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Jours de Clermont, l'homme éclairé, un magistrat de cour, probe, poli, non pédant, sans passion ni prévention, humain et toujours prêt à graduer la justice, à l'adoucir sans l'énerver. Il est en lutte sourde de prérogative avec ses collègues les commissaires, qui restent obstinément des gens de robe et de palais jusqu'au sein de cette commission royale extraordinaire, et qui résistent à l'idée de devoir être présidés par lui, par un maître des requêtes, en cas d'absence ou de récusation de M. de Novion. Rien n'échappe à M. de Caumartin des ridicules et de la morgue de ses dignes collègues, de même que rien n'échappe à madame de Caumartin la jeune des différents travers et des airs guindés ou évaporés de ces dames, de celles même venues de Paris, et qui ne sont pas tout à fait de son monde. Fléchier touchera tout cela dans le goût de ses patrons, qui est aussi le sien, avec finesse, d'un air d'indulgence et d'une griffe légère.

Durant quatre mois pleins, depuis le 25 septembre 1665, jour d'arrivée à Clermont, jusqu'au 4 février suivant, jour du départ, la maison de M. de Caumartin fut un centre de réunion et pour messieurs des GrandsJours, et pour les principaux de la ville, et même pour ceux de la noblesse qui se rassurèrent à la fin jusqu'à venir affronter la vue des terribles juges. Fléchier, d'un coin du salon où il souriait et causait avec grâce, vit tout et vit bien. C'était, on le conçoit, une partie de plaisir et un régal unique pour ce beau monde de Paris, que cette expédition et ces quartiers d'hiver au cœur d'une province réputée des plus sauvages, cette série de grands crimes, ces exécutions exemplaires auxquelles on n'était pas accoutumé de si près, et entremêlées de dîners, de bals et d'un véritable gala perpétuel. Chapelle et Bachaumont, dix ans auparavant, avaient écrit une Relation de leur voyage pour bien moins. Talle

mant des Réaux, vers ce même temps, notait des historiettes qui étaient moins piquantes et moins relevées en saveur. Fléchier, à sa manière, fit donc comme eux, il écrivit ses historiettes et son voyage, il tint son journal. Il aurait voulu se dérober à cette tâche de société, qu'on ne le lui aurait pas permis. « M. Dongois est le greffier de la cour, à la bonne heure! mais vous, monsieur Fléchier, vous êtes le nôtre. » Il me semble que j'entends le rire et les paroles. On a dû lui dire quelque chose d'approchant.

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Son livre, d'ailleurs, a de la composition, de l'art; Fléchier en met à tout. Il considère les Grands-Jours comme une sorte de tragi-comédie, et il y dispose le touchant, l'horrible, le gai, avec alternative et comme on assortit des nuances. Il ne commence son récit qu'à l'arrivée à Riom, et lorsqu'on est sur la terre d'Auvergne. A propos de la rivalité entre Riom et Clermont, il cite complaisamment des vers de Chapelain, ce qui lui arrivera encore en un autre endroit : il y a là une légère flatterie à l'adresse de Chapelain, l'un de ses protecteurs. Parmi les choses rares de la ville, il se laisse montrer une dame qu'on y estime, tant en esprit qu'en beauté, l'une des merveilles du monde. Il entre dans le détail de cette beauté qui, sans être achevée, lui paraît avoir de l'agrément : « Ceux qui la connaissent particulièrement, dit-il, trouvent en elle quelque chose de plus charmant que cet extérieur, et disent que c'est l'esprit le plus doux, le plus enjoué, le plus insinuant et le plus adroit du monde, qui pense très-justement, donne un tour très-galant à ce qu'elle pense.... Aussi, tiennent-ils la conquête de ses yeux sûre, et ne croient pas que les cœurs les plus sévères puissent tenir une demi-heure contre elle, lorsqu'elle a bien entrepris de les toucher. Je sais des gens qui voulaient bien en faire l'épreuve. » Ces gens-là ne sont autres que lui-même.

N'allons pas faire comme des lecteurs peu avertis. Ne nous en étonnons pas, ne nous en scandalisons pas. Fléchier, à cet âge et dans cette mode de société, est et doit être, au moins en paroles, partisan et sectateur du bel amour raffiné, de l'amour, respectueux à la Scudery; de l'amour, non pas tel qu'on le fait dans le petit monde, mais de celui qui durerait des siècles avant de rien entreprendre et entamer. Il sait sa carte de Tendre, il sait son code et sa procédure des Cours d'amour, il a lu l'Astrée. Lisez donc la première historiette toute romanesque qu'il a mise à dessein en tête des GrandsJours pour les commencer sous de gracieux auspices, et ne pas trop dépayser tout d'abord, lisez-la comme vous feriez d'une nouvelle de Segrais; voyez-y ce qu'il a voulu surtout y montrer, l'application du sentiment et du ton des précieuses chez une belle de province; et tout en notant ce que le récit a pour nous de singulier de la part d'un jeune abbé, qui avait déjà titre alors prédicateur du roi, disons-nous bien : ce n'est là autre chose qu'une contenance admise et même requise dans un monde d'élite, l'attitude et la marque d'un esprit comme il faut. Qu'ajouter encore? la sage madame de Caumartin trouvait cela fort bon chez le précepteur de son fils; madame de Sablé, l'oracle de la justesse et censée convertie, si on lui prêta ensuite la Relation à lire (comme il est bien probable), n'y trouvait pas à redire.

On se met en route de Riom pour Clermont. Fléchier se plaît à décrire le chemin et le paysage qui remplit agréablement l'intervalle. On est dans une longue allée plantée des deux côtés et arrosée d'un double ruisseau : << on découvre en éloignement les montagnes de Forez d'un côté, et une grande étendue de prairies, qui sont d'un vert bien plus frais et plus vif que celui des autres pays. Une infinité de petits ruisseaux serpentent dedans, et font voir un beau cristal qui s'écoule à petit bruit

dans un lit de la plus belle verdure du monde. On voit de l'autre les montagnes d'Auvergne fort proches, qui bornent la vue si agréablement, que les yeux ne voudraient point aller plus loin, car elles sont revêtues d'un vert mêlé qui fait un fort bel effet, et d'ailleurs d'une grande fertilité... » Fléchier en chaque occasion aura de ces descriptions de la nature, descriptions un peu maniérées et qui empruntent volontiers aux choses des salons, au cristal, à l'émeraude, à l'émail, leurs termes de comparaison et leurs images: toutefois, sous l'expression artificielle, on retrouve un certain goût et un sentiment fleuri de la nature.

Chemin faisant il se raille un peu des harangueurs de campagne qui saluent au passage et retardent la marche de messieurs des Grands-Jours. Dès l'arrivée à Clermont sa raillerie change d'objet, et il montre M. Talon dans son zèle, visitant avant tout les prisons << pour voir si elles étaient sûres et capables de contenir autant de criminels qu'il espérait en faire arrêter; et, suivant les chambres et les cachots, il minutait déjà les conclusions qu'il devait donner. » Ainsi débute et va procéder cette douce ironie sans trop avoir l'air d'y toucher; et un peu plus loin il nous donnera de la magnifique harangue d'ouverture de M. Talon une analyse exacte et qui est à la fois malicieuse.

Ce n'est pas que la plaisanterie de Fléchier soit toujours irréprochable; il a du bel esprit, et par endroits du précieux, il a du mauvais goût. Il caresse volontiers son idée jusqu'au bout et concerte son expression; il pousse et redouble à plaisir son antithèse. Il veut introduire de l'agrément en tout et partout, même dans le récit des plus grands crimes. De ces défauts il gardera les uns jusqu'à la fin (1), et il les fondra dans cette

(1) A la date de 1682, Fléchier écrivait encore à mademoiselle Des

manière compassée et ornée, qui, s'appuyant d'une période nombreuse et d'une parfaite justesse de diction, composera son éloquence. D'autres défauts pourtant tenaient à sa jeunesse, et ils disparaîtront avec l'âge. C'est ainsi que dans les Grands-Jours, il parle des habitants des monts « qui ne menacent de rien moins que de brûler ceux qui leur font quelque déplaisir, et qui, étant toujours sous la neige, ne laissent pas d'avoir souvent recours au feu pour se venger. » C'est ainsi qu'il dira, par le même jeu de mots que Racine : « Cependant il est certain que pendant qu'il (un mari) faisait brûler ce chaume, sa femme brûlait d'amour avec son galant. » Pour marquer la fécondité des femmes de Clermont, et le grand nombre d'enfants qu'ont la plupart d'entre elles, il dira que la petite vérole, qui est la contagion des enfants, << s'étant répandue, s'est enfin lassée dans la ville, et après en avoir emporté plus de mille, s'est retirée de dépit qu'elle a eu qu'il n'y parût pas. » Par cette disposition de bel esprit qui s'arrête et se complaît à la bagatelle, Fléchier n'est point de l'école sévère et judidicieuse de Boileau : il a en lui de ce goût qu'aura Fontenelle, et qu'avait Benserade, un goût de ruelles dans le meilleur sens du mot.

Quoique bon et exquis écrivain à sa date, il n'est pas attique l'atticisme est proprement l'opposé du genre

Houlières dans le style de l'hôtel Rambouillet: « J'aurais assez bien reposé la nuit, si je n'avais eu aucune inquiétude de votre mal, et je sens bien que la joie de vous voir achèvera de me guérir. Je ne connais point de remède plus efficace pour moi que celui-là. Faites que je le prenne en repos et à mon aise, autrement je recommencerai à tousser, et vous repondrez à votre cœur de tous les accidents qui pourraient arriver à ma poitrine. » Ces lettres inédites de Fléchier à mademoiselle Des Houlières sont en bonnes mains, et j'espère qu'elles seron bientôt publiées. On y pourrait mettre pour épigraphe ce joli mot de lui à elle : « Quand l'amitié est solide, sincère et tendre, on s'entend, et quand il le faut, on se devine. >>

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