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PRÉFACE

« Au nom de la Très-Sainte et Indivisible Trinité », il y a près de cent cinquante ans, la Russie, la Prusse et l'Autriche se concertèrent pour anéantir l'État polonais; puis, comme le nom de Pologne évoquait un spectre redoutable, ils résolurent de l'effacer à jamais de la langue des nations, afin que l'iniquité commise fût ensevelie dans un éternel oubli. Ils pensaient que de la sorte ils pourraient jouir en paix du fruit de leur crime. Sur le tombeau de leur victime, on écrivit : « Finis Poloniae », et on essaya d'étouffer sous la pierre sépulcrale le souvenir même d'un millier d'années de civilisation et de grandeur.

De sombres pronostics accompagnèrent l'œuvre des spoliateurs. La sentence condamnant la République de Pologne à la mort politique n'était pas encore signée, que l'on s'apercevait en toute évidence avoir mis de force au cercueil, non le cadavre d'une nation décrépite, mais le corps vivant d'un peuple en plein essor. Sous l'auréole de l'héroïsme déployé dans la lutte pour la délivrance de la patrie, pour les droits de l'homme, l'insurrection de Kościuszko porta devant le tribunal de la justice historique une éloquente protestation contre la violence exercée sur la République. L'existence politique de la Pologne n'en fut pas sauvée; il ne resta plus sous le soleil un pouce de terre polonaise libre.

Néanmoins la voix des combattants pour la liberté ne se tut pas. Elle se fit entendre, parmi le fracas des batailles livrées par les Légions de Dombrowski sur la terre d'Italie, dans le chant qu'elles entonnèrent, et qui, pendant plus d'un siècle d'esclavage, devait attester les infrangibles aspirations des Polonais à l'indépendance, leur foi inébranlable en l'inanité définitive de l'oppression étrangère, en le triomphe de leur cause, de leurs droits non périmés : « Non, la Pologne n'est pas morte ».

A travers les murs épais de la prison, cette voix, à maintes reprises, retentit sur le vaste monde: elle fut l'âme des grands soulèvements nationaux de 1830 et de 1863, où elle fit appel à l'aide et à la justice du genre humain. Mais alors, paraît-il, l'heure de la Pologne n'avait pas encore sonné, l'heure si attendue de la liberté des peuples.

Après la sanglante défaite de la dernière insurrection, la question polonaise commença de plus en plus à être écartée de l'arène internationale et à déchoir au rang de question intérieure des États copartageants. C'est à eux en définitive que, pour qu'elle ne troublât plus l'« ordre légal » établi, en fut abandonnée la solution.

Et voici que cet «< ordre établi » a été enfin ébranlé dans ses fondements.

Aujourd'hui, du système politique des États copartageants il ne reste plus que des ruines. Et sur ces ruines, comme une nécessité historique, surgit l'image de la future République de Pologne. Sa restauration apparaît l'inéluctable condition de la mise en équilibre du système européen et mondial; sans elle, pas de paix possible.

Notre génération a perdu la mémoire de toute cette tragique succession d'événements qui, à partir des partages de la Pologne au XVIIIe siècle, se sont déroulés durant tout le XIXe siècle, et au dénouement desquels nous allons assister. Il nous a donc semblé qu'il serait utile de lui en rappeler les actes les plus importants et de lui soumettre les documents diplomatiques échangés au sujet de la question polonaise.

Le présent volume comprend des pièces diplomatiques relatives à une période de cent cinquante ans, à commencer par les dernières années avant les partages, jusqu'au jour où a éclaté la guerre, en 1914.

Ces documents, classés par ordre de dates, sont reproduits sous deux formes : Premièrement, in extenso, ainsi qu'en extraits qui à eux seuls constituent un tout, un fragment homogène d'un acte duquel, par exemple, a été supprimé le début, la fin, etc., passages qui ne concernaient pas la Pologne ou avaient trait à des détails tout à fait secondaires dont notre publication n'avait pas à tenir compte.

Secondement, en extraits qui, par eux-mêmes, ne constituent pas un tout ininterrompu, c'est-à-dire où on a omis certains passages et phrases du contexte. Nous avons appliqué ce système de résumé surtout aux documents fort étendus dont la citation in extenso eût été matériellement impossible, car elle eût démesurément accru l'ampleur de notre publication en la surchargeant de détails superflus et, par là-même, plutôt nuisibles à la clarté des textes. Bien que nous ayons apporté tous nos soins à rédiger ces résumés avec la plus grande précision et impartialité, n'ayant recours presque exclusivement qu'aux termes mêmes employés dans les pièces originales, nous avons considéré comme indispensable de faire ressortir la nature particulière des documents en question en les reproduisant en caractères distincts. Grâce à cette impression spéciale nous avons pu éviter de remplacer les passages omis par des points qui ne disent rien au lecteur et, par contre, compliquent la lecture des actes.

Les pièces ont été, bien entendu, rapportées dans leur teneur littérale et en conservant toutes les particularités de leur style, même de leurs fautes. Nous avons seulement substitué la nouvelle orthographe à l'ancienne. Nous nous sommes également permis de faire de légères corrections à l'orthographe des noms propres, afin d'uniformiser, d'une part, la manière d'écrire dans tout le Recueil, et, de l'autre, pour rectifier certains mots défigurés dans l'original et s'éloignant par trop de la prononciation polonaise.

Afin de faciliter au lecteur l'exacte compréhension de ces documents, il nous a paru nécessaire de rappeler en de brèves notices, intercalées entre les actes et imprimées en caractères italiques, les principaux événements qui se sont déroulés à l'époque en question, ainsi que de faire

précéder les grandes périodes de notre histoire contemporaine de succinctes caractéristiques, aussi objectives et aussi documentées que possible. C'est de même sous forme de notices que nous avons cité des documents de politique intérieure polonaise qui ont exercé une influence décisive sur l'évolution des affaires de Pologne et, par conséquent, se trouvent en rapport direct ou indirect avec les matières des correspondances diplomatiques d'alors. Il s'agit ici, en premier lieu, de la Constitution du 3 mai 1791, des Chartes constitutionnelles du Duché de Varsovie et du Royaume du Congrès, enfin, du Statut organique de 1832, que nous reproduisons tous en extraits textuels plus ou moins étendus.

Plusieurs cartes géographiques, dessinées par M. Biske, ont été annexées au présent volume, pour illustrer les changements territoriaux survenus en Pologne depuis 1772.

Certaines lacunes que l'on pourrait reprocher à cette publication sont dues aux conditions anormales dans lesquelles elle a été faite les temps de guerre et la difficulté de communications avec la Pologne. Nous espérons toutefois qu'elle aura, au moins en partie, atteint son but de faire la lumière sur la question polonaise en mettant en relief son développement historique sur le terrain international.

C'est aux Polonais des États-Unis d'Amérique, au Département National Polonais de Chicago, que, par l'intermédiaire de l'Agence Polonaise Centrale de Lausanne, le Bureau Polonais d'Études et de Publications Politiques est redevable des fonds qui l'ont mis à même de couvrir les frais de cette édition.

Nous remercions M. Stanislas Filasiewicz qui a assumé les soins méticuleux des corrections et, en général, a dirigé les travaux de publication du Recueil; de même que M. Paul Rongier, lecteur à l'Université de Cracovie, pour son concours compétent apporté à la rédaction française de l'ouvrage.

Nous adressons, enfin, l'expression de notre gratitude à la Bibliothèque du Musée National Polonais de Rapperswil, qui nous a permis de profiter, en une large mesure, de ses riches collections.

KAROL LUTOSTAŃSKI.

INTRODUCTION

LES CAUSES ESSENTIELLES DE LA CHUTE

DE LA RÉPUBLIQUE DE POLOGNE

pour

En 1772, lorsque les cabinets de Saint-Pétersbourg, de Berlin et de Vienne s'accordèrent démembrer une partie des territoires de la Pologne, ils pensèrent devoir présenter cet attentat à l'Europe sous les couleurs les moins blessantes, et le faire passer pour un acte nécessaire au salut de l'humanité. C'est la Russie qui s'appliqua le plus à justifier cette violation; l'Autriche suivit cet exemple; la Prusse seule ne se soucia guère de sauver les apparences. La convention, conclue à Saint-Pétersbourg, le 5 août (25 juillet vieux style) 1772, sous l'invocation de la Très-Sainte Trinité, traitait les titres prétendus légaux des trois Puissances à s'emparer des pays polonais limitrophes comme une considération secondaire, additionnelle. Elle insistait tout particulièrement sur « l'esprit de faction qui maintenait l'anarchie en Pologne, y faisant craindre la décomposition totale de l'État, qui pourrait troubler les intérêts des voisins de cette République, altérer la bonne harmonie qui existe entre eux et allumer une guerre générale ». Pour le second partage (1793) on allégua de tout autres raisons: cette fois la Prusse et la Russie se voyaient contraintes d'occuper les territoires polonais, afin d'y combattre « l'esprit du démocratisme français et les maximes de cette secte atroce » (les Jacobins). Le même prétexte légitima aux yeux des voisins la nécessité d'une liquidation définitive de l'État polono-lithuanien.

Dans les conventions ultérieures entre la Russie, la Prusse et l'Autriche (1797), la nation polonaise était traitée comme n'existant plus légalement, et le mot Pologne était rayé de la langue des hommes.

Elle subsistait pourtant, cette nation, elle grandissait et elle ne cessa jamais de manifester sa volonté de vivre, de vivre libre (1806, 1830, 1846, 1848, 1863). La science polonaise, les lettres, l'art, l'effort économique, pendant tout le XIXe siècle, vinrent crier aux ennemis et aux tyrans : « Nous durons »,- et aucune répression, aucune tentative de désagrégation de la société polonaise, aucun mensonge conventionnel de la diplomatie n'ont pu étouffer cette protestation de plus en plus puissante à chaque génération.

ACTES ET DOCUMENTS ***

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