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Mais, Seigneur, les Exemts vous font-ils inconnus ? Non, non, dans les dangers ils font plus retenus ; Vous les verrez toûjours retournans en arriere, Laiffer entr'eux & nous, une large carriere.

En quels lieux ferions-nous d'auffi grands Coups qu'ici ?

Nos projets, grace au Ciel, n'ont-ils
pas réüffi?
Pourquoi tenter dehors des courfes inutiles

Quand ces vaftes, Remparts font pour nous fi fertiles?

Chaque nuit, même aux yeux du Guet en faction, Nous mettons tout Paris à contribution.

Un

Seigneur, ne craignez point de triftes destinées trop puiffant Démon veille fur vos années; On a dix fois fur vous attenté fans fuccès, Et parmi tant d'Exemts il n'eft plus de Degrès. Restez; de plus en plus rendez-vous formidable; Soyez toujours fameux, & toûjours imprenable: Que les Archers preffez de l'un à l'autre bout, Doutent où vous ferez & vous trouvent partout, Allez au Bal, au Cours, au Spectacle, à la Foire; Plus grands font les Périls & plus grande eft la Gloire. La (a) Pouffe trouve en vous un fatal ennemi, Plus conjuré, plus craint que ne fut (b) Guilleri: Bravez tous les Revers, forcez tous les Obftacles; Il n'apartient qu'à Vous d'enfanter des miracles: Marchez à nôtre tête ; avec ce Camp volant, Vous ferez redoutable à l'égal de Roland.

Le vaillant Rodomont, cet homme infatigable,
Limofin, la Valeur, furent d'avis semblable;
Le beau Peliffier fi connu dans Lyon,

Belle-humeur, Bras-de-fer ce hardi Champion,
Tous donnerent leur voix pour refter dans la Ville.

(a) C'eft le corps des Archers.

(b) Fameux voleur du fiecle paffé.

AT

Cartouche alors fe leve & dit d'un air tranquile,
N'en déliberons plus, ç'en eft fait, mes Amis,
Je paffe au plus de Voix, demeurons dans Paris;
Rempliffons-y fes murs du bruit de nôtre Gloire,
Ou, s'il y faut périr, (ce que je n'ofe croire)
Périffons-y du moins les armes à la main.

Ça, Meffieurs, partageons un peu notre Butin.
Alors chacun fe fouille, & raporte à la maffe
Le produit de l'adreffe, ainfi que de l'audace.
Ils partagent entr'eux le Butin de la nuit,
Qui pour cette fois là ne rendit pas grand fruit.
Le General voyant tromper fon efperance,
Grondant entre fes dents fait voir fa défiance.
Hom, hom, quelqu'un ici vole fes Compagnons :
Meffieurs, volons, pillons, affommons, échignons,
Mais de grace, entre nous, point de friponnerie,
Obfervons les Statuts de notre Confrairie.

Ah! dirent-ils, chaffez ces foupçons outrageans, Vous n'avez dans ce lieu que des honnêtes gens, Nous en jurons. Eh bien, dit-il, je veux le croire, N'en parlons plus, allez vous repofer & boire. Au reste, vous fçavez qu'il fe faut tenir prêts, Pour ce grand coup de main dans l'Hôtel Desmaretz. Si nous réüffiffons au gré de nôtre envie, Nous ferons enrichis pour toute notre vie: Les Bijoux précieux s'y trouvent à foifon, Les Sacs d'Or & d'Argent roulent dans la maison. Je ne vous flatte point, le Péril eft terrible; Mais que n'entreprend point un Courage invincible? Je fens naître en mon ame un favorable espoir : Soyons prêts pour tantôt ; marchons, & fans prévoir Les Coups de la fortune, ou propice, ou funefte, Faifons notre Devoir, Elle fera le refte.

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ARTOUCHE fachant mettre à profit ses loisirs,
CA
Cartendant le travail, fe livroit aux plaifirs;

Entre Mars & l'Amour, tout fon tems fe partage.
Dans une ruë étroite, au quatrième étage,
Logeoit depuis un an, vers le Palais Royal,
Une Fille de bien qui fe gouvernoit mal

Cartouche frequentoit cette tendre Poulette;
Salope, s'il en fut, d'ailleurs affez bien faite.
Oeil fripon, petit nez retrouffé, teint fleury,
Friande d'un Amant bien plus que d'un Mari,
Fourbe au dernier degré, Mutine jufqu'à battre,
Menteuse comme trois, Coureufe comme quatre;
Son cœur fut captivé par ce jeune tendron,
Que chacun apelloit la grande Janeton.

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Elle s'entretenoit avec une Voifine
Bonne piece, égrillarde & de même farine,
Attendant le moment qui devoit amener,
Son cher avec lequel elle devoit dîner.

Songeant à fon mignon, l'eau lui vient à la bouche;
Elle ne peut parler que de fon cher Cartouche.
Qu'il eft fier! qu'il eft grand! Tes-tu fait raconter
Le nombre des Exploits... Mais qui les peut compter?
Qu'il refte dans Paris, qu'il batte la Campagne,
Son Courage le fuit, fa Valeur l'accompagne;
Sa Prudence, fes Soins & fon Activité,

Me charment plus cent fois, que ne fait fa Beauté.
En quels lieux n'a-t-il pas entraîné la Victoire ?

Dans les murs, hors des murs, tout parle de fa Gloire;
Le Ciel me le devoit pour combler mes plaifirs,
Lui feul fçait contenter mes plus ardens defirs.
Je vais bientôt le voir. Hé bien, chere Nanette
Conçois-tu les tranfports de l'heureufe Janette?
Qu'il me tarde déja de me voir près de lui !
Je ne l'ai point encor embraffé d'aujourd'hui.

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Ne feroit-ce point lui, ma bonne, qui fe mouche?
Non; tout ce que j'entens me femble être Cartouche.
Que ne puis-je nombrer fes Exploits, fes Travaux?
Combien de fois... A peine elle achevoit ces mots,
Il arrive, & foudain chacun fe met à table;
Le Vin fut excellent, l'Entretien agréable.

Cartouche bien repû, voyant l'heure à peu près.
Qu'il falloit travailler dans l'Hôtel Defmaretz;
Il est tems, Janeton, dit-il, que je te quitte
De mes braves Amis je vais joindre l'élite :
Je reviendrai dans peu; compte fur un Habit,
Et fur un beau Jupon, fi le cas réüffit.

pour

lui-même,

Sa Janeton qui l'aime, & l'aime
N'envisageant alors que fon péril extrême,
Comme il alloit fortir, vîte après lui courut,
Et pour le retenir fit tout ce qu'elle put.
Mais à la fin voyant qu'il méprifoit fes craintes,
Qu'il étoit infenfible à fes cris, à fes plaintes.
C'en est donc fait, tu pars, tu braves ma douleur,
Tu cours, infortuné, tu cours à ton malheur.
Je n'ai pour t'arrêter que d'inutiles charmes; "
Ingrat, mets-tu ta gloire à méprifer mes larmes ?
Quoi, ta Maitreffe en pleurs toute prête à mourir,
Ne fçauroit t'arracher cette ardeur de courir!
J'ai méprisé pour toi le nom d'honnête fille ;
Je t'ai cherché moi-même au fond de la Courtille,
Au nom de nôtre Enfant, de ce gentil Poupart,
Differe au moins d'un jour ce funefte départ.

Crains les Archers, ce Guet fi vaillant, fi terrible.
Mais je te prie en vain, tu parois infléxible;
Sur ton barbare cœur mes pleurs font fans pouvoir.
Ce n'eft, répondit-il, qu'à la Loi du Devoir,
Qu'il faut, ô Janeton ! qu'un grand cœur obéiffe ;
Crois-moi, féche tes pleurs, que leur fource tariffe.
Je n'oublierai jamais les folides plaifirs,

Dont ton amour prodigue a comblé mes defirs.
Avant que tes faveurs fortent de ma memoire,
On verra fans Filoux, & l'une & l'autre Foire;
Mais l'heure enfin s'avance, il faut quitter ce lieu.
Adieu, ma Janeton, adieu, ma Reine, adieu.
Il la quitte à ces mots : Janeton effarée,
Demeure le teint pâle & la vûë égarée;
Et penfant déja voir fon Amant au Cercueil,
S'arrache les cheveux, veut fe pocher un œil.

Sa compagne Nanette, experte & bonne langue, Lui faifit les deux mains, lui parle, la harangue; Lui laiffe prudemment jetter fon premier feu; Pour y mieux réüffir met l'amour propre en jeu ; Fait voir adroitement à cette défolée, L'horreur d'un œil poché, d'une tête pelée.

Jeane revient un peu, goûte fort fes discours, Et de fon defespoir interrompant le cours,

Tu vois, dit cette Amante, en quel fiécle nous fommes. Voilà, voilà comment nous traitent ces chiens d'Hom

mes;

Voilà ce qui nous refte, & l'ordinaire effet

"Le prix le plus commun de l'amour fatisfait.

Dès

Tant que nous tenons bon, Nous fommes Souveraines
Les gueux font à nos pieds, ils nous traitent de Reines ;
que nous nous rendons ils font Rois à leur tour.
Ton Cartouche pour toi ne manque point d'amour
Dit Nanette; s'il court à cet exploit infigne,
Par-là, de tes faveurs il veut fe rendre digne ;

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