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tude actuelle. Aussi longtemps que la tranquillité se maintient sur notre territoire, nous ne comptons nullement aller au delà des mesures de précaution adoptées au premier moment. Nous ne voulons pas augmenter encore l'importance que le mouvement polonais prend aux yeux de l'Europe, en offrant à la Russie pour le réprimer un concours plus actif que celui qui nous est imposé par nos obligations internationales. Mais, d'un autre côté, nous ne pouvons reconnaître les éléments révolutionnaires qui sont à l'œuvre et qui n'attendent qu'un moment propice pour étendre en Galicie les troubles concentrés jusqu'ici dans les provinces de la Pologne russe. Malgré le calme et la sagesse dont les sujets polonais de l'Empereur ont fait preuve et que nous nous plaisons à reconnaître hautement, nous ne pouvons pas encourager, même indirectement, certaines aspirations nationales incompatibles avec le maintien de notre domination. La France et l'Angleterre ne sont point retenues par de semblables considérations. Elles peuvent, sans danger imminent pour elles-mêmes, manifester des sympathies que la loi de nos intérêts nous défend d'exprimer. Si ces deux Puissances veulent envisager impartialement notre situation, elles reconnaîtront sans peine que nous ne pouvons nous placer actuellement sur la même ligne qu'elles à l'égard de la Pologne, sans compromettre tous les fruits que nous avons retirés de notre attitude réservée. Il ne faut pas exalter des espérances qu'on ne compte pas satisfaire, et, si l'on ne veut pas avoir à réprimer des impatiences, il ne faut rien faire pour les exciter. Il serait par trop imprudent de mettre à l'épreuve les esprits en Galicie en faisant luire, pour notre part, aux yeux des Polonais des perspectives bien différentes de la réalité.

Quelque adoucie que soit par la forme la démonstration que le gouvernement français nous propose de faire à Berlin, ce ne serait pas moins une manifestation dont le contrecoup dépasserait infiniment la mesure de nos intentions, et, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous ne voulons rien faire qui puisse provoquer des agitations que nous serions obligés de comprimer ensuite par des actes que nous avons évités jusqu'ici et qu'on nous sait tant de gré d'avoir évités.

J'ajouterai enfin qu'après nous être bornés à décliner purement et simplement les ouvertures qui nous ont été faites de Berlin pour nous engager à participer à la convention de SaintPétersbourg, il nous paraîtrait peu convenable de revenir aujourd'hui sur ce sujet en prononçant un blâme que nous ne nous sommes pas crus autorisés à exprimer dans le premier moment d'une manière aussi formelle.

Les vues que je viens de développer répondent également aux observations confidentielles que le duc de Gramont a été chargé de me présenter. Elles portaient en effet principalement sur les avantages que l'Autriche a déjà recueillis, ou peut recueillir encore, de sa conduite envers les Polonais, comparée à celle de la Prusse et de la Russie. Nous le répétons encore si les sujets polonais de l'Empereur, notre auguste Maître, apprécient les bienfaits réels dont ils jouissent, c'est à la condition de ne pas trouver d'encouragement à des illusions dont le vain prestige les rendrait insensibles aux bénéfices qu'ils retirent de leur situation actuelle. Nous éprouverions donc une répugnance insurmontable à soulever prématurément des questions, des éventualités que les événements ne nous paraissent pas encore devoir rapprocher de nous. La dépêche dont l'ambassadeur de France a bien voulu me donner confidentiellement lecture, laisse entrevoir la possibilité de rappeler le gouvernement russe à l'observation des stipulations de 1815 à l'égard du Royaume de Pologne. Il nous semble qu'une pareille démarche entraînerait des conséquences peut-être plus graves que les complications provenant de l'état actuel de la Pologne russe. Il est douteux que la Cour

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de Saint-Pétersbourg soit disposée à bien accueillir des représentations amicales, et une invitation plus sérieuse serait une mesure d'une si grande portée qu'on ne saurait la prendre sans la soumettre aux plus mûres délibérations.

Nous croyons donc superflu d'examiner ici une éventualité à laquelle M. Drouyn de Lhuys lui-même, si nous l'avons bien compris, ne fait qu'une allusion assez rapide. Nous pouvons ajouter d'ailleurs qu'un retour à la stricte exécution des traités est un principe dont nous avons toujours proclamé les avantages. Mais, pour en recueillir les fruits, il nous semble qu'une application générale de ce principe serait nécessaire, et qu'il ne faudrait point se borner aux seules stipulations de 1815 concernant la Pologne.

Nous ne voulons pas du reste nous étendre sur un sujet aussi délicat. Ainsi que le dit M. Drouyn de Lhuys, la proposition qu'il nous transmet laisse entièrement de côté les éventualités. J'ai cru devoir examiner consciencieusement les avantages et les inconvénients du concours qui est demandé à l'Autriche. J'ai soumis les résultats de cet examen à l'appréciation de l'Empereur, en demandant Ses ordres pour la réponse que je devais donner au duc de Gramont. Sa Majesté est restée convaincue que l'attitude prise jusqu'ici par le gouvernement impérial dans la question polonaise était celle qui répondait le mieux aux intérêts de l'Empire, et qu'il ne fallait pas s'écarter d'une ligne de conduite dont on n'avait eu qu'à se louer.

En informant l'ambassadeur de France de la détermination de l'Empereur, j'ai ajouté que le gouvernement impérial laissait échapper avec un véritable regret une occasion de manifester avec éclat son désir de marcher d'accord avec la France et l'Angleterre dans les grandes questions de la politique européenne. Votre Altesse voudra bien exprimer de son côté à M. Drouyn de Lhuys le même sentiment, et lui faire savoir tout le prix que nous attacherions à voir cette entente s'établir sur un terrain plus favorable à une action commune.

Bien que des intérêts essentiels nous empêchent dans cette circonstance de prouver notre bonne volonté, nous espérons que la sincérité et la loyauté de notre langage porteront la conviction dans l'esprit du ministre.

Nous accueillons toujours avec empressement l'occasion d'un échange d'idées qui a du moins pour résultat de consolider la confiance réciproque, base d'une entente solide.

Recevez, etc.

1863, février.

Le cabinet anglais contrecarre la politique antiprussienne de la France et, en dirigeant contre la Russie l'action concernant les affaires polonaises, s'efforce de provoquer une tension dans les rapports franco-russes.

1863, 28 février, Foreign Office.

N° 328.

Dépêche confidentielle du ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne à l'ambassadeur britannique à Paris, l'informant qu'en réponse à la proposition française du 21 février, le cabinet de Londres proposera une action commune de l'Angleterre, de la France et de l'Autriche à Saint-Pétersbourg, s'en référant aux traités de 1815.

Milord,

La dépêche dont la copie est ci-incluse m'a été remise le 24 de ce mois par le baron Gros. Elle est de caractère très confidentiel; mais je ne pourrais mettre Votre Excellence en mesure de comprendre ma réponse, sans placer sous vos yeux une copie de la dépêche.

Le gouvernement de Sa Majesté est pleinement d'accord avec l'exposé fait par M. Drouyn de Lhuys de la question polonaise. C'est une question qui, comme le dit le ministre, oscille entre un état de constant malaise et un état de violente perturbation.

Il est vrai également que la récente convention conclue entre la Prusse et la Russie semble donner un nouveau tour à la question, en tant que devant être discutée entre les Puissances européennes. Apparemment, sans aucune nécessité, la Prusse s'est engagée à offrir des facilités à la Russie sur territoire prussien; par là elle prend indirectement part à la guerre.

Le gouvernement de Sa Majesté, adoptant cette manière de voir, avait préparé une dépêche qui était prête à être expédiée, lorsque lui est parvenue la communication du gouvernement français. Une copie de cette dépêche se trouve ci-incluse. Le gouvernement de Sa Majesté a néanmoins jugé prudent de suggérer dans cette dépêche un moyen dont la Prusse puisse se servir pour éluder les conséquences de son action inconsidérée. D'après des communications reçues ici et à Paris, il y a quelque raison d'espérer que la convention prusso-russe sera annulée, ou, en tout cas, ne sera pas mise à exécution; il est dès lors désirable de donner à la Prusse ce moyen de réparer l'erreur qu'elle a commise.

Pour en venir à l'Autriche, le gouvernement de Sa Majesté se réjouit avec le gouvernement impérial de l'attitude prise par l'Autriche. Elle se sépare ici des deux autres Puissances qui avaient été ses partenaires dans le partage de la Pologne. Sa position est sage et prudente; mais, par là même qu'elle est sage et prudente et qu'en même temps elle pourrait prêter à de fausses interprétations de la part de la Russie, il sera bon que l'Angleterre et la France ne fassent pas trop de pression sur l'Autriche, et qu'elles se gardent de la pousser à des mesures qui pourraient, dans l'avenir, lui créer des embarras.

Le gouvernement de Sa Majesté sera néanmoins prêt à inviter l'Autriche, ainsi que les autres Puissances cosignataires du traité de Vienne, à appuyer les démarches que la Grande-Bretagne et la France s'apprêtent à faire à Saint-Pétersbourg.

Concernant Cracovie, il n'est pas probable que l'Autriche, en ce moment-ci, prenne une mesure aussi radicale que le rétablissement de cette République. Elle croirait ne pas pouvoir le faire sans courir le risque de créer par là un centre d'action pour les partis extrêmes.

Reste la grosse question, celle des relations entre la Russie et le Royaume de Pologne; et le gouvernement de Sa Majesté est d'accord avec le point de vue général adopté par le gouvernement impérial au sujet de la position de la Russie en Pologne.

En ce qui touche la Prusse, il faut remarquer que le Duché de Posen est en train d'être, peu à peu, plus ou moins germanisé; près de la moitié de la population et plus de la moitié de la propriété sont allemandes. Dantzig est plus allemand encore de caractère, et les plaintes de la population polonaise du Duché de Posen portent moins sur le fait d'être privée des droits à elle conférés par le traité de Vienne que sur le fait que la possession de leur sol passe graduellement aux mains de la population allemande.

En ce qui touche l'Autriche, on peut faire observer qu'elle n'a actuellement rien à craindre de ses sujets polonais. L'Eglise catholique romaine forme un lien religieux entre eux et le gouvernement autrichien; les fonctions de la Diète de Galicie et la position des députés galiciens au Reichsrat créent une sorte de pacte d'union politique entre la Galicie et l'Autriche; les usages polonais en Galicie sont respectés.

Différente est la situation dans le Royaume de Pologne. Mais si l'Angleterre et la France devaient se décider à intervenir en donnant des conseils à Saint-Pétersbourg, il s'agit de procéder avec prudence en donnant à leur représentation une tournure propre à rendre un bon résultat vraisemblable. Les gouvernements d'Angleterre et de France partagent l'opinion que les engagements du traité de Vienne relatifs au Royaume de Pologne n'ont pas été remplis par la Russie. Une demande simple et péremptoire réclamant l'exécution de ces engagements aurait probablement pour effet de réveiller d'anciennes controverses, sans produire aucun résultat à l'avantage de la Pologne. Néanmoins, le rappel de ces engagements officiels devra nécessairement constituer la base de toute protestation à présenter à la Russie.

En combinant les obligations du traité de Vienne avec les raisons qu'il y a de faire vite, ainsi qu'avec le juste souci du bien de la Pologne, on pourrait soumettre au gouvernement russe des considérations qui, sans blesser son orgueil, ni créer d'agitation inutile, pourraient amener ce gouvernement à des réflexions et à des conclusions dont le résultat bénéficierait à la Russie, à la Pologne et au reste de l'Europe.

L'objet et la forme de représentations de ce genre réclament un examen attentif, et le gouvernement de Sa Majesté est en train de discuter les termes d'une dépêche à adresser à l'ambassadeur de Sa Majesté à Saint-Pétersbourg pour être communiquée au prince Gortchakow. Le gouvernement de Sa Majesté enverra une copie de cette dépêche à Votre Excellence, et sera heureux de communiquer avec le gouvernement français sur un sujet de si grande, si générale et si pressante importance.

J'ai l'honneur, etc.

Signé: RUSSELL.

1863, 2 mars, Foreign Office.

N° 329.

Dépêche du ministre des affaires étrangères à l'ambassadeur de la Grande-Bretagne à Saint-Pétersbourg, lui prescrivant de faire part au gouvernement russe des sentiments de l'Angleterre en ce qui regarde l'état de choses en Pologne, d'insister sur le besoin d'un armistice dans ce pays et de la restitution au Royaume du Congrès des privilèges accordés par Alexandre Ier.

Milord,

Le gouvernement de Sa Majesté suit avec la plus profonde sollicitude l'état de choses actuel dans le Royaume de Pologne. Il y voit, d'un côté, une grande masse de la population en insurrection ouverte contre le gouvernement; et, d'autre part, une force militaire considérable employée à réprimer cette insurrection. Le résultat naturel et probable à attendre d'un pareil conflit est le succès de la force armée. Mais le succès, s'il doit être obtenu par une série de conflits sanglants, sera accompagné d'une lamentable effusion de sang, de déplorables sacrifices en vies humaines, de désolation générale, d'appauvrissement et de ruines qu'il faudra de longues années pour réparer.

En outre, les actes de violence et de destruction, de part et d'autre, inséparables d'une lutte de ce genre, engendreront nécessairement des haines et des rancunes mutuelles qui, pour des générations à venir, aigriront les relations entre le gouvernement russe et la race polonaise.

Néanmoins, si vivement que le gouvernement de Sa Majesté déplore l'existence d'un état de choses aussi pitoyable dans un pays étranger, il n'eût pas peut-être jugé à propos d'en exprimer formellement ses sentiments, s'il n'y avait dans l'état de choses actuel en Pologne certaines particularités qui placent la question en dehors des conditions usuelles et ordinaires.

Le Royaume de Pologne a été constitué et ses rapports avec l'Empire russe ont été définis par le traité de 1815 où la Grande Bretagne était partie contractante. Le désastreux état de choses actuel découle du fait que la Pologne n'est pas dans la condition dans laquelle les stipulations du dit traité exigent qu'elle soit placée.

La Pologne n'est pas davantage dans la situation dans laquelle elle avait été placée par l'Empereur Alexandre Ier par qui le traité fut signé.

Durant son règne, une Diète nationale siégeait à Varsovie, et les Polonais du Royaume de Pologne jouissaient de privilèges propres à garantir leur existence politique.

Depuis 1832, néanmoins, un état de malaise et de mécontentement a été suivi de temps à

autre par des troubles violents et d'inutiles effusions de sang.

Le gouvernement de Sa Majesté a dû se convaincre que la cause immédiate de l'insurrection actuelle a été la conscription récemment imposée à la population polonaise; mais cette mesure

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