DONE ELVIRE, DON ALPHONSE cru Don Sylve, ÉLISE.
AH! Seigneur, par quel fort vous vois-je maintenant ₹
Je fais que mon abord, Madame, eft furprenant, Et qu'être fans éclat entré dans cette ville,
Dont l'ordre d'un rival rend l'accès difficile,
Qu'avoir pu me fouftraire aux yeux de fes foldats, C'est un événement que vous n'attendiez pas. Mais fi j'ai dans ces lieux franchi quelques obftacles, L'ardeur de vous revoir peut bien d'autres miracles; Tout mon cœur a fenti par de trop rudes coups Le rigoureux deftin d'être éloigné de vous, Et je n'ai pu nier au tourment qui le tue, Quelques momens fecrets d'une fi chère vue. Je viens vous dire donc que je rends grace aux cieux De vous voir hors des mains d'un tyran odieux ; Mais parmi les douceurs d'une telle aventure, Ce qui m'eft un fujet d'éternelle torture, C'eft de voir qu'à mon bras les rigueurs de mon fort Ont envié l'honneur de cet illuftre effort,
Et fait à mon rival, avec trop d'injustice,
Offrir les doux périls d'un fi fameux fervice. Oui, Madame, j'avois, pour rompre vos liens, Des fentimens, fans doute, auffi beaux que les fiens; Et je pouvois pour vous gagner cette victoire, Si le ciel n'eût voulu m'en dérober la gloire.
Je fais, Seigneur, je fais que vous avez un cœur Qui des plus grands périls vous peut rendre vainqueur; Et je ne doute point que ce généreux zèle
Dont la chaleur vous pouffe à venger ma querelle, N'eût, contre les efforts d'un indigne projet, Pu faire en ma faveur tout ce qu'un autre a fait. Mais, fans cette action dont vous étiez capable, Mon fort à la Caftille eft affez redevable. On fait ce qu'en ami plein d'ardeur & de foi, Le Comte votre père a fait pour le feu Roi: Après l'avoir aidé jusqu'à l'heure dernière, Il donne en fes États um afyle à mon frère. Quatre luftres entiers il y cache fon fort Aux barbares fureurs de quelque lâche effort; Et, pour rendre à fon front l'éclat d'une couronne, Contre nos raviffeurs vous marchez en perfonne. N'êtes-vous pas content, & ces foins généreux Ne m'attachent-ils point par d'affez puiffans nœuds? Quoi! votre ame, Seigneur, feroit-elle obstinée A vouloir affervir toute ma destinée
Et faut-il que jamais il ne tombe fur nous L'ombre d'un feul bienfait, qu'il ne vienne de vous? Ah! fouffrez, dans les maux où mon destin m'expose, Qu'au foin d'un autre auffi je doive quelque chofe; Et ne vous plaignez point de voir un autre bras Acquérir de la gloire, où le vôtre n'eft
Oui, Madame, mon cœur doit ceffer de s'en plaindre; Avec trop de raison vous voulez m'y contraindre, Et c'eft injuftement qu'on fe plaint d'un malheur, Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur. Ce fecours d'un rival m'eft un cruel martyre: Mais, hélas! de mes maux, ce n'eft pas là le pire; Le coup, le rude coup dont je fuis atterré, C'est de me voir par vous ce rival préféré. Oui, je ne vois que trop que fes feux pleins de gloire Sur les miens dans votre ame emportent la victoire; Et cette occafion de fervir vos appas,
Cet avantage offert de fignaler fon bras, Cet éclatant exploit qui vous fut falutaire, N'eft que le pur effet du bonheur de vous plaire, Que le fecret pouvoir d'un aftre merveilleux, Qui fait tomber la gloire où s'attachent vos vœux. Ainfi, tous mes efforts ne feront que fumée. Contre vos fiers tyrans je conduis une armée ; Mais je marche en tremblant à cet illuftre emploi, Affuré que vos vœux ne feront pas pour moi;
s'ils font fuivis, la fortune prépare L'heur des plus beaux fuccès aux foins de la Navarre. Ah! Madame, faut-il me voir précipité
De l'efpoir glorieux dont je m'étois flatté; Et ne puis-je favoir quels crimes on m'impute, Pour avoir mérité cette effroyable chûte?
Ne me demandez rien avant que regarder Ce qu'à mes fentimens vous devez demander; Et, fur cette froideur qui femble vous confondre, Répondez-vous, Seigneur, ce que je puis répondre; Car enfin tous vos foins ne fauroient ignorer Quels fecrets de votre ame on m'a fu déclarer; Et je la crois, cette ame, & trop noble & trop haute, Pour vouloir m'obliger à commettre une faute. Vous-même, dites-vous, s'il eft de l'équité De me voir couronner uné infidélité;
Si vous pouvez m'offrir, fans beaucoup d'injustice, Un cœur à d'autres yeux offert en facrifice; Vous plaindre avec raifon, & blâmer mes refus Lorfqu'ils veulent d'un crime affranchir vos vertus. Oui, Seigneur, c'eft un crime, & les premières flammes Ont des droits fi facrés fur les illuftres ames, Qu'il faut perdre grandeurs, & renoncer au jour, Plutôt que de pencher vers un fecond amour. J'ai pour vous cette ardeur que peut prendre l'eftime Pour un courage haut, pour un cœur magnanime;
Mais n'exigez de moi que ce que je vous dois, Et foutenez l'honneur de votre premier choix. Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendreffe Vous conferve le cœur de l'aimable Comtesse, Ce que pour un ingrat, ( car vous l'êtes, Seigneur) Elle a d'un choix conftant refufé de bonheur; Quel mépris généreux, dans fon ardeur extrême, Elle a fait de l'éclat que donne un diadême; Voyez combien d'efforts pour vous elle a bravés, Et rendez à fon coeur ce que vous lui devez.
Ah! Madame, à mes yeux n'offrez point fon mérite: Il n'eft que trop préfent à l'ingrat qui la quitte; Et fi mon cœur vous dit ce que pour elle il fent, J'ai peur qu'il ne foit pas envers vous innocent. Oui, ce cœur l'ofe plaindre, & ne fuit pas fans peine L'impérieux effort de l'amour qui l'entraîne ; Aucun espoir pour vous n'a flatté mes defirs, Qui ne m'ait arraché pour elle des foupirs; Qui n'ait dans fes douceurs fait jeter à mon ame Quelques triftes regards vers fa première flamme; Se reprocher l'effet de vos divins attraits, Et mêler des remords à mes plus chers fouhaits. J'ai fait plus que cela, puisqu'il vous faut tout dire: Oui, j'ai voulu fur moi vous ôter votre empire, Sortir de votre chaîne, & rejeter mon cœur Sous le joug innocent de fon premier vainqueur.
« PrécédentContinuer » |