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ciproquement que je n'ai rien de caché pour vous, et que ce n'est point par flatterie que je vous loue, puisque je prends la liberté de vous censurer. Scito eum pessimè dicere, qui laudabitur maximè. En effet, quand une chose ne vaut rien, c'est alors qu'on la loue démesurément, et qu'on n'y trouve rien à redire, parceque tout y est également à blâmer. Il n'en est pas de même de vos vers; ils sont aussi naturels qu'on le peut désirer, et vous ne devez pas plaindre le sang qu'ils vous ont coûté.

I

Ne vous amusez pas pourtant à vous épuiser les veines pour continuer à faire des vers 1, si ce n'est qu'à l'exemple de la femme de Sénèque vous ne vouliez témoigner la grandeur de votre amour; mais je ne crois pas que les beaux yeux qui vous ont blessé soient si sanguinaires, et que ces marques de votre amour lui soient plus agréables qu'une santé forte et robuste.

M. du Chêne est votre serviteur. M. d'Houy est ivre, tant je lui ai fait boire de santés. Et moi je suis tout à vous.

1 On voit, par plusieurs traits répandus dans ces lettres, que celui qui les écrivoit étoit né railleur,

LETTRE VI.

AU MÊME.

Paris, 3 juin 1661.

M. l'Avocat vient de m'apporter une de vos lettres, et veut absolument que nous soyons réconciliés ensemble. Je gagne trop à cette réunion pour m'y opposer. Aussi-bien, comme les choses imparfaites recherchent naturellement de se joindre avec les plus parfaites, je serois un monstre dans la nature, si, étant creux comme je suis, je refusois de me joindre et de m'attacher au solide, tandis même solide tâche d'attirer à lui ce même creux.

que ce

Quod quoniam per se nequeat constare, necesse est

Hærere.

C'est de Lucrèce qu'est cette maxime; et c'est de lui que j'ai appris qu'il falloit me réunir avec M. l'Avocat. Et il faut bien que vous l'ayez lu aussi, car il me semble que la lettre que vous avez écrite à ce grand partisan du solide est toute pleine des maximes de mon auteur. Il dit, comme vous, qu'il

1 Ces plaisanteries sur le mot creux roulent sur ce que M. l'Avocat avoit toujours ce mot à la bouche, pour dire inutile, frivole, etc.

ne faut pas que tout soit tellement solide qu'il n'y ait un peu de creux parmi nous.

Nec tamen undique corporeâ stipata tenentur
Omnia naturâ, namque est in rebus inane.

Mais sortons de cette matière, qui elle-même est trop solide, et mêlons-y un peu de notre creux.

Avouez, monsieur, que vous êtes pris, et que vous laisserez votre pauvre cœur à Bourbon. Je vois bien que ces eaux ont la même force que ces fameuses eaux de Baies: c'est un lac célèbre en Italie, quand il ne le seroit que par les louanges d'Horace et des autres poëtes latins. On y alloit en ce temps, et peut-être y va-t-on encore, comme vos semblables vont à Bourbon et à Forges. Ces eaux sont chaudes comme les vôtres, et il y a un auteur qui en rapporte une plaisante raison. Je voudrois, pour votre satisfaction, que cet auteur fût, ou Italien ou Espagnol; mais la destinée a voulu encore que celui-ci fût Latin. Il parle donc du lac de Baies, et voici ce qu'il en dit à peu près :

C'est là qu'avec le dieu d'amour

Vénus se promenoit un jour.
Enfin se trouvant un peu lasse,
Elle s'assit sur le gazon;
Mais ce mauvais petit garçon,
Qui ne peut se tenir en place,
Lui répondit : Çà, votre grace,
Je ne suis point las comme vous.

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Vénus, se mettant en courroux,
Lui dit : Fripon, vous aurez sur la joue.

Il fallut donc qu'il filât doux,
Et vînt s'asseoir à ses genoux.
Cependant tous ses petits frères,
Les Amours qu'on nomme vulgaires,
Peuple qu'on ne sauroit nombrer,
Passoient le temps à folâtrer.

Ce seroit le perdre à crédit, que m'amuser à vous faire le détail de tous leurs jeux vous vous imaginez bien quels peuvent être les passe-temps d'une troupe d'enfants qui sont abandonnés à leur caprice.

Vous jugez bien aussi que les Jeux et les Ris,
Dont Vénus fait ses favoris,

Et qui gouvernent son empire',
Ne manquoient pas de jouer et de rire.

LETTRE VII.

A M. DE LA FONTAINE.

Usez, 11 novembre 1661.

J'ai bien vu du pays et j'ai bien voyagé

Depuis que de vos yeux les miens ont pris congé.

Mais tout cela ne m'a pas empêché de songer tou

jours autant à vous que je faisois, lorsque nous nous voyions tous les jours,

Avant qu'une fièvre importune
Nous fit courir même fortune,
Et nous mît chacun en danger
De ne plus jamais voyager.

Je ne sais pas sous quelle constellation je vous
écris présentement; mais je vous assure que je n'ai
point encore fait tant de vers depuis ma maladie :
jecroyois même en avoir tout-à-fait oublié le métier.
Seroit-il possible que les muses eussent plus d'em-
pire en ce pays que sur les rives de la Seine? Nous
le reconnoîtrons dans la suite. Cependant je com-
mencerai à vous dire en prose que mon voyage a
été plus heureux que je ne pensois. Nous n'avons
eu que
deux heures de pluie jusqu'à Lyon. Notre
compagnie étoit gaie et assez plaisante : il y avoit
trois huguenots, un Anglois, deux Italiens, un
conseiller du châtelet, deux secrétaires du roi, et
deux de ses mousquetaires; enfin nous étions au
nombre de neuf ou dix. Je ne manquois pas tous
les soirs de prendre le galop devant les autres pour
aller retenir mon lit; car j'avois fort bien retenu
cela de M. Botreau, et je lui en suis infiniment
obligé ainsi j'ai toujours été bien couché; et
quand je suis arrivé à Lyon, je ne me suis senti
non plus fatigué que si du quartier de Sainte-Ge-
neviève j'avois été à celui de la rue Galande.

A Lyon, je ne suis resté que deux jours, et je Racine. 5.

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