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et j'ai aussi débauché M. Hessein pour quatrième. Il se plaint toujours beaucoup de ses vapeurs, et je vois bien qu'il espère se soulager par quelque dispute de longue haleine 1; mais je ne suis guère en état de lui donner contentement, me trouvant assez incommodé de ma gorge dès que j'ai parlé un peu de suite. Ce qui m'embarrasse, c'est que M. Fagon, et plusieurs autres médecins très habiles, m'avoient ordonné de boire beaucoup d'eau de Sainte-Reine et des tisanes de chicorée : et j'ai trouvé chez M. Nicole un médecin qui me paroît fort sensé, qui m'a dit qu'il connoissoit mon mal à fond; qu'il en avoit déjà guéri plusieurs, et que je ne guérirois jamais tant que je boirois de l'eau ou de la tisane; que le seul moyen de sortir 'd'affaire étoit de ne boire que pour la seule néces¬ sité, et tout au plus pour détremper les aliments dans l'estomac. Il a appuyé cela de quelques raisonnements qui m'ont paru assez solides. Ce qui est arrivé de là, c'est que je n'exécute ni son ordonnance ni celle de M. Fagon : je ne me noie plus d'eau comme je faisois, je bois à ma soif; et vous jugez bien que par le temps qu'il fait on a toujours soif, c'est-à-dire franchement que je me suis remis dans mon train de vie ordinaire, et je m'en trouve

I M. Hessein, ami commun de Racine et de Boileau, et frère de mademoiselle de La Sablière, avoit beaucoup d'esprit et de lettres, mais il aimoit à disputer et à contre

assez bien. Le même médecin m'a assuré que, si les eaux de Bourbon ne vous guérissoient pas, il Vous guériroit infailliblement. Il m'a cité l'exemple d'un chantre de Notre-Dame, à qui un rhume avoit fait perdre entièrement la voix depuis six mois, et il étoit prêt de se retirer; ce médecin l'entreprit, et avec une tisane d'une 'herbe qu'on appelle je crois erysimum, il le tira d'affaire, en telle sorte que non seulement il parle, mais il chante, et a la voix aussi forte qu'il l'ait jamais eue. J'ai conté la chose aux médecins de la cour; ils avouent que cette plante d'erysimum est très bonne pour la poitrine; mais ils disent qu'ils ne croyoient pas qu'elle eût la vertu que dit mon médecin. C'est le même qui a deviné le mal de M. Nicole: il s'appelle M. Morin, et il est à madeif moiselle de Guise. M. Fagon en fait un fort grand cas. J'espère que vous n'aurez pas besoin de lui; mais cela est toujours bon à savoir et si le malheur vouloit que vos eaux ne fissent pas tout l'effet que vous souhaitez, voilà encore une asscz bonne consolation que je vous donne. Je ne vous manderai pour cette fois d'autres nouvelles que celles qui regardent votre santé et la mienne.

:

I M. Morin étoit de l'académie des sciences; son éloge, est un des premiers de ceux qu'a faits M. de Fontenelle.

LETTRE IV.

A RACINE.

Bourbon, 29 juillet 1687.

Si la perte de ma voix ne m'avoit fort guéri de la vanité, j'aurois été très sensible à tout ce que vous m'avez mandé de l'honneur que m'a fait le plus grand prince de la terre en vous demandant d'es nouvelles de ma santé; mais l'impuissance où ma maladie me met de répondre par mon travail à toutes les bontés qu'il me témoigne, me fait un sujet de chagrin de ce qui devroit faire toute ma joie. Les eaux jusqu'ici m'ont fait un fort grand bien, suivant toutes les règles, puisque je les rends de reste, et qu'elles m'ont, pour ainsi dire, tout fait sortir du corps, excepté la maladie pour laquelle je les prends. M. Bourdier, mon médecin, soutient pourtant que j'ai la voix plus forte que quand je suis arrivé; et M. Baudière, mon apothicaire, qui est encore meilleur juge que lui, puisqu'il est sourd, prétend aussi la même chose; mais pour moi je suis persuadé qu'ils me flattent, ou plutôt qu'ils se flattent eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, j'irai jusqu'au bout, et je ne donnerai point occasion à M. Fagon et à M. Félix de dire que je me suis impatienté. Au pis aller, nous essaie

rons cet hiver l'erysimum. Mon médecin et mon apothicaire, à qui j'ai montré l'endroit de votre lettre où vous parlez de cette plante, ont témoigné tous deux en faire grand cas; mais M. Bourdier prétend qu'elle ne peut rendre la voix qu'à des gens qui ont le gosier attaqué, et non pas à un homme comme moi, qui a tous les muscles embarrassés. Peut-être que si j'avois le gosier malade prétendroit-il que l'erysimum ne sauroit guérir que ceux qui ont la poitrine attaquée. Le bon de l'affaire est qu'il persiste toujours dans la pensée que les eaux de Bourbon me rendront bientôt la voix : si cela arrive, ce sera à moi, mon cher monsieur, à vous consoler, puisque de la manière dont vous me parlez de votre mal de gorge je doute qu'il puisse être guéri sitôt, sur-tout si vous vous enga- › gez en de longs voyages avec M. Hessein. Mais laissez-moi faire; si la voix me revient, j'espère de vous soulager dans les disputes que vous aurez avec lui, sauf à la perdre encore une seconde fois pour vous rendre cet office. Je vous prie pourtant de lui faire bien des amitiés de ma part, et de lui faire entendre que ses contradictions me seront toujours beaucoup plus agréables que les complaisances et les applaudissements fades des amateurs du bel esprit. Il s'est trouvé ici parmi les capucins un de ces amateurs, qui a fait des vers à ma louange. J'admire ce que c'est que des hommes: Vanitas, ei omnia vanitas. Cette sentence ne m'a jamais paru si vraie qu'en fréquentant ces bons et crasseux pères.

Je suis bien fâché que vous ne soyez point encore établi à Auteuil, où

Ipsi te fontes, ipsa hæc arbusta vocabant;

c'est-à-dire où mes deux puits' et mes abricotiers vous appellent.

Vous faites très bien d'aller à Maintenon avec une compagnie aussi agréable que celle dont vous me parlez, puisque vous y trouverez votre utilité et votre plaisir. Omne tulit punctum, etc.

Je n'ai pu deviner la critique que vous peut faire M. l'abbé Tallemant sur votre épitaphe. N'estce point qu'il prétend que ces termes, il fut nommé, semblent dire que le roi Louis XIII a tenu M. Le Tellier sur les fonts de baptême, ou bien que c'est mal dit que le roi le choisit pour remplir la charge, etc., parceque c'est la charge qui a rempli M. Le Tellier, et non pas M. Le Tellier qui a rempli la charge; par la même raison que c'est la ville qui entoure les fossés, et non pas les fossés qui entourent la ville? C'est à vous à m'expliquer cette énigme.

Faites bien, je vous prie, mes baisemains au père Bouhours et à tous nos amis; mais sur-tout témoignez bien à M. Nicole la profonde vénération que j'ai pour son mérite et pour la simplicité de ses mœurs, encore plus admirable que son mérite,

I Il n'avoit pas d'autres eaux dans cette petite maison dont il faisoit ses délices.

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