Paisons étant ajoutée à celle de ma conscience a achevé de me convaincre. Je me suis rangé à la raison, et j'y ai aussi rangé mon sonnet. J'en ai changé la pointe, ce qui est le plus considérable dans ces ouvrages. J'ai fait comme un nouveau sónnet : ma conscience ne me reproche plus rîen, et j'en prends un assez bon augure. Je souhaite qu'il vous satisfasse de même. J'ai lu toute la Gallipédie1, et je l'ai admirée. Il me semble qu'on ne peut faire de plus beaux vers latins. Balzac diroit qu'ils sentent tout-à-fait l'ancienne Rome et la cour d'Auguste, et que le cardi̟nal du Perron les auroit lus de bon cœur. Pour moi, qui ne sais pas si bien quel étoit le goût de ce cardinal, et qui m'en soucie fort peu, je me contente de vous dire mon sentiment. Vous trouverez dans cette lettre plusieurs ratures; mais vous les devez pardonner à un homme qui sort de table. Vous savez que ce n'est pas le temps le plus propre pour concevoir les choses bien nettement; et je puis dire, avec autant de raison que l'auteur de la Callipédie, qu'il ne faut pas se mettre à travailler sitôt après le repas. Nimirum crudam si ad læta cubilia portas Mais il ne m'importe de quelle façon je vous écrive, pourvu que j'aie le plaisir de vous entre Poëme latin composé par Quillet. tenir; de même qu'il me seroit bien difficile d'attendre après la digestion de mon souper, si je me trouvois à la première nuit de mes noces. Je ne suis pas assez patient pour observer tant de formalités. Cela est pitoyable de se priver d'un entretien pour trois ou quatre ratures. Mais M. Vitart monte à cheval, et il faut que je parte avec lui; je vous écrirai plus au long une autre fois. Vale et vive. LETTRE III. Paris, 13 septembre 1660. th Ρούπατοι ne voulez-vous plus me venir voir, et aimez-vous mieux me parler par lettres ? N'est-ce point que vous vous imaginez que vous en aurez plus d'autorité sur moi, et que vous en conserverez mieux la majesté de l'empire? Major é longinquo reverentia. Croyez-moi, monsieur, il n'est pas besoin de cette politique : vos raisons sont trop bonnes'd'elles-mêmes, sans être appuyées de ces secours étrangers. Votre présence me seroit plus utile que votre absence; car l'ode, étant tard. presque imprimée, vos avis arriveront trop Elle a été montrée à M. Chapelain : il a marqué quelques changements à faire, je les ai faits, et j'étois très embarrassé pour savoir si ces changements n'étoient point eux- -mêmes à changer. Je ne savois à qui m'adresser. M. Vitart est rarement capable de donner son attention à quelque chose. M. l'Avocat n'en donne pas beaucoup non plus à ces sortes de choses; il aime mieux ne voir jamais une pièce, quelque belle qu'elle soit, que de la voir une seconde fois: si bien que j'étois près de consulter, comme Malherbe, une vieille servante, si je ne m'étois aperçu qu'elle est janséniste comme son maître, et qu'elle pourroit me déceler : ce qui seroit ma ruine entière, vu que je reçois encore tous les jours lettres sur lettres, ou, pour mieux dire, excommunications sur excommunications, à cause de mon triste sonnet. Ainsi j'ai été obligé de m'en rapporter à moi seul de la bonté de mes vers. Voyez combien votre présence m'auroit fait de bien : mais puisqu'il n'y a plus de remède, il faut que je vous rende compte de ce qui s'est passé. Je ne sais si vous vous y intéressez, mais je suis si accoutumé à vous faire part de mes fortunes, bonnes ou mauvaises, que je vous punirois moins que moi-même en vous les taisant. M. Chapelain a donc reçu l'ode avec la plus grande bonté du monde : tout malade qu'il étoit, il l'a retenue trois jours, et a fait des remarques par écrit, que j'ai fort bien suivies. M. Vitart n'a jamais été si aise qu'après cette visite; il me pensa 1 Cet endroit fait connoître combien Racine craignoit de déplaire à Port-Royal, où l'on ne vouloit point qu'il fit de vers. Racine. 5. 2 confondre de reproches, à cause que je me plaignois de la longueur de M. Chapelain. Je voudrois que vous eussiez vu la chaleur et l'éloquence avec laquelle il me querella. Cela soit dit en passant. Au sortir de chez M. Chapelain, il alla voir M. Perrault, contre notre dessein, comme vous savez; il ne s'en put empêcher, et je n'en suis pas marri à présent. M. Perrault lui dit aussi de fort bonnes choses qu'il mit par écrit, et que j'ai encore toutes suivies, à une ou deux près, où je no suivrois pas Apollon lui-même. C'est la comparaison de Vénus et de Mars qu'il récuse, à cause que Vénus est une prostituée. Mais vous savez que quand les poëtes parlent des dieux ils les traitent en divinités, et par conséquent comme des êtres parfaits, n'ayant même jamais parlé de leurs crimes comme s'ils eussent été des crimes; car aucun ne s'est avisé dé reprocher à Jupiter et à Vénus leurs adultères; et si cela étoit, il ne faudroit plus introduire les dieux dans la poésie, vu qu'à regarder leurs actions, il n'y en a pas un qui ne méritât d'être brûlé, si on leur faisoit bonne justice. Mais, en un mot, j'ai pour moi Malherbe, qui a comparé la reine Marie à Vénus, dans quatre vers aussi beaux qu'ils me sont avantageux, puisqu'il y parle de l'amour de Vénus: Telle n'est point la Cythérée, Quand, d'un nouveau feu s'allumant, Pour la conquête d'un amant. Voilà ce qui regarde leur censure: je ne vous dirai rien de leur approbation, sinon que M. Perrault a 'dit que l'ode étoit très bonne; et voici les paroles de M. Chapelain 1, que je vous rapporterai comme le texte de l'évangile, sans y rien changer. Mais aussi c'est M. Chapelain, comme disoit à chaque mot M: Vitard. L'ode est fort belle, fort poétique, et il y a beaucoup de stances qui ne peuvent être mieux. Si l'on repasse le peu d'endroits que j'ai marqués, on en fera une fort belle pièce. Il a tant pressé M. Vitart de lui en nommer l'auteur, que M. Vitart veut à toute force me mener chez lui. Il ́veut qu'il me voie. Cette vue nuira bien sans doute à l'estime qu'il a pu concevoir de moi. Ce qu'il y a de plus considérable à changer, c'a été une stance entière, qui est celle des tritons. Il s'est trouvé que les tritons n'avoient jamais logé dans les fleuves, mais seulement dans la mer. Je les ai souhaités bien des fois noyés tous tant qu'ils sont, pour la peine qu'ils m'ont donnée. J'ai donc refait une autre stance. Mais poichè da tutti i tati ho pieno il foglio, adieu. Je suis, etc. 1 Chapelain étoit alors le souverain juge du Parnasse. Jamais poëte vivant n'a été en si grande vénération. |