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dispositions d'un sujet parfait. Il reçut en naissant « un esprit juste, une imagination belle, mais réglée, un bon cœur, des inclinations droites; » et comme l'a dit un autre de ses biographes, il reçut du Ciel « ce naturel heureux que le Sage met au rang des plus grands biens, et qui tient peu du funeste héritage de notre premier Père. Les passions ne le transportaient pas; un feu pur et doux l'animait. Il avait pour oncle maternel un Père de la Doctrine chrétienne, assez célèbre en son temps, le Père Hercule Audifret. Il fit donc ou acheva ses études à Tarascon dans le collége des prêtres de la Doctrine, et s'engagea même ensuite dans la congrégation, mais par des voeux simples. Il professa les humanités en différentes villes, et la rhétorique à Narbonne. Devenu prêtre, il eut à prononcer dans cette dernière ville l'Oraison funèbre de l'archevêque mort en 1659; il n'avait mis que dix jours au plus à la préparer. La maladie et la mort de son oncle, le Père Hercule, l'appelèrent à Paris en cette même année; il se proposa d'y rester, et n'ayant pu le faire avec la permission de ses supérieurs, il sortit de la Congrégation, mais en se déliant avec douceur comme ce sera toujours sa façon et méthode, en emportant et en laissant les meilleurs souvenirs. Il avait vingt-huit ans. C'est ici que le littérateur pour nous commence à paraître. Il s'était exercé jusquelà dans de petites compositions, dans des jeux d'esprit scolaires ou académiques; il va continuer dans le même sens, en étendant un peu ses cadres.

Il connut Conrart, secrétaire perpétuel de l'Académie française, et qui se plaisait à produire les talents nouveaux. Ce fut Conrart qui, comme on le disait, donna Fléchier à M. de Montausier. Ce fut lui qui le recommanda à Chapelain qui était, à cette date, la grande autorité littéraire et le procureur général des grâces. Fléchier aimait à faire des vers latins: il songea à s'en

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servir pour sa réputation et pour sa fortune littéraire; cette ancienne littérature scolastique, qui a encore eu, depuis, quelques rares retours, n'avait pas cessé de fleurir à cette date, avant que les illustres poëtes français du règne de Louis XIV eussent décidé l'entière victoire des genres modernes. Fléchier avait adressé au cardinal Mazarin une pièce de félicitation en vers latins (Carmen eucharisticum) sur la paix des Pyrénées (1660); il en fit une autre l'année suivante, sur la naissance du Dauphin (Genethliacon). C'est à ce sujet que Chapelain lui écrivait une lettre que j'ai sous les yeux, inédite, datée du 18 janvier 1662, portant à l'adresse : Monsieur Fléchier, ecclésiastique à Paris. On y lit

<< Monsieur,

<< Je reçus votre lettre et le poëme latin qui l'accompagnait avec beaucoup de pudeur, ne pouvant sans rougir voir que vous le soumettez à mon jugement, lequel je ne puis exercer sans témérité sur d'autres ouvrages que sur les miens propres ; et je vous avoue que soit par cette raison, soit par le peu de loisir que me laissent mes occupations, je fus tenté de m'excuser du travail que vous exigiez de moi, et que le seul nom de M. Conrart me fit retenir votre cahier et résoudre de vous complaire. Mais, après avoir lu votre Poëme, vous n'eûtes plus besoin de sa recommandation auprès de moi; vous vous y rendîtes assez considérable par vousmême, et, tout inconnu que vous me fussiez, vous vous fîtes tout seul connaître à moi pour un homme de mérite et d'esprit qui n'aviez pas une médiocre habitude avec les Muses, et qui étiez avantageusement partagé de leurs faveurs. Il y a dans cette pièce de ce génie poétique qui est si peu ordinaire, grande quantité de sentiments élevés, et de vers noblement tournés. Tout y est du sujet, et le sujet sublime de soi n'y est du tout

point ravalé par les expressions fort latines, et par les nombres fort soutenus et fort arrondis. L'invention m'en semble même selon l'art, et je n'y ai rien trouvé qui me donne scrupule, sinon que vous y introduisez a Renommée comme une divinité qui pénètre dans les choses futures, quoique sa fonction ne soit que de parler des événements présents ou passés. Vous y ferez réflexion, et en communiquerez avec vos amis habiles, auxquels je m'en rapporte s'ils ne s'y arrêtent pas. Je suis de leur avis pour la publication de l'ouvrage, et quand il aura paru, il aura mon suffrage et mes éloges auprès de ceux qui m'estiment connaisseur en ces matières-là... >>

Le ton de cette lettre est cérémonieux et un peu pesant, mais le jugement est exact. Nous y voyons Fléchier au début et appliquant à la poésie latine quelquesuns des mérites de diction qu'il transportera ensuite dans la prose française. La lettre de Chapelain se termine par deux ou trois remarques de détail dont il paraît que Fléchier a tenu compte (1). La pièce en ellemême est élégante, ingénieuse, sans le feu et l'ardeur de la belle églogue de Virgile intitulée Pollion, mais animée d'une douceur et comme d'une onction pacifique très-sensible et très-sincère. L'expression de mitis y revient souvent et nous donne la note de cet esprit

(1) Il semble même qu'il ait jusqu'à un certain point tenu compte de son observation au sujet de la Renommée dont il a fait l'interprète de l'avenir; car dans la pièce, telle qu'elle est imprimée, il a pris soin de ne nous représenter la déesse que comme se faisant l'écho des premiers bruits répandus et des premières rumeurs du destin; les oracles transpirent déjà, elle répète ce qu'elle a entendu :

Toto tum pectore prona

Volvit centum oculos, et centum subrigit aures,
Impatiens strepere, et magnos inquirit inortus,
Exploratque aditus fati, primævaque captat
Auspicia, et velox collecti nuncia veri,

Quæ didicit, pandit patriis oracula regnis.

doux par excellence, et qui sut l'être sans fadeur. Le Dauphin, dit-il, n'a dû naître qu'après les guerres terminées et à une heure de paix pour tout le monde :

Sic Fata parabant,

Nec decuit mites nasci inter crimina Divos.

Il serait peu raisonnable, sans doute, d'accuser Fléchier de paganisme pour ce Fata et ce Divos. Il le serait tout aussi peu de l'aller accuser de galanterie (dans l'acception fâcheuse) et de licence pour certaines anecdotes des Grands-Jours. Dans l'un et dans l'autre cas, il obéit à un genre admis et à un ton donné.

C'est ainsi que dans sa pièce latine la plus considérable, qu'il a consacrée à célébrer le Carrcusel royal de 1662, et à déduire les divers groupes de cavaliers qui y figuraient, il n'a eu garde d'oublier ce qui fait le principal attrait des tournois, les dames qui regardent et qui s'y enflam:nent, et Cupidon dans les airs qui se réjouit.

Mediis e nubibus ipse Cupido

Dulces insidias furtim meditatur, et artem
Exercet, ludumque suum; sumptaque pharetra,
Blandis plena dolis et dulci tincta veneno
Nostrarum in cœtus Nympharum spicula torquet
Improbus, accenditque animos, et suscitat ignes.
Quæque suis agitur studiis, sua cuique cupido est...

<< Du sein des nuages, Cupidon lui-même prépare furtivement ses doux piéges, il exerce son art et fait son jeu; prenant son carquois, il en a tiré des traits délicieusement perfides et trempés d'un charmant poison; il les lance sur nos groupes de Nymphes, le méchant ! et il allume les cœurs et il attise les flammes : chacune est en proie à ses partialités, chacune a son désir.

Il faudrait être bien farouche pour se courroucer contre une mythologie si poliment touchée.

La réputation de Fléchier dans le monde lettré commençait à se faire, grâce à ses compositions de collége qui avaient leurs lecteurs et leurs juges, même à la cour. Dans le Mémoire de quelques gens de lettres vivants en 1662, dressé par ordre de M. Colbert, Chapelain après avoir parlé de Huet, qui, disait-il, « écrit galam ment bien en prose latine et en vers latin, » et du gentilhomme provençal Du Périer, aujourd'hui très-oublié, continue sa liste en disant : « Fléchier est encore un très-bon poëte latin. »

Vers cette année 1662, faisant un voyage en Normandie, et sans doute pour y voir M. de Montausier nommé gouverneur de cette province, Fléchier arrivait à l'improviste chez Huet avec qui il était très-lié, se glissait à pas de loup jusqu'à lui dans sa bibliothèque et le serrait tout surpris entre ses bras : « Je ne fus pas médiocrement réjoui, nous dit Huet en ses Mémoires, de la visite d'un si agréable ami. » On voit d'ici cette jolie scène familière des deux futurs prélats, dont l'un petit abbé alors, et l'autre un simple gentilhomme normand.

C'est vers ce temps que Fléchier entra dans la maison de M. de Caumartin, maître des requêtes, à titre de précepteur de son fils. M. de Caumartin avait eu d'une première femme, Marie-Urbaine de Sainte-Marthe, un fils qui devint par la suite un magistrat et un administrateur distingué; ce fut l'élève de Fléchier (1). Ayant

(1) Boileau parlait de M. de Caumartin, l'élève de Fléchier, quand il disait dans sa satire xie (1698) :

Chacun de l'équité ne fait pas son flambeau;

Tout n'est pas Caumartin, Bignon, ni Daguesseau.

En lisant, dans les Mémoires de Saint-Simon, le portrait du même M. de Caumartin, conseiller d'État et intendant des finances, mort en 1720, on y découvre des caractères de bonne éducation qui décèlent la main excellente de son précepteur. Après lui avoir reproché d'être glorieux, d'avoir sous son manteau les grands airs que le ma

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