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SCENE XI.

SBRIGANI, M. DE POURCEAUGNAC, DEUX ADVOCATS MUSICIENS, DONT L'UN PARLE FORT LENTEMENT ET L'AUTRE FORT VISTE, ACCOMPAGNEZ DE DEUX PROCUREURS ET DE DEUX SER

GENS.

L'ADVOCAT, traisnant ses paroles.
La poligamie est un cas,
Est un cas pendable.
L'ADVOCAT bredoüilleur.
Vostre fait

Est clair et net,

Et tout de droit

Sur cet endroit

Conclut tout droit.

Si vous consultez nos autheurs,

Legislateurs et glossateurs,
Justinian, Papinian,
Ulpian et Tribonian,
Fernand, Rebuffe, Jean Imole,
Paul, Castre, Julian, Barthole,
Jason, Alciat et Cujas,

Ce grand homme si capable,
La poligamie est un cas,
Est un cas pendable.

Tous les peuples policez,
Et bien sensez,

Les François, Anglois, Hollandois,
Danois, Suedois, Polonois,
Portugais, Espagnols, Flamans,
Italiens, Allemans,

Sur ce fait tiennent loy semblable,
Et l'affaire est sans embarras:
La poligamie est un cas,
Est un cas pendable.

(Monsieur de Pourceaugnac les bat. Deux procureurs et deux sergens dancent une entrée qui finit l'acte.)

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ACTE III

O

SCENE PREMIERE.

ERASTE, SBRIGANI.

SBRIGANI.

UY, les choses s'acheminent où nous voulons; et, comme ses lumieres sont fort petites et son sens le plus borné du monde, je luy ay fait prendre une frayeur si grande de la severité de la justice de ce païs, et des aprests qu'on faisoit déja pour sa mort, qu'il veut prendre la fuite; et, pour se dérober avec plus de facilité aux gens que je luy ay dit qu'on avoit mis pour l'arrester aux portes de la ville, il s'est résolu à se déguiser, et le déguisement qu'il a pris est l'habit d'une femme.

ERASTE.

Je voudrois bien le voir en cet équipage.
SBRIGANI.

Songez de vostre part à achever la comedie; et, tandis que je joueray mes scenes avec luy, allezvous-en... [Il lui parle à l'oreille.] Vous entendez bien ?

Oüy.

ERASTE.

SBRIGANI.

Et lorsque je l'auray mis où je veux... [Il lui parle à l'oreille.]

Fort bien.

ERASTE.

SBRIGANI.

Et quand le pere aura esté averty par moy... [Il lui parle à l'oreille.]

ERASTE.

Cela va le mieux du monde.

SBRIGANI.

Voicy nostre demoiselle; allez viste, qu'il ne nous voye ensemble.

SCENE II.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC EN femme,

SBRIGANI

SBRIGANI.

Pour moy, je ne croy pas qu'en cet état on puisse jamais vous connoistre, et vous avez la mine comme cela d'une femme de condition.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Voila qui m'étonne, qu'en ce païs-cy les formes de la justice ne soient point observées.

SBRIGANI.

Oüy, je vous l'ay déja dit, ils commencent icy

par faire pendre un homme, et puis ils luy font son procés.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Voila une justice bien injuste.

SBRIGANI.

Elle est severe comme tous les diables, particulierement sur ces sortes de crimes

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Mais quand on est innocent?

SBRIGANI.

N'importe, ils ne s'enquestent point de cela ; et puis ils ont en cette ville une haine effroyable pour les gens de vostre païs, et ils ne sont point plus ravis que de voir pendre un Limosin.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Qu'est-ce que les Limosins leur ont fait?

SBRIGANI.

Ce sont des brutaux, ennemis de la gentillesse et du merite des autres villes. Pour moy, je vous avouë que je suis pour vous dans une peur épouvantable; et je ne me consolerois de ma vie si vous veniez à estre pendu.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Ce n'est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir que de ce qu'il est fâcheux à un gentilhomme d'estre pendu, et qu'une preuve comme celle-là feroit tort à nos titres de noblesse.

SBRIGANI

Vous avez raison, on vous contesteroit aprés cela le titre d'escuyer. Au reste, étudiez-vous, quand je vous meneray par la main, à bien marcher

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