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ne l'aimiez. Pardonnez si je vous mets quelquefois sur ce chapitre ; vous savez combien il me tient à cœur : et je puis vous assurer que plus je vais en avant, plus je trouve qu'il n'y a rien de si doux au monde que le repos de la conscience, et de regarder Dieu comme un père qui ne nous manquera pas dans nos besoins. M. Despréaux, que vous aimez tant, est plus que jamais dans ces sentiments, sur-tout depuis qu'il a fait son Amour de Dieu; et je puis vous assurer qu'il est très bien persuadé lui-même des vérités dont il a voulu persuader les autres. Vous trouvez quelquefois mes lettres trop courtes; mais je crains bien que vous ne trouviez celle-ci trop longue.

LETTRE XXXV.

Paris, 24 juillet 1698.

MONSIEUR de Bonnac vous dira de nos nouvelles, nous ayant fait l'honneur de nous voir souvent, et même de dîner quelquefois avec la petite famille. Il vous pourra dire qu'elle est fort gaie, à la réserve de votre sœur, qui est toujours accablée de ses migraines. Je la plains bien d'y être si sujette; cela est cause de l'irrésolution où elle est sur l'état qu'elle doit embrasser. Je fais mon possible pour la réjouir; mais nous menons une vie si retirée qu'elle ne peut guère trouver de divertissements

fort peu que

avec nous. Elle prétend qu'elle ne se soucie point de voir le monde; et elle n'a guère d'autre plaisir dans la lecture, n'étant que sensible à tout le reste. Le temps de la profession de Nanette s'avance, et elle a grande impatience qu'il arrive. Babet témoigne la même envie; mais nous avons résolu de ne la plus laisser qu'un an au couvent; après quoi nous la reprendrons avec nous pour bien examiner sa vocation. Fanchon veut aller trouver sa sœur Nanette, et ne parle d'autre chose. Sa petite sœur n'a pas les mêmes impatiences de nous quitter, et me paroît avoir beaucoup de goût pour le monde : elle raisonne sur toutes choses avec un esprit qui vous surprendroit, et est fort railleuse, de quoi je lui fais souvent la guerre. Je prétends mettre votre petit frère l'année qui vient avec M. Rollin, à qui M. l'archevêque a confié les petits MM. de Noailles. M. Rollin a pris un logement au collège de Laon, dans le pays latin. Notre voisin y vouloit aussi mettre son fils; mais on a trouvé le petit garçon trop éveillé, de quoi le père est fort offensé.

Tous nos confrères les ordinaires du roi me demandent souvent de vos nouvelles, aussi-bien que plusieurs officiers des gardes. Il n'y a que M. B. qui me paroît fort majestueux : je ne sais si c'est par indifférence ou par timidité.

M. de Bonnac vous dira combien M. Despréaux lui témoigna d'amitié pour vous. Il est heureux comme un roi dans sa solitude, ou plutôt dans Racine. 5.

son hôtellerie d'Auteuil : je l'appelle ainsi parcequ'il n'y a point de jour où il n'y ait quelque nouvel écot, et souvent on ne se connoît pas les uns les autres. Il est heureux de s'accommoder ainsi de tout le monde: pour moi j'aurois cent fois vendu la

maison.

Pour nouvelles académiques, je vous dirai que le pauvre M. Boyer est mort âgé de 83 ou 84 ans1. On prétend qu'il a fait plus de vingt mille vers en sa vie : je le crois parcequ'il ne faisoit autre chose. Si,c'étoit la mode de brûler les morts comme parmi les Romains, on auroit pu lui faire les mêmes funérailles qu'à ce Cassius, à qui il ne fallut d'autre bûcher que ses propres ouvrages, dont on fit un fort beau feu. Le pauvre M. Boyer est mort fort chétiennement sur quoi je vous dirai en passant que je dois réparation à la mémoire de la Chammeslé, qui mourut avec d'assez bons sentiments, après avoir renoncé à la comédie, très repentante de sa vie passée, mais sur-tout fort affligée de mourir: du moins M. Despréaux me l'a dit ainsi, l'ayant appris du curé d'Auteuil qui l'assista à la mort ; car elle est morte à Auteuil. Je crois que M. l'abbé Genest aura la place de M. Boyer. Il ne fait tant de vers que lui, mais il les fait beaucoup meilleurs.

pas

Je ne crois pas que je fasse le voyage de Compiègne, ayant vu assez de troupes et de campements

* M. Boyer mourut en 1699.

en ma vie pour n'être pas tenté d'aller voir celui-là. Je me réserverai pour le voyage de Fontainebleau, et me reposerai dans ma famille, où je me plais plus que je n'ai jamais fait. M. de Torcy me paroît plein de bonté pour vous, et je suis persuadé qu'il vous en donnera des marques. M. de Noailles sera ravi aussi de s'employer pour vous dans les occasions; et vous jugez bien que je ne négligerai point ces occasions, n'y ayant plus rien qui me retienne à la cour que l'envie de vous mettre en état de n'y avoir plus besoin de moi. Votre mère, qui a vu la lettre que votre sœur vous écrit, dit qu'elle vous y parle des affaires de votre conscience: vous pouvez compter qu'elle l'a fait de son chef.

M. de Bonnaca bien voulu se charger pour vous de trente louis neufs, valant quatre cent vingt livres. Je voulois en donner quarante, sur la grande idée qu'il nous a donnée de votre économie, mais votre mère a modéré la somme et a cru que c'étoit assez de trente. Nous avons résolu de donner quatre mille livres à votre sœur qui se fait religieuse, avec une pension de deux cents livres. Elle n'en sait encore rien, ni son couvent non plus: mais M. l'archevêque de Sens, à qui j'en ai fait confidence, a dit que cela étoit magnifique, et m'a répondu qu'on seroit content de moi : il s'opposeroit même si je donnois davantage.

Ma santé est assez bonne, Dieu merci ; mais les chaleurs m'ont jeté dans de grands abattements, et je sens bien que le temps approche où il faut son

ger

à la retraite; mais je vous ai tant prêché dans ma dernière lettre que je crains de recommencer dans celle-ci. Vous trouverez donc bon que je la finisse en vous disant que je suis très content de vous. Si j'ai quelque chose à vous recommander particulièrement, c'est de faire tout de votre mieux pour vous rendre agréable à M. l'ambassadeur, et pour contribuer à son soulagement dans les moments où il est accablé de travail. Je mettrai sur mon compte toutes les complaisances que vous aurez pour lui; et je vous exhorte à avoir pour lui le même attachement que vous auriez pour moi, avec cette différence qu'il y a mille fois plus à profiter et à apprendre avec lui qu'avec moi.

J'ai reconnu en vous une qualité que j'estime fort, c'est que vous entendez très bien raillerie quand d'autres que moi vous font la guerre sur vos petits défauts: mais ce n'est pas assez de souffrir en galant homme les petites plaisanteries, il faut les mettre à profit. Si j'osois vous citer mon exemple, je vous dirois qu'une des choses qui m'a fait le plus de bien, c'est d'avoir passé ma jeunesse avec une société de gens qui se disoient assez volontiers leurs vérités et qui ne s'épargnoient guère les uns les autres sur leurs défauts; et j'avois assez de soin de me corriger de ceux que l'on trouvoit en moi, qui étoient en fort grand nombre, et qui auroient pu me rendre assez difficile le commerce du monde.

pour

J'oubliois de vous dire que j'appréhende que

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