Images de page
PDF
ePub

loin de vouloir se prêter à l'établissement solide de la constitution du 3 mai, et notamment à celui de la succession héréditaire du trône, qui en faisait partie.

En réponse à l'invitation du 7 mars, l'Impératrice déclara, par des lettres du 12 avril et du 2 mai, qu'Elle aurait volontiers accédé à la convention prusso-autrichienne, si Elle ne renfermait point un article secret relatif à la Pologne, qui annulait non seulement les obligations assumées par la Russie, mais encore les traités solennels qui la liaient à l'Autriche. C'est pourquoi l'Impératrice se réservait le droit de conclure directement une alliance séparée avec le Roi de Prusse.

1792, 14 mai, Targowiça.

Formation de la confédération, dite de Targowica, sous les auspices de l'Impératrice de toutes les Russies, pour l'abolition des réformes introduites par la Diète constituante.

N° 90.

1792, 18 (7) mai, Varsovie.

Déclaration de l'envoyé russe, Jacques de Boulhakow, annonçant l'entrée de troupes russes en Pologne pour la «réintégration de la République dans ses droits et prérogatives ».

« Les soins constants et magnanimes de S. M., effets de Son amour de la justice et de l'ordre, autant << que de Son affection et de Sa bienveillance pour une Nation que l'identité d'origine, de langue, et tant d'autres << rapports naturels avec celle qu'Elle gouverne, rendaient intéressante à Ses yeux, gênaient sans doute l'ambition « et l'esprit de domination de ceux qui, non contents de la portion d'autorité que les lois de l'État leur assignaient, << en cherchaient l'extension aux dépens de ces mêmes lois. Dans cette vue, ils n'ont rien négligé, d'un côté, pour << lasser la vigilance active de l'Impératrice sur l'intégrité des droits et des prérogatives de l'Illustre Nation polo<< naise, et de l'autre, pour calomnier la pureté et la bienfaisance de Ses intentions, en les présentant, en toutes « occasions, sous un jour qui leur est absolument étranger.

C'est ainsi qu'ils ont eu la perfide adresse d'interpréter l'acte par lequel la Russie garantit les consti<< tutions légitimes de cette Nation comme un joug onéreux et avilissant.

« Cependant, enhardis par la facilité avec laquelle une partie de la Nation a embrassé leurs opinions << erronées, ceux qui méditaient depuis longtemps son asservissement et la ruine de son ancienne liberté n'attendaient que l'instant favorable à l'exécution de leur dessein destructeur; ils crurent le saisir lorsque la Russie fut « assaillie par deux Puissances à la fois. A cette époque, la Diète s'assembla à Varsovie; les instructions des << palatinats portaient qu'elle fût libre et ordinaire ; cependant, elle fut tout à coup convertie en diète confédérée, « sans aucune raison connue, ni même apparente.

<< Sans entrer dans l'énumération de toutes les illégalités et de toutes les infractions aux lois et immu<< nités de la République, que cette Diète confédérée, ou plutôt la faction qui y domine, s'est permise, il suffit de

[ocr errors]

<< dire qu'après avoir usurpé, confondu, réuni en elle tous les pouvoirs dont la réunion en une seule main est << incompatible avec les principes républicains, elle a abusé de chacun de ces pouvoirs de la manière la plus tyran« nique, prolongé sa durée au delà de trois ans et demi, terme dont les fastes de la Pologne ne présentent pas un << seul exemple, et enfin consommé toutes ces funestes entreprises en renversant de fond en comble, le 3 mai 1791, « l'édifice du gouvernement à l'ombre duquel la République a fleuri et prospéré tant de siècles. Ce jour la vit « disparaître, et sur ses ruines s'éleva une monarchie qui, n'offrant dans les nouvelles lois par lesquelles on a « prétendu la limiter que contradictions entre elles-mêmes, incohérence avec les anciennes, insuffisance complète « à tous égards, ne laisse pas même aux Polonais le vain simulacre de cette liberté et de ses prérogatives dont « ils se sont toujours montrés si jaloux. Le trône, d'électif qu'il était, est déclaré héréditaire; et cette loi la « sagesse de leurs ancêtres avait dictée et qui défend, du vivant d'un Roi, de s'occuper du choix d'un succes« seur, a été violée aussi audacieusement que toutes celles qui garantissaient la consistance permanente de la « République.

[ocr errors]

que

<< Mais ces citoyens entreprenants ne se sont point bornés aux maux qu'ils ont causés à leur malheu« reuse patrie dans son propre sein: ils ont encore cherché à en attirer du dehors, en la précipitant dans des démê«lés capables de dégénérer en une guerre ouverte avec la Russie, l'ancienne alliée de la République et de la << Nation polonaises. Un exposé succinct des faits mettra en évidence la vérité de cette assertion.

« Lors de la déclaration de guerre que la Porte Ottomane fit à la Russie, l'ambassadeur de l'Impéra« trice remit une note au ministre de la République, sans Diète alors, pour le prévenir sur le passage des troupes « russes par les États de la Pologne. Tout fut réglé et établi d'une manière amicale et à la convenance réciproque, « malgré les fermentations de la malveillance qui commençait déjà à percer. Mais aussitôt que la Diète fut formée, « et que le projet, médité depuis longtemps, de détruire la République eût prévalu sur toutes les considérations « relatives au maintien de son repos au dedans et au dehors, non seulement on insista sur ce que les troupes russes, « sans excepter même le petit nombre de celles qui étaient préposées à la garde des magasins qu'on avait formés, « fussent instamment retirées du territoire polonais, mais on mit encore toutes sortes d'entraves à leur approvision<< nement, en s'opposant à la formation de nouveaux magasins pour leur subsistance et en exigeant que les anciens « fussent transportés hors des frontières de la République. A cette occasion, la commission du trésor mit en avant << la prétention déraisonnable des droits de sortie à percevoir, au passage du Dniester, pour ces mêmes magasins « amassés à grands frais et au grand avantage des propriétaires polonais.

« Les vexations de tout genre exercées contre les sujets de l'Impératrice furent poussées au point que, « quelques-uns d'entre eux se trouvant sur les terres de la République pour des affaires de négoce auxquelles ils « se livraient sur la foi des traités et du droit des gens, ils furent accusés malicieusement d'exciter les habitants du

«< lieu à la révolte, et, sur ce prétexte, saisis et jetés dans des cachots. Les juges chargés d'instruire leur procès, << ne trouvant aucune trace du crime qu'on leur imputait, eurent recours aux tourments pour leur en extorquer l'aveu ; et, après l'avoir arraché de cette manière, ces juges impitoyables les condamnèrent au supplice et les << firent exécuter inhumainement. L'évêque de Péreslavie et abbé de Sluck, quoique sujet de l'Impératrice, devint «< une des victimes de cette persécution, malgré le rang élevé qu'il occupe dans l'Église, malgré la pureté de ses << mœurs et la rigidité de ses principes. Il fut soupçonné de crimes qu'il importait à la malignité, et au désir d'entre<< tenir la fermentation qu'elle avait excitée, de forger à tout instant ; et ce prélat fut arrêté et entraîné à Varsovie, <«< où on le tient encore dans une dure captivité. Le droit des gens ne fut pas plus respecté envers les ministres de « l'Impératrice; car leur chapelle qui est censée faire partie des hôtels mêmes qu'ils habitent, et qui par l'écusson « des armes impériales de Russie, attaché extérieurement, indiquait clairement un endroit privilégié, fut forcée, et << des soldats polonais en vinrent arracher un desservant pour le traîner, sans aucune raison, devant un tribunal « qui n'était nullement compétent. La satisfaction que le ministre de Russie a demandée, a été éludée sous les << prétextes les plus frivoles. En un mot, non seulement tous les traités solennels qui liaient la Russie et la Pologne << entre elles furent violés et transgressés dans leurs points les plus importants, mais on poussa l'animosité jusqu'à << envoyer une ambassade extraordinaire en Turquie, alors en guerre ouverte avec la Russie, pour lui offrir une « ligue offensive dirigée contre cette dernière Puissance; c'est de quoi les correspondances ministérielles du cabi<<< net de Varsovie offriront les preuves les plus claires. Le respect même dû à la personne et au rang auguste de « l'Impératrice ne fut point observé dans le discours qu'on tint en pleine séance de la Diète, et ces insolences, «< loin d'être réprimées comme elles le méritaient, furent encouragées et applaudies par les chefs de la faction qui «< a renversé les lois et le gouvernement de la République. Le nombre de ces griefs, sans compter ceux qu'on sup<< prime pour en abréger l'énumération, est fait pour justifier devant Dieu et les Puissances le parti que S. M. << Impériale aurait pris d'en tirer une satisfaction éclatante. Mais ce n'est nullement dans cette intention qu'Elle << vient de les faire exposer. Son équité naturelle ne Lui permet pas de confondre toute la Nation polonaise avec << une de ses parties, qui avait surpris et trahi sa confiance. Elle est, au contraire, intimement persuadée que le << plus grand nombre n'a eu aucune part à tout ce qui s'est fait à Varsovie contre Elle et contre la République, << Son ancienne amie; aussi S. M. est-Elle prête à sacrifier les justes ressentiments qu'Elle doit éprouver à l'espoir, plus conforme à Ses sentiments généreux et pacifiques, de voir réparer tous ces griefs par l'assemblée d'une nou« velle Diète, plus fidèle aux mandats de ses commettants et aux lois cardinales et immuables de l'État que n'a « été celle d'à présent qui, les ayant toutes violées de la manière la plus évidente, a marqué du sceau de sa pro<< pre illégalité toutes celles de ses opérations qu'elle a exécutées au mépris de ces lois.

« S. M. a ordonné à une partie de Ses troupes d'entrer sur les terres de la République. Elles s'y pré<< sentent comme amies, et pour coopérer à sa réintégration dans ses droits et prérogatives. S. M. Impériale se

<< flatte que tout bon Polonais, aimant véritablement sa patrie, saura apprécier Ses intentions et sentira que c'est

<< servir sa propre cause que de se joindre de cœur et d'armes aux efforts généreux qu'Elle va déployer, de con<< cert avec les vrais patriotes, pour rendre à la République la liberté et les lois que la prétendue constitution du << 3 mai lui a ravies. S'il en était quelques-uns qui balançassent à cause du serment que l'illusion leur fit prononcer << ou que la force leur arracha, qu'ils soient bien convaincus que le seul serment sacré et véritable est celui par « lequel ils jurèrent de maintenir et de défendre jusqu'à la mort le gouvernement libre et républicain sous lequel ils << sont nés, et que reprendre cet ancien serment est le seul moyen de réparer le parjure qu'ils ont commis en prê

<< tant le nouveau. Mais s'il en est qui, par une suite de leur opiniâtreté dans les principes pervers auxquels ils se « sont laissé entraîner, veuillent s'opposer aux vues bienfaisantes de l'Impératrice et aux voeux patriotiques de << leurs concitoyens, ceux-là n'auront qu'à s'en prendre à eux-mêmes des rigueurs et des maux auxquels ils seront « exposés, à d'autant plus justes titres qu'il ne tenait qu'à eux de s'y soustraire par une prompte et sincère abjura«tion de leurs erreurs. »

N° 91.

1792, 22 mai, Berlin.

Le ministre prussien, Schulenburg, communique au référendaire d'État autrichien, Spielmann, par l'intermédiaire de l'envoyé d'Autriche à Berlin, le plan d'un arrondissement de la Prusse en Pologne contre un dédommagement de l'Autriche du côté du Rhin. 1)

M. le comte de Schulenburg m'a chargé hier, au sujet des affaires de Pologne, de communiquer à Votre Excellence, en son nom, les ouvertures suivantes strictement confidentielles, et de prier instamment Votre Excellence de bien vouloir lui donner son opinion et son bon conseil à cet égard. Après la démarche décisive et unilatérale par laquelle la Russie s'est mise en avant d'une manière inattendue, M. le comte de Schulenburg estime qu'il serait maintenant tout à fait à propos que l'Autriche et la Prusse réfléchissent mûrement à ce que toutes deux auraient à faire à cet égard, en ce qui concerne leur prestige, leurs intérêts et les conséquences qu'ils comportent. Avec la confiance absolue qu'il vous a donnée de tout son cœur, il expose à Votre Excellence ses idées à ce sujet, et prie Votre Excellence de bien vouloir, au préalable, en discuter confidentiellement avec lui. Il croit, en effet, que ce qui serait le plus utile, au cas où l'Impératrice chercherait à gagner du temps et du terrain par des explications et des communications mutuellement atermoyantes, serait de voir venir pendant cinq à six semaines, sans se déclarer, et ensuite, si les Russes font des progrès et que des troubles se produisent en Pologne, d'envoyer au delà des frontières, du côté autrichien et du côté prussien, un corps d'observation de 11.000 à 12.000 hommes pour s'établir sur territoire polonais, sans toutefois se prononcer ni pour ni contre quelqu'un, et simplement faire valoir le prétexte de sa propre sécurité. Par cette démonstration, la Russie, et probablement la Pologne elle-même, seraient ainsi amenées à faire connaître, d'une manière plus explicite, quelles sont au fond leurs intentions.

1) C'est sous la direction personnelle de l'Empereur François II qu'eurent lieu ces négociations secrètes (V. lettre autographe de François II au chancelier Kaunitz (21 juin 1792) dans Vivenot: « Quellen zur Geschichte der deutschen Kaiserpolitik Oesterreichs », v. II, p. 107).

Étant donnée l'harmonie si heureuse et si intime qui existe entre nos deux Cours, il lui semble qu'il n'y a absolument aucune raison de s'inquiéter que la Russie s'arroge une trop grande puissance de son côté sur la Pologne, ni qu'elle puisse réaliser des conquêtes unilatérales. D'après de nombreuses observations, il est vraisemblable que la Russie a un grand désir de se rattacher l'Ukraine et qu'elle pourrait bien finir par aller de l'avant avec cette intention cachée. Si cela devait se vérifier, ce serait peut-être dans un tel événement que l'on pourrait trouver un dédommagement général pour les frais causés par la guerre française, tandis que la Prusse s'arrondirait en Pologne et que nous nous dédommagerions du côté du Rhin. Mais nous devrions naturellement garder ce plan par devers nous, de la manière la plus secrète, et ne l'examiner et le mettre sur pied qu'entre nous, d'une manière absolument confidentielle.

N° 92.

Signé : REUSS.

1792, 31 mai, Varsovie.

Le Roi de Pologne réclame le secours du Roi de Prusse contre la Russie, en vertu du traité d'alliance du 29 mars 1790.

Monsieur mon frère,

Cette lettre sera remise à Votre Majesté par le comte Ignace Potoçki, grand-maréchal de Lithuanie.

J'écris au moment où toutes les circonstances m'imposent le devoir de défendre l'indépendance de la République de Pologne qui se trouve envahie, en conséquence des prétentions émises par S. M. l'Impératrice de Russie, dans la déclaration du 18 mai courant, et suivies par les voies d'une flagrante hostilité.

Si l'alliance qui existe entre Votre Majesté et moi est un titre pour réclamer Son secours, il m'importe de savoir d'Elle le mode qu'Elle veut prescrire à Ses engagements. La connaissance positive des sentiments personnels de Votre Majesté m'est aussi nécessaire pour ma conduite que Ses forces le seraient pour mes succès.

Il est avéré que la République, dont la sécurité est garantie par Votre Majesté, vient d'être attaquée inopinément, et que son indépendance est menacée. Malgré toutes les subtilités des sophismes contenus dans la déclaration russe, il est visible que la constitution actuelle ne sert que de prétexte pour arriver aux résultats autrement plus graves.

Dans une occasion où, comme allié, la dignité de Votre Majesté est intimement liée avec l'indépendance et l'honneur de ma Nation, je dois m'attendre qu'Elle voudra me faire connaître

« PrécédentContinuer »