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M. le Cardinal de Richelieu, sur ce que l'on disait qu'il avait empoisonné le roi, et parlait-on de tirer son corps de Sorbonne et le traîner par les rues, et l'on disait que l'on avait ôté toute magnificence, même retiré son corps.» On retira en effet son corps, et on le porta pour plus de sûreté dans la Bastille,- Quand on reçoit au Parlement son neveu, le marquis de Brezé, pour le duché de Fronsac (30 avril), on ne fait aucune action oratoire, selon l'usage, aucune plaidoirie, « étant trop jeune pour parler de lui, et la mémoire du Cardinal étant trop odieuse pour en parler. » Un autre de ses neveux, le marqnis de Pont-de-Courlay, est insulté dans le même temps à Saint-Germain, et il aurait été maltraité des pages et des laquais « sans l'assistance de quelques gardes qui croisèrent leurs hallebardes pour empêcher l'entrée d'une porte où il venait d'entrer. » Ce ne sont pas seulement les pages et laquais, ce n'est pas seulement le menu peuple, qui est ingrat envers le Cardinal, c'est le roi qui, en mourant dévotement, lui paye cette dette de reconnaissance pour toute la grandeur qu'il avait donnée à son règne; et en effet qu'aurait-il été, ce roi, sans le Cardinal qui, pendant vingt ans, ne lui avait jamais fait faire les choses que par contrainte: «De sorte que pendant sa maladie il disait que les peines et contraintes que le Cardinal avait faites sur son esprit l'avaient réduit en l'état où il était. » Louis XIII mort, la rage du bon peuple est au comble; neveux et nièces du Cardinal, les marquis de Brezé et de Pont-de-Courlay et la duchesse d'Aiguillon, sont obligés de se retirer d'appréhension et de se jeter dåns le Havre. On se raconte des horreurs sur ce Cardinaltyran: << Il en était venu à tel point, lorsqu'il mourut, qu'il ne voulait plus voir le roi que le plus fort, et avait dans sa maison trois caves capables de tenir près de trois mille hommes. » M. le prince de Condé, toujours

«

si plat envers celui qui règne et de qui il espère, lui qui avait un jour imploré à genoux comme un honneur l'alliance du Cardinal vivant, s'élève maintenant tout haut, en plein Parlement, contre ce qui s'est fait «< sous une puissance qui allait jusques à la tyrannie. » Il a même le dessein de faire casser le mariage de son fils, le grand Condé, avec la nièce du Cardinal, de le faire déclarer nul; et quand il naît un fils de ce mariage (26 juillet 1643), il ne peut contenir sa honteuse douleur:

• Madame la comtesse de Morel, qui était présente au travail de la duchesse d'Enghien, a raconté que lorsqu'on annonça que c'était un garçon, l'on vit M. le Prince et madame la Princesse changer de visage comme ayant reçu un coup de massue, et qu'ils en témoignérent très-grande douleur; que madame la Princesse à qui l'on présentait plusieurs nourrices avait dit qu'il ne fallait point choisir, que la première était bonne pour ce que c'était. Il faut qu'ils craignent, ajoute l'honnête d'Ormesson, que recevant si mal une grâce de Dieu, il les en punisse. »

Est-ce assez de lâcheté? On est un peu soulagé de tout le dégoût qu'elle inspire, lorsqu'on rencontre la lettre suivante du Cardidal Mazarin, adressée au maréchal de Brezé, l'un des neveux de Richelieu (28 mai 1643):

• Monsieur, bien que je ne pusse recevoir de douleur plus sensible que d'ouïr déchirer la réputation de M. le cardinal, si est-ce que je considère qu'il faut laisser prendre cours, sans s'en émouvoir, à cette intempérance d'esprit, dont plusieurs Français sont travaillés. Le temps fera raison à ce grand homme de toutes ces injures, et ceux qui le blâment aujourd'hui connaîtront peut-être à l'avenir combien sa conduite eût été nécessaire pour achever la félicité de cet État, dont il a jeté tous les fondements. Laissons donc évaporer en liberté la malice des esprits ignorants on passionnés, puisque l'opposition ne servirait qu'à l'irriter davantage, et consolons-nous par les sentiments qu'ont de sa vertu les étrangers, qui en jugent sans passion et avec lumière. Ce que vous m'écrivez même de la sédition qui a failli plusieurs fois s'exciter à Angers est une preuve du bien que causait le seul nom et la seule autorité de cet incomparable Ministre... »

Dix-huit mois environ après que cette lettre était

écrite, le Cardinal Mazarin, que d'Ormesson nous montre, la première fois qu'il le voit au Conseil, « grand, de bonne mine, bel homme, le poil châtain, un œil vif et d'esprit, avec un grande douceur dans le visage,» avait si bien fait son chemin et assuré son crédit auprès de la reine, qu'il avait la Cour à ses pieds. «Les pièces de médisance commençaient à courir (décembre 1644), et l'on se plaignait du gouvernement: on regrettait celui du Cardinal de Richelieu. C'est ce qui a toujours été et sera se plaindre du temps présent.»

Voilà aussi ma leçon pour aujourd'hui. Et ma conclusion sur l'auteur du Journal sera en deux mots, qu'en histoire comme dans le procès de Fouquet, M. d'Ormesson a été un bon et fidèle rapporteur. C'est proprement sa fonction. Toute une vie d'équité, et à la fin, dans la ligne de ses devoirs, et sans l'avoir cherchée, une occasion d'éclat, une journée d'honneur immortel (4).

(1) « Je vous mandai samedi comme M. d'Ormesson avait rapporté l'affaire et opiné; mais je ne vous parlai point assez de l'estime extraordinaire qu'il s'est acquise par cette action. J'ai oui dire à des gens du métier que c'est un chef-d'œuvre que ce qu'il a fait, pour s'être expliqué si nettement, et avoir appuyé son avis sur des raisons si solides et si fortes; il y mêla de l'éloquence, et même de l'agrément. Enfin jamais homme de sa profession n'a eu une plus belle occasion de paraître, et ne s'en est mieux servi. » (Lettre de madame de Sévigné à M. de Pomponne, du mercredi 17 décembre 1664.)

Lundi, 29 octubre 4340.

MÉLANGES

DE CRITIQUE RELIGIEUSE

PAR M. EDMOND SCHERER (1).

Il faut bien s'y résigner; il y a des noms qu'on ne connaissait pas hier et qu'il faut se mettre à apprendre aujourd'hui; il y a, en dehors de ceux qu'on cite tous les jours, des mérites et des talents réels qui font tôt ou tard leur entrée et leur avénement dans notre monde. Ils étaient déjà connus depuis longtemps ailleurs, loin de Paris, hors de France; et en Franee, et à Paris qui est toute la France (au moins en littérature), on ne fait attention qu'à ce qui revient sans cesse sous les yeux, à ce qui résonne de près aux oreilles. Qui a entendu parler de M. Edmond Scherer, hors du monde protestant qu'il a étonné pourtant et peut-être scandalisé dans ces dernières années, presque autant que M. Ernest Renan a pu faire pour notre monde orthodoxe? Et voila bientôt dix ans que M. Edmond Scherer s'est fait une réputation solide et originale, non-seulement comme hébraïsant, mais comme critique théologien, comme investigateur historique aussi précis que hardi dans l'examen des textes du Nouveau Testament, et

(1) Paris, Cherbuliez, rue de la Monnaie, 10.

aussi comme écrivain philosophique du premier ordre. Sa place est entre M. Ernest Renan et M.Taine, qu'il apprécie et juge avec supériorité et indépendance : il faudrait peu de chose, selon moi, pour que le volume qu'il publie, et qui est le recueil des articles qu'il a insérés soit dans la Revue de Théologie, éditée à Stras bourg, soit dans la Bibliothèque universelle de Genève, le classât d'emblée dans l'estime publique à côté des esprits éminents auxquels il ne le cède ni par la science ni par la sagacité.

Le volume se compose de deux parties fort distinctes et qui eussent gagné à être séparées. La première partie comprend des travaux théologiques proprement dits, qui ont la forme et portent le cachet de l'école germanique-française, et plus germanique que française. Quand on écrit pour de purs savants et si près du Rhin, on ne se gêne guère, on emploie leur langage, leur phraséologie, les termes en usage dans les controverses engagées. Cela abrége. Quand je veux m'instruire, je passe là-dessus, je marche sur ces cailloux au risque de m'écorcher un peu ; mais jamais pour le grand public français, jamais dans la patrie de Malebranche et de Jouffroy je ne croirai qu'il est nécessaire ou utile de se servir de ces termes que je prends au hasard, le déterminisme, l'hypothèse d'une chute préexistentielle, l'existence de l'inconditionné, etc. Aussi eussé-je désisé que M. Scherer eût recueilli dans un volume à part toutes ces discussions très-élevées, très-subtiles, mais d'une difficile lecture, sur le péché inné ou non inné, le libre arbitre, la coulpe et la grâce, etc. Le public sérieux, religieux, qui aime ces discussions et qui se prête au jargon d'école ou, si l'on aime mieux, à l'espèce d'annotation algébrique qu'elles supposent, les aurait bien su trouver.

J'aurais eu regret cependant que l'auteur eût com

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