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Mais quand je saurois encore jaser des mieux, il faut que je me taise à présent: le messager va partir, et il ne faut pas faire attendre le messager d'une grande ville comme est Usez. Pardonnez donc, et attendez encore huit jours.

LETTRE XIV.

A LA MÊME.

Usez, 31 janvier 1662.

Qu

UE votre colère est charmante,

Belle et généreuse Amarante !

Qu'il vous sied bien d'être en courroux!

Si les Graces jamais se mettoient en colère,
Le pourroient-elles faire

De meilleure grace que vous?

Je confesse sincèrement

Que je vous avois offensée,

Et cette cruelle pensée

M'étoit un horrible tourment.

Mais depuis que vous-même en avez pris vengeance;

Un si glorieux châtiment

Me paroît une récompense.

Les reproches mêmes sont doux,
Venant d'une bouche si chère;

Mais si je méritois d'être loué de vous,

Et que je fusse un jour capable de vous plaire,
Combien ferois-je de jaloux!

Je m'en vais done faire tout mon possible pour venir à bout d'un si grand dessein. Je serai heureux si vous pouvez vous louer de moi avec autant de justice que vous vous en plaignez; et je ferois de mon côté un fort bel ouvrage si je savois dire vos vertus avec autant d'esprit que vous dites les miennes. Je ne vous accuserai point de me flatter : vous les dites au naïf. Je me figure que vous parlez de même à M. Le Vasseur, et que vous savez également peindre cet amoureux admirant le portrait de sa belle.

Je me l'imagine en effet,

Tout languissant et tout défait,

Qui gémit et soupire aux pieds de cette image.
Il contemple son beau visage,

il admire ses mains, il adore ses yeux,
Il idolâtre tout l'ouvrage.

Puis, comme si l'Amour le rendoit furieux,

Je l'entends s'écrier : Que cette image est belle!
Mais que la belle même est bien plus belle qu'elle !
Le peintre n'a bien imité

Que son insensibilité.'

J'ai peine à croire que vous ayez assez de puissance pour rompre ce charme, vous qui étiez ac

coutumée à le charmer lui-même autrefois, aussibien que beaucoup d'autres. Possédé comme il l'est de cette idée, il ne faut pas s'étonner s'il a voulu marier M. d'Houy avec une fille hydropique: il n'y pensoit pas, à moins qu'il n'ait voulu

marier l'eau avec le vin.

:

On m'a mandé que ma tante Vitart étoit allée à Chevreuse je crois qu'elle ne reposera pas de long-temps si elle attend que vous vous reposiez toutes. Peut-être qu'autrefois je n'en aurois pas tant dit impunément; mais je suis à couvert des coups vous pouvez néanmoins vous adresser à mon lieutenant M. d'Houy; il ne tiendra pas cette qualité à déshonneur.

Vous m'avez mis en train, comme vous voyez, et vos lettres ont sur moi la force qu'avoit autrefois votre vue mais je suis obligé de finir plus tôt que je ne voudrois, parceque j'ai encore cinq lettres à écrire. J'espère que vous me donnerez, en vertu de ces cinq lettres, la permission de finir; et, en vertu de la soumission et du respect que j'ai pour vous, la permission de me dire votre passionné serviteur.

Vous m'excuserez si j'ai plus brouillé de papier à dire de méchantes choses que vous n'en aviez employé à écrire les plus belles choses du monde.

LETTRE XV.

A M. LE VASSEUR.

Usez, 3 février 1662.

J'AVOUE AVOVE que ma réponse ne vient que huit jours après votre lettre. Mais à quoi bon m'excuser pour un délai de huit jours? Vous ne faites point tant de cérémonies quand vous avez été deux mois sans songer seulement si je suis au monde. C'est assez pour vous de dire froidement que vous avez perdu la moitié de votre esprit depuis que je ne suis plus en votre compagnie. Mais à d'autres: il faudroit que j'eusse perdu tout le mien si je recevois de telles galanteries en paicment. Je sais ce qui vous оссире si fort, et ce qui vous fait oublier de pauvres étrangers comme nous. Amor non talia curat : oui, c'est cela même qui vous occupe :

Amor, che solo i cor' leggiadri invesce;

et je ne m'étonne pas qu'un cœur si tendre que lę vôtre, et si disposé à recevoir les douces impressions de l'amour, soit enchanté d'une si belle

sonne.

Socrate s'y trouveroit pris ; Et, malgré sa philosophie, Il feroit ce qu'a fait Pâris, Et le feroit toute sa vie. Racine. 5.

20

5

per

Je n'ai pas peur que vous vous lassiez de voir tant de vers dans une seule lettre. Te amor nostri poëtarum amantem reddidit.

Loin de trouver à redire à votre amour, je vous loue d'un si beau choix, et d'aimer avec tant de discernement, s'il peut y avoir du discernement en amour. Vous êtes bien éloigné de vous ennuyer comme moi; l'amour vous tient bonne compagnie. Il ne me fait pas tant d'honneur, quoique j'aie assez besoin de compagnie en ce pays mais j'aime mieux être seul que d'avoir un hôte si dangereux.

Je suis confiné dans un pays qui a quelque chose de moins sociable que le Pont-Euxin; le sens commun y est rare, et la fidélité n'y est point du tout; il ne faut qu'un quart d'heure de conversation pour vous faire haïr un homme: aussi, quoiqu'on m'ait souvent pressé d'aller en compagnie, je ne me suis point encore produit; il n'y a ici personne pour moi. Non homo, sed littus, atque aër, et solitudo mera. Jugez si vos lettres seront bien reçues. Mais vous êtes attaché ailleurs.

Il cor preso ivi come pesce all' hamio.

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