«Ma voix sera joyeuse, et joyeux mon sourire, « Comme on jette à la mer son bagage en silence, « Si quelque sanglot sourd quelquefois le soulève, Mon front est-il courbé? n'est-il pas fier et digne? Si quelquefois il penche et paraît s'assombrir, Ah! c'est contre moi-même alors que je m'indigne; Il ne faut pas ployer, mais se taire et mourir... • Au milieu des heureux je passerai rapide, « Si l'on voit dans mou œil quelque larme furtive, << Mais tant que je serai forte, et que la jeunesse « Car moi, je garde aussi mon mystère et mon voile. Grondez, mers! tonnez, vents! vous ne saurez plus rien Je n'irai plus jeter à la vague, à l'étoile, Les secrets de mon cœur que vous sûtes trop bien. »> Ainsi chantait un jour, loin des rives natales, : Si j'osais conjecturer, je dirais que par toutes ces figures diverses qu'a évoquées autour d'elle l'imagination de l'ouvrière-poëte, elle s'est plu à multiplier, comme dans un miroir légèrement enchanté, des images d'ellemême, et elle n'a changé que juste ce qu'il fallait pour pouvoir dire Ce n'est pas moi! C'est ainsi (autant que je l'imagine), que sa propre douleur trop morne et trop tristement monotone s'est transformée et colorée comme à travers un prisme en une variété de douleurs poétiques passionnées et touchantes. Mais la pièce intitulée les Larmes n'a pu se déguiser, et elles ont jailli plus vite que la pensée, par une force involontaire : LES LARMES. Si vous donnez le calme après tant de secoussco, Coulez ! coulez longtemps et sans mesurer l'heure ; Mais si comme autrefois vous êtes meurtrières, Oui, laissez-moi! je sens ma peine plus cuisante, Quelques-unes des pièces de ce recueil sont ainsi d'un effet poignant. L'auteur, pour peu qu'il s'apaise un jour et qu'il rencontre les conditions d'existence et de développement dont il est digne, me paraît des plus capables de cultiver avec succès la poésie domestique et de peindre avec une douce émotion les scènes de la vie intime car si Madame Blanchecotte (ce qui est, je crois, son nom) a de la Sapho par quelques-uns de ses cris, elle aurait encore plus volontiers dans sa richesse d'affections quelque chose de mistriss Felicia Hemans, et tout annonce chez elle l'abondance des sentiments naturels qui ne demandent qu'à s'épancher avec suite et mélodie. Au reste, ce ne sont pas des conseils ici que je viens lui adresser : j'ai voulu surtout donner avis au public qui aime la poésie, et lui dire : Il y a un poëte dans ce volume, un poëte à demi enchaîné; aidez-le à prendre l'essor. - Béranger et M. de Lamartine, chacun de leur côté, et cette fois sans qu'on puisse y soupconner de la complaisance, ont déjà donné à l'auteur ce brevet de poëte: je ne fais qu'ajouter après eux mon apostille bien sincère. [L'article qu'on va lire, inséré en premier-Paris au Moniteur le lendemain des funérailles de Béranger, m'a été attribué.] Paris, le 17 juillet 1857. Béranger depuis des années ne chantait plus, mais la France, en le perdant, a senti à quel point il lui était toujours cher et présent, et combien l'âme de ses chants faisait partie de son âme, à elle, de son génie immortel, comme race et comme peuple. L'Empereur, en se chargeant de la célébration de ses funérailles et en voulant y présider, en quelque sorte, par la pensée, a montré qu'ici comme en toute chose il sentait comme la France. Béranger, en expirant, était âgé de soixante-dix-sept ans presque accomplis. Son âge même était gravé dans toutes les mémoires, et la date, lorsque l'on s'interrogeait ces jours derniers, revenait voltiger en chanson : Dans ce Paris plein d'or et de misère, En l'an du Christ mil sept cent quatre-vingt, Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père, Sa vie fut simple; par son bon sens, par sa probité, par la modération de ses mœurs et de ses goûts, il sut la rendre constante et digne. Jeune, au sein de la pauvreté, à travers les entraînements de l'âge, il ne cessa, par un travail secret, opiniâtre, de se préparer un talent supérieur aux choses légères et déjà charmantes auxquelles il s'essayait. Une place modeste dans une administration publique suffisait à ses besoins; il la garda jusqu'au jour où il s'aperçut que son indépendance allait en souffrir. Tout à fait libre alors, et prenant son grand vol, chantre adopté de la jeunesse et de la patrie, amoureux de ses gloires, attristé de ses deuils, la consolant par ses souvenirs et ses espérances, il ne voulut point d'autre rôle; et, dans sa vieillesse, quand il vit s'accomplir plus d'événements qu'il n'en avait sans doute attendu, quand il se reconnut meilleur prophète encore qu'il ne l'avait pensé, il eut la sagesse, et de vouloir rester le même, le simple et grand chansonnier comme devant, et à la fois de ne point répudier les prodigieux résultats publics auxquels, pour sa part, il avait concouru. Béranger avait naturellement l'âme patriotique, cela ne se donne pas; il sentait de certaines douleurs, de certaines joies comme bien des gens d'esprit, qui l'ont applaudi pourtant, ne les ont jamais senties, et comme le peuple directement les sent: de là cette intime et longue communauté entre le peuple et lui, quoiqu'il eût dans le talent de ces finesses dont les œuvres populaires peuvent, à la rigueur, se passer. L'invasion de 1814 et de 1815, la chute du grand Empire, l'abaissement des braves et le triomphe insolent des incapables, les Myrmidons se pavanant sur le char d'Achille, ce furent là pour lui des sources de douleur, d'indignation et de risée, des motifs de représailles vengeresses. Nul n'a mieux compris que lui combien le génie de Napoléon s'était confondu à un certain jour dans celui de la France, combien l'orgueil national et l'orgueil du héros ne faisaient qu'un, combien leur défaite était la même; nul n'a mieux donné à pressentir combien le réveil et le jour de réparation pour ces deux gloires, la gloire de la France et celle du nom napoléonien, étaient unis et comme solidaires, et ne faisaient naturellement qu'une même cause. Il vit cela en poëte, mais le poëte |