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IPHIGÉNIE,

TRAGEDIE.

1674.

PREFACE.

Il n'y a rien de plus célebre dans les poëtes que le

sacrifice d'Iphigénie : mais ils ne s'accordent pas tous ensemble sur les plus importantes particularités de ce sacrifice. Les uns, comme Eschyle dans AGAMEM= NON, Sophocle dans ELECTRE, et, après eux, Lucrece, Horace, et beaucoup d'autres, venlent qu'on ait en effet répandu le sang d'Iphigénie, fille d'Agamen= non, et qu'elle soit morte en Aulide. Il ne faut que lire Lucrece au commencement de son premier livre: Aulide quo pacto Triviaï virginis aram Iphianassaï turpârunt sanguine fœde Ductores Danaûm, etc.

Et Clytemnestre dit dans Eschyle qu'Agamemnon son mari, qui vient d'expirer, rencontrera dans les enfers Iphigénie sa fille, qu'il a autrefois immolée.

D'autres ont feint que Diane ayant eu pitié de cette jeune princesse l'avoit enlevée et portée dans la Tauride au moment qu'on l'alloit sacrifier, et que la déesse avoit fait trouver en sa place ou une biche, ou une autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable, et Ovide l'a mise au nombre des métamorphoses.

Il y a une troisieme opinion, qui n'est pas moins ancienne que les deux autres, sur Iphigénie. Plusieurs auteurs, et entre autres Stésichorus, l'un des plus fameux et des plus anciens poëtes lyriques, ont écrit qu'il étoit bien vrai qu'une princesse de ce nom avoit été sacrifiée, mais que cette Iphigénie étoit une fille qu'Hélene avoit eue de Thésée. Hélene, disent ces auteurs, ne l'avoit osé avouer pour sa fille, parce= qu'elle n'osoit déclarer à Ménélas qu'elle eût été mariée en secret avec Thésée. Pausanias (Corinth.

pag. 125) rapporte et le témoignage et les noms des poëtes qui ont été de ce sentiment; et il ajoute que c'étoit la créance commune de tout le pays d'Argos.

Homere enfin, le pere des poëtes, a si peu prétendu qu'Iphigénie, fille d'Agamemnon, eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée dans la Scythie, que, dans le neuvieme livre de l'Iliade, c'est-à-dire près de dix ans depuis l'arrivée des Grecs devant Troie, Agamemnon fait offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu'il a, dit-il, laissée à Mycenes, dans sa maison.

J'ai rapporté tous ces avis si différents, et sur-tout le passage de Pausanias, parceque c'est à cet anteur que je dois l'heureux personnage d'Eriphile, sans le= quel je n'aurois jamais osé entreprendre cette tragé= die. Quelle apparence que j'eusse souillé la scene par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'il falloit représenter Iphigénie? Et quelle apparence encore de dénouer ma tragédie par le secours d'une déesse et d'une machine, et par une métamorphose, qui pouvoit bien trouver quelque créance du temps d'Euripide, mais qui seroit trop absurde et trop incroyable parmi nous ?

Je puis dire donc que j'ai été très heureux de trou= ver dans les anciens cette autre Iphigénie, que j'ai pu représenter telle qu'il m'a plu, et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse vouloit précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d'être punie, sans être pourtant tout-à-fait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la piece est tiré du fond même de la piece. Et il ne faut que l'avoir vu représenter pour comprendre quel plaisir j'ai fait au spectateur, et en sauvant à la fin une princesse vertueuse pour qui il s'est si fort intéressé dans le cours de la tragédie, et en la sauvant par une autre voie que par un miracle,

qu'il n'auroit pu souffrir, parcequ'il ne le sauroit ja= mais croire.

Le voyage d'Achille à Lesbos, dont ce héros se rend maître, et d'où il enleve Eriphile avant que de venir en Aulide, n'est pas non plus sans fondement. Euphorion de Chalcide, poëte très connu parmi les anciens, et dont Virgile (Eglog. 10) et Quintilien (Instit. l. 10) font une mention honorable, parloit de ce voyage de Lesbos. Il disoit dans un de ses poë= mes, au rapport de Parthénius, qu'Achille avoit fait la conquête de cette isle avant que de joindre l'armée des Grecs, et qu'il y avoit même trouvé une princesse qui s'étoit éprise d'amour pour lui.

Voilà les principales choses en quoi je me suis un peu éloigné de l'économie et de la fable d'Euripide. Pour ce qui regarde les passions, je me suis attaché à le suivre plus exactement. J'avoue que je lui dois un bon nombre des endroits qui ont été le plus ap= prouvés dans ma tragédie; et je l'avoue d'autant plus volontiers, que ces approbations m'ont confirmé dans l'estime et dans la vénération que j'ai toujours eues pour les ouvrages qui nous restent de l'antiquité. J'ai reconnu avec plaisir, par l'effet qu'a produit sur notre théâtre tout ce que j'ai imité ou d'Homere ou d'Euripide, que le bon sens et la raison étoient les mêmes dans tous les siecles. Le goût de Paris s'est trouvé conforme à celui d'Athenes: mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grece, et qui ont fait dire qu'entre les poëtes Euripide étoit extrê mement tragique, TRAGICÔTATOS, c'est-à-dire, qu'il savoit merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie.

Je m'étonne après cela que les modernes aient témoigné depuis peu tant de dégoût pour ce grand poëte, dans le jugement qu'ils ont fait de son AL

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