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toute la petite famille, que M. Despréaux régala le mieux du monde. Ensuite il mena Lionval et Madelon dans le bois de Boulogne, badinant avec eux, et leur disant qu'il vouloit les mener perdre: il n'entendoit pas un mot de tout ce que ces pauvres enfants lui disoient; c'est le meilleur homme du monde.

M. Hessein a un procès assez bizarre contre un conseiller de la cour des aides, dont les chevaux ayant pris le frein aux dents, vinrent donner tête baissée dans son carrosse qui marchoit fort paisiblement. Le choc fut si violent que le timon du conseiller entra dans le poitrail d'un des chevaux de M. Hessein, et le perça de part en part, en telle sorte que le pauvre cheval mourut au bout d'une heure. Il a fait assigner le conseiller, et ne doute pas qu'il ne le fasse condamner à payer son cheval. Faites part de cette aventure à M. l'ambassadeur; mais qu'il se garde bien d'en plaisanter dans quelque lettre avec M. Hessein, car il prend la chose fort tragiquement.

LETTRE XLVII.

Paris, 10 novembre 1698.

J'ARRIVE de Melun fort fatigué. J'avois cru que l'air me fortifieroit, mais je crois que l'ébranlement du carrosse m'a beaucoup incommodé. Je ne laisse Racine. 5.

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pourtant pas d'aller et de venir, et les médecins m'assurent que tout ira bien pourvu que je sois exact à la diète qu'ils m'ont ordonnée; et je l'observe avec une attention incroyable. Je voudrois avoir le temps aujourd'hui de vous rendre compte du détail de la profession de votre sœur; mais sans la flatter vous pouvez compter que c'est un ange. Son esprit et son jugement sont extrêmement formés; elle a une mémoire prodigieuse, et aime passionnément les bons livres : mais ce qui est de plus charmant en elle, c'est une douceur et une égalité d'esprit merveilleuses. Votre mère et votre sœur aînée ont extrêmement pleuré; et pour moi je n'ai ́cessé de sangloter: je crois même que cela n'a pas peu contribué à déranger ma foible santé. Ne vous chagrinez pas si je ne vous écris pas davantage; j'ai bien des choses à faire, et en vérité je ne suis guère en état de songer à mes affaires les plus pressées. Votre mère et toute la famille vous embrassent. C'est à pareil jour que demain que vous fûtes baptisé, et que vous fites un serment solennel à Jésus-Christ de le servir de tout votre cœur.

LETTRE XLVIII.

Paris, 17 novembre 1698,

Je crois qu'il n'est pas besoin que j'écrive à M. l'ambassadeur pour lui témoigner l'extrême plaisir que je me fais d'avoir bientôt l'honneur de le voir. Ma joie sera complète puisqu'il a la bonté de vous amener avec lui. Dites-lui qu'il me feroit le plus sensible plaisir du monde si, dans le peu de séjour qu'il fera à Paris, il vouloit loger chez moi; nous trouverons moyen de le mettre fort tranquillement et fort commodément, et du moins je ne perdrai pas un seul des moments que je pourrai le voir et l'entretenir. Vous ne me trouverez point encore parfaitement rétabli à cause d'une dureté qui m'est restée au foie ; mais les médecins m'assurent que je ne dois pas m'en inquiéter, et qu'en observant une diète fort exacte cela se dissipera peu à peu. Comme je ne suis guère en état de faire de longs voyages à la cour, vous viendrez fort à propos pour me tenir compagnie : je ne vous empêcherai pourtant pas d'aller faire votre cour. Je n'avois pas besoin de l'exemple de madame la comtesse d'Auvergne pour me modérer sur le thé ; j'en use sobrement; ainsi ne m'en apportez pas.

Si M. l'ambassadeur fait quelque cas de ces mémoires dont vous parlez sur la paix de Ryswick,

vous pouvez les acheter. Si j'étois assez heureux pour le voir et l'entretenir souvent, je n'aurois pas grand besoin d'autres mémoires pour l'histoire du roi : il la sait mieux que tous les ambassadeurs et tous les ministres ensemble; et je fais un grand fond sur les instructions qu'il a promis de me donner. Je ne crois point aller à Versailles avant le voyage de Marly: j'ai besoin de me ménager encore quelque temps afin d'y faire un plus long séjour. Adieu, mon cher fils. Toute la famille est dans la joie depuis qu'elle sait qu'elle vous reverra bientôt. Tâchez, au nom de Dieu, d'obtenir de M. l'ambassadeur qu'il vienne descendre au logis.

FIN DES LETTRES DE RACINE A SON FILS.

t

DE

JEAN RACINE

A DIFFÉRENTES PERSONNES.

LETTRE PREMIÈRE.

A SA FEMME. I

Cateau-Cambresis, le jour de l'Ascension 1693.

J'AVOIS commencé à vous écrire hier au soir à Saint-Quentin; mais je fus averti

que la poste étoit partie dès midi: ainsi je n'achevai point. Je viens de recevoir vos lettres, qui m'ont fait un fort grand plaisir. Je me porte bien, Dieu merci.

Les garçons de M. Roche m'ont piqué mon petit cheval en deux endroits en le ferrant, dont je suis fort en colère contre eux, et avec raison. Heureusement M. de Cavoie mène avec lui un maréchal, qui en a pris soin; et on m'assure que ce ne sera!

rien.

Nous allons demain au Quesnoi, où on laissera

C'est la seule lettre conservée de toutes celles que Racine lui a écrites. Comme il n'avoit rien de caché pour elle, il ne vouloit pas apparemment qu'elle gardât ses lettres.

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