telle politique peut avoir de patriotisme et de véritable grandeur. Dans nos méditations même solitaires ne perdons jamais de vue l'état vrai de la nation et l'intérêt actuel de la France. Le mot que M. Guizot a dit en terminant, cette sorte d'appel où il invoque une parole du Sermon de la montagne nous transporte ailleurs. Bossuet a voulu tirer de l'Écriture sainte toute une politique, et il s'est trompé. On courrait risque aussi, en voulant tirer de l'Évangile une politique humaine, d'ouvrir le champ à bien des systèmes divers et peu d'accord entre eux. Ne confondons pas les sphères, et laissons les paroles, les promesses du Christ dans toute leur portée sublime et qui n'est point de l'ordre terrestre. Je raisonne trop longuement; il est temps de céder la place à ceux qu'on a hâte de lire. Dans le peu de remarques que je viens de faire j'ai cru témoigner encore de mon respect envers des hommes dont je suis honoré de me dire le confrère. Jeudi soir, 26 mars 1857. ACADÉMIE FRANÇAISE RÉCEPTION DE M. DE FALLOUX. Si, par hasard, des esprits oisifs et mécontents étaient venus à cette séance académique, où la plus belle société s'était donné rendez-vous, avec l'intention de cherchor et d'applaudir quelques-uns de ces traits plus politiques que littéraires, sur lesquels on a trop compté en d'autres temps, ils auraient été désappointés. Tout s'est passé dans les convenances académiques exactes, et c'est à peine si, en un petit nombre de passages, la parole de l'honorable récipiendaire donne lieu à des remarques qui sont encore plus des questions qu'on peut lui adresser que des critiques. Il s'agissait de louer M. le comte Molé, que remplaçait M. de Falloux, et M. de Falloux, qu'une telle succession honore, surtout si l'on songe qu'elle a été presque une désignation, ou du moins un désir du mourant, a compris que c'était l'éloge de cet homme d'État illustre et de cet homme d'esprit aimable qui devait remplir tout son discours. Il s'en est acquitté avec une bonne grâce et une dextérité de parole qui ne lui a pas fait défaut en d'autres circonstances plus graves et dans de vraies luttes, où il avait en face des adversaires ici il n'avait en présence que des amis ou des curieux. Mais c'est là aussi une épreuve qui a sa délicatesse. M. le comte Molé est de ces hommes dont l'éloge n'embarrasse personne, et l'on n'a qu'à choisir dans une vie si utilement et si noblement remplie. Enfant, il assista aux horreurs de l'anarchie; il vit son père immolé; il le sauva une fois par son intercession active et retarda l'heure fatale sans la pouvoir conjurer. Il connut ensuite pour lui et pour les siens la détresse et la misère; il racontait, de ces années laborieuses, de précis et de touchants détails qu'on aurait pu rappeler sans inconvénient, parce que de telles épreuves eurent une profonde influence sur son esprit et sur sa manière de juger les événements et sans doute les gouvernements. En se rattachant à des principes, il n'en sépara jamais le sens pratique et l'appréciation des faits. M. Molé était un nom ancien, qui avait senti de bonne heure la nécessité d'être un homme nouveau. « Vous avez fait comme nous, monsieur, lui disait M. Dupin en le recevant à l'Académie, vous avez commencé. » Ce qu'on aurait pu dire aussi, c'était l'impression vive et incomparable qu'après des années de labeur, de dégoût et de souffrance, il avait tout d'un coup ressentie à la vue des premiers actes et des premiers soleils du Consulat. Il s'animait quand il parlait de cette renaissance si merveilleuse et si entière de la société sous un astre et un génie réparateur. Il avait vingt ans. Il eut le courage bien rare de ralentir alors son propre essor, et de vouloir mûrir et fortifier une éducation qui n'était complète qu'au moral et à laquelle bien des secours avaient manqué. Le Consul, qui savait tout, n'ignorait pas qu'il y avait en France un rejeton des Molé, et il l'aurait rattaché à son régime dès ce temps-là; il le lui fit dire. M. Molé demanda un répit et s'imposa un retard il avait besoin de deux années encore, de deux ou trois années de voyage et d'études, pour n'entrer dans la lice que tout armé et tout à fait digne de la grande carrière. Il fallait que Napoléon eût apprécié bien favorablement une qualité qui, en effet, était la principale de M. Molé homme politique, une extrême justesse de jugement, une balance parfaite et d'une singulière délicatesse, qui rendait raison à l'instant de tout ce qu'on y jetait; il l'avait nommé grand-juge, c'est-à-dire ministre de la justice, à trente-trois ans et sans que M. Molé fût même avocat; et cette place si éminente n'était qu'un acheminement peut-être (et lui-même l'avait fait pressentir à M. Molé) à une position plus élevée et plus intime encore, si le sage et judicieux Cambacérès venait à se dégoûter, ce qu'il semblait annoncer quelquefois, d'une partie des graves fonctions qui pesaient sur lui. Au reste, ce début si brillant de la vie politique du comte Molé n'aura pas et ne peut avoir d'autre historien que lui-même; il a laissé des Mémoires dont les commencements au moins, pour tout ce qui est de cette époque, doivent être achevés, et il aura su joindre, en écrivant ce qu'il racontait si bien, la perfection de son bon goût à la netteté de ses souvenirs. M. de Falloux a pris plaisir à louer (en l'exagérant un peu) la part active de collaboration que M. Molé eut dans la politique loyale et généreuse, mais trop tôt déjouée, du duc de Richelieu pendant les premières années de la Restauration. Il a cru devoir à ses propres antécédents de regretter qu'en juillet 1830 on n'ait pas plus tenu compte à la branche aînée de la maison de Bourbon des concessions et des sacrifices qu'elle se décida à faire aux derniers moments et à la dernière extrémité. Sans entrer dans cette déploration tardive et sur laquelle il est permis à un membre de l'Académie française en 1857 de n'avoir point d'avis formel, on ne peut s'empêcher de remarquer que la personne qui eût été le plus à même de répondre aux regrets exprimés par M. de Falloux, et peut-être de les réfuter en les respectant, eût été M. le comte Molé, qui fut des premiers à accepter le régime issu des barricades de juillet, à le servir et à travailler à le constituer et à l'autoriser devant l'Europe, en qualité de ministre. M. Molé, encore une fois, était un homme pratique, et il l'a prouvé à toutes les heures décisives de sa carrière. Son second ministère, le ministère dit du 15 avril, se dessine à présent et restera dans l'histoire comme le moment le plus serein et le plus calme des dix-huit années; et lorsqu'on vient à se rappeler à combien d'attaques, à combien de violences cet honorable ministère fut en butte de divers côtés, combien on l'accusait tout haut d'être un ministère d'abaissement, on rougit aujourd'hui, on devrait rougir, et sentir une bonne fois ce que valent ces coalitions où les meilleures intentions se faussent, où les meilleurs esprits s'aveuglent. Mais je ne suis pas chargé de tirer les moralités. Après le 24 février, M. Molé qui n'avait contribué en rien à la chute du dernier régime, se fit remarquer par son bon sens net et son merveilleux courage d'esprit. Je me rappelle avoir eu l'occasion de rencontrer alors, et dans la première semaine qui suivit, deux hommes d'État, très-inégaux par l'âge, mais qui avaient pris grande part l'un et l'autre à ce qui n'était plus, et jetés tous deux de côté par la tempête je fus frappé de voir que si l'un, le plus jeune, était sombre, estimant tout perdu, la société s'écroulant dans l'anarchie et le monde penchant à sa ruine, l'autre (c'était M. Molé), au contraire, était resté serein, avec je ne sais quoi de clair et de net qui, sans lui faire voir en beau les choses, dégageait pourtant sa perspective. Il disait que la France s'en tirerait il l'avait vue, dans son enfance et |