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pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un couvent, que vous avez rompu des vœux qui vous engageoient autre part, et que le ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste. J'ai cru que notre mariage n'étoit qu'un adultère déguisé, qu'il nous attireroit quelque disgrace d'en haut, et qu'enfin je devois tâcher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner à vos premières chaînes. Voudriez-vous, madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le ciel sur les bras; que par?...

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ACTE SECOND.

Le théâtre représente une campagne au bord de la mer.

SCÈNE PREMIÈRE.

CHARLOTTE, PIERROT.

CHARLOTTE.

Notre dinse, Piarrot, tu t'es trouvé là bien à point.

PIERROT.

Parguienne, il ne s'en est pas fallu l'époisseur d'une éplingue, qu'il ne se sayant nayés tous deux.

CHARLOTTE.

C'est donc le coup de vent d'à matin qui les avoit renvarsés dans la mar?

PIERROT.

Aga', quien, Charlotte, je m'en vas te conter tout fin drait comme cela est venu; car, comme dit l'autre, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin donc j'étions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la tête;

Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela, car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batinous autres.

Madame...

DON JUAN.

DONE ELVIRE.

Il suffit. Je n'en veux pas ouir davantage, et je m'accuse même d'en avoir trop entendu. C'est une lâcheté que de se faire expliquer trop sa honte ; et, sur de tels sujets, un noble cœur, au premier mot, doit prendre son parti. N'attends pas que j'éclate ici en reproches et en injures; non, non, je n'ai point un courroux à exhaler en paroles vaines, et toute sa chaleur se réserve pour sa vengeance. Je te le dis en- | core, le ciel te punira, perfide, de l'outrage que tu me fais; et, si le ciel n'a rien que tu puisses appréhender, appréhende du moins la colère d'une femme offensée.

SCÈNE IV.

DON JUAN, SGANARELLE.

SGANARELLE, à part.

Si le remords le pouvoit prendre.

DON JUAN, après un moment de réflexion. Allons songer à l'exécution de notre entreprise

amoureuse.

SGANARELLE, seul.

foler, et moi, par fouas, je batifole itou. En batifolant donc, pisque batifoler y a,j'ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouilloit dans gliau, et qui venoit comme envars nous par secousse. Je voyois cela fixiblement, et pis tout d'un coup je voyois que je ne voyois plus rian. Hé! Lucas, c'ai-je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant là-bas. Voire, ce m'at-il fait, t'as été au trépassement d'un chat, t'as la vue trouble'. Palsanguienne, c'ai-je fait, je n'ai point la vue trouble, ce sont des hommes. Point du tout, ce m'a-t-il fait, t'as la barlue. Veux-tu gager, c'ai-je fait, que je n'ai pas la barlue, c'ai-je fait, et que ce sont deux hommes, c'ai-je fait, qui nageant droit ici, c'ai-je fait? Morguienne, ce m'a-t-il fait, je gage que non. Oh! çà, c'ai-je fait, veux-tu gager dix sous que si? Je le veux bian, ce m'a-t-il fait; et, pour te montrer, vlà argent su jeu, ce m'at-il fait. Moi, je n'ai point été ni fou, ni étourdi ; j'ai bravement bouté à tarre quatre pièces tapées, et cinq sous en doubles, jerniguienne, aussi hardiment que si j'avois avalé un varre de vin; car je sis hasardeux, moi, et je vas à la débandade. Je savois bian ce que je faisois pourtant. Queuque gniais! Enfin donc, je

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Aga est une interjection d'admiration encore usitée dans quelques pays de France. Elle n'est point tirée du grec, comme plusieurs hellénistes l'ont pensé. La nature l'a fournie à nos an

Ah! quel abominable maître me vois-je obligé de cetres comme les autres interjections, ah! oh! eh! (MÉN.)

servir!

'Ce proverbe, fondé sur quelque superstition populaire, sc trouve dans la Comédie des Proverbes, d'Adrien de Montluc

« Tu as la berlue; je crois que tu as été au trépassement d'un » chat, tu vois trouble. » (A.)

brassières, qui ne leu venont pas 'jusqu'au brichet' et, en glieu de rabats, un grand mouchoir de cou à réziau, aveuc quatre grosses houpes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. Ils avont itou d'autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes, et, parmi tout ça, tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraie piquié. Ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soyont farcis tout depis un bout jusqu'à l'autre; et ils sont faits d'eune façon que je me romprois le cou aveuc.

n'avons pas putôt cu gagé, que j'avons vu les deux | que d'ici à Pâques : en glieu de pourpoint, de petites hommes tout à plain, qui nous faisiant signe de les aller querir; et moi de tirer auparavant les enjeux. Allons, Lucas, c'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont; allons vite à leu secours. Non, ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre. Oh! donc, tanquia, qu'à la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une barque, et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau, et pis je les avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés tout nus pour se sécher, et pis il y en est venu encore deux de la même bande, qui s'équiant sauvés tout seuls, et pis Mathurine est arrivée là à qui l'en a fait les doux yeux. Vlà juste- | ment, Charlotte, comme tout ça s'est fait.

CHARLOTTE.

CHARLOTTE.

Par ma fi, Piarrot. il faut que j'aille voir un peu ça. Oh! acoute un peu auparavant, Charlotte. J'ai

PIERROT.

Ne m'as-tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est queuque autre chose à te dire, moi. bien pu mieux fait que les autres?

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Nannain, ils l'avont r'habillé tout devant nous. Mon guieu, je n'en avois jamais vu s'habiller. Que d'histoires et d'engingorgniaux boutont ces messieuxlà les courtisans ! Je me pardrois là-dedans, pour moi, et j'étois tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu tête; et ils boutont ça, après tout, comme un gros bonnet de filasse. Ils ant des chemises qui ant des manches où j'entrerions tout brandis, toi et moi. Englieu d'hautde-chausse, ils portont un garde-robe aussi large

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Ardez, abréviation de regardez. · On dit figurément, il en a pour sa mine de fèves, pour, il a été attrapé, il en a cu pour son compte, La mine est une mesure qui contient la moitié d'un setier.

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Engingorniaux, parure, ornement de cou. Ce mot patois est probablement composé de l'ancienne expression engin, invention, et de gorgère, gorgius, gorge, invention pour le cou. Ce qui a surtout frappé Pierrot, c'est ce grand mouchoir de cou à réseau avec quatre grosses houpes de linge qui leur pendoient sur l'estomac.

Les villageoises portoient alors sur leur jupon une espèce de tablier appelé garde-robe. Ce mot a perdu cette signification.

CHARLOTTE.

Hé bian! dis, qu'est-ce que c'est?

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Non, tu ne m'aimes pas, et si, je fais tout ce que je

'Le creux qui est au haut de l'estomac. Ce mot dérive de l'allemand brechen, rompre, couper. (MĖN.)

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PIERROT.

Je revians tout à l'heure; je m'en vas boire chopaine, pour me rebouter tant soit peu de la fatigue que j'ais eue.

SCÈNE II.

Non. Quand ça est, ça se voit, et l'on fait mille petites singeries aux parsonnes quand on les aime du bon du cœur. Regarde la grosse Thomasse, comme elle est assottée du jeune Robain; alle est toujou autour de li à l'agacer, et ne le laisse jamais en repos. Toujou al li fait queuque niche, ou li baille queuque taloche en passant; et l'autre jour qu'il étoit assis sur un escabiau, al fut le tirer de dessous li, et le fit DON JUAN, SGANARELLE, CHARLOTTE, cheoir tout de son long par tarre. Jarni vlà où l'en voit les gens qui aimont; mais toi, tu ne me dis jamais mot, t'es toujou là comme eune vraie souche de bois; et je passerois vingt fois devant toi, que tu ne te grouillerois pas pour me bailler le moindre ou me dire la moindre chose. Ventreguienne! ça n'est pas bian, après tout; et t'es trop froide pour les

gens.

CHARLOTTE.

coup,

dans le fond du théâtre.

DON JUAN.

Nous avons manqué notre coup, Sganarelle, et cette bourrasque imprévue a renversé avec notre barque le projet que nous avions fait; mais, à te dire vrai, la paysanne que je viens de quitter répare ce malheur, et je lui ai trouvé des charmes qui effacent de mon esprit tout le chagrin que me donnoit le mau

Que veux-tu que j'y fasse? C'est mon himeur, et vais succès de notre entreprise. Il ne faut pas que je ne me pis refondre.

PIERROT.

Ignia himeur qui quienne. Quand on a de l'amiquié pour les parsonnes, l'on en baille toujou queuque petite signifiance.

CHARLOTTE.

ce cœur m'échappe, et j'y ai déja jeté des dispositions à ne pas me souffrir long-temps de pousser des soupirs.

SGANARELLE.

Monsieur, j'avoue que vous m'étonnez. A peine sommes-nous échappés d'un péril de mort, qu'au lieu

Enfin ! je t'aime tout autant que je pis, et si tu de rendre grace au ciel de la pitié qu'il a daigné prendre de nous, vous travaillez tout de nouveau à attin'es pas content de ça, tu n'as qu'a en aimer queuque autre. rer sa colère par vos fantaisies accoutumées, et vos

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Morgué! queu mal te fais-je? Je ne te demande relle? As-tu rien vu de plus joli? et ne trouves-tu pas, qu'un peu d'amiquié.

dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre ?

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CHARLOTTE,

Charlotte, pour vous servir.

DON JUAN.

DON JUAN.

Sganarelle, regarde un peu ses mains.

CHARLOTTE.

Fi, monsieu, elles sont noires comme je ne sais

quoi.

DON JUAN.

Ah! que dites-vous là? Elles sont les plus belles du monde; souffrez que je les baise, je vous prie.

CHARLOTTE.

Monsieu, c'est trop d'honneur que vous me faites, et si j'avois su ça tantôt, je n'aurois pas manqué de les laver avec du son.

DON JUAN.

Hé! dites-moi un peu, belle Charlotte, vous n'êtes pas mariée, sans doute?

CHARLOTTE.

Non, monsieu; mais je dois bientôt l'être avec Piarrot, le fils de la voisine Simonette.

DON JUAN.

Quoi! une personne comme vous seroit la femme d'un simple paysan! Non, non, c'est profaner tant de beautés, et vous n'êtes pas née pour demeurer dans

Ah! la belle personne, et que ses yeux sont péné- un village. Vous méritez, sans doute, une meilleure

trants!

CHARLOTTE.

Monsieu, vous me rendez toute honteuse.

DON JUAN.

Ah! n'ayez point de honte d'entendre dire vos vérités. Sganarelle, qu'en dis-tu? Peut-on rien voir de plus agréable? Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Ah! que cette taille est jolie! Haussez un peu la tête, de grace. Ah! que ce visage est mignon! Ouvrez vos yeux entièrement. Ah! qu'ils sont beaux! Que je voie un peu vos dents, je vous prie. Ah! qu'elles sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes! Pour moi, je suis ravi, et je n'ai jamais vu une si charmante

personne.

CHARLOTTE.

fortune; et le ciel, qui le connoît bien, m'a condut ici tout exprès pour empêcher ce mariage, et rendre justice à vos charmes; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de tout mon cœur, et il ne tiendra qu'à vous que je vous arrache de ce misérable lieu et ne vous mette dans l'état où vous méritez d'être. Cet amour est bien prompt, sans doute; mais quoi! c'est un effet, Charlotte, de votre grande beauté, et l'on vous aime autant en un quart d'heure, qu'on feroit une autre en six mois.

CHARLOTTE.

Aussi vrai, monsieu, je ne sais comment faire quand vous parlez. Ce que vous dites me fait aise, et j'aurois toutes les envies du monde de vous croire; mais on m'a toujou dit qu'il ne faut jamais croire les

Monsieu, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si monsieux, et que vous autres courtisans êtes des enjoleux, qui ne songez qu'à abuser les filles.

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Moi, j'aurois l'ame assez méchante pour abuser une personne comme vous? Je serois assez lâche Monsieu, tout ça est trop bien dit pour moi, et je pour vous déshonorer? Non, non, j'ai trop de conscience pour cela. Je vous aime, Charlotte, en tout

n'ai pas d'esprit pour vous répondre.

T

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Ah! Charlotte, je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Vous me faites grand tort de juger de moi par les autres; et, s'il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu'à abuser des filles, yous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincérité de ma foi; et puis votre beauté vous assure de tout. Quand on est faite comme vous, on doit être à couvert de toutes sortes de craintes; vous n'avez point l'air, croyez-moi, d'une personne qu'on abuse, et, pour moi, je l'avoue, je me percerois le cœur de mille coups, si j'avois eu la moindre pensée de vous trahir.

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et

voulez; abandonnez-moi seulement votre main, souffrez que, par mille baisers, je lui exprime le ravissement où je suis...

SCÈNE III.

DON JUAN, SGANARELLE, PIERROT, CHARLOTTE.

PIERROT, poussant don Juan qui baise la main de Charlotte. s'il vous

Tout doucement, monsieu; tenez-vous, plait. Vous vous échauffez trop, et vous pourriez gagner la purésie.

DON JUAN, repoussant rudement Pierrot. Qui m'amène cet impertinent ? PIERROT, se mettant entre don Juan et Charlotte. Je vous dis qu'ous vous tegniez, et qu'ous ne caressiais point nos accordées.

DON JUAN, repoussant encore Pierrot. Ah! que de bruit!

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Heu. (don Juan lui donne un soufflet. ) Tétigué ! ne me frappez pas. (Autre soufflet.) Oh! jerniguié! (Autre soufflet.) Ventregué! (Autre soufflet.) Palsangué ! morguienne! ça n'est pas bian de battre les gens, et ce n'est pas là la récompense de v's avoir sauvé d'être nayé.

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