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Ces Prêtres n'ont point, comme parmi nous, de bénéfices ou de rentes assignées; mais ils vivent en partie du produit de leurs Messes, des dons de leurs auditeurs, et du travail de leurs mains. Les uns exercent des métiers, d'autres cultivent un petit domaine; tous s'occupent pour le soutien de leur famille et l'édification de leur troupeau. Ils sont un peu dédommagés de leur détresse, par la considération dont ils jouissent; ils en éprouvent à chaque instant des effets flatteurs pour la vanité : quiconque les aborde, pauvre ou riche, grand ou petit, s'empresse de leur baiser la main ils n'oublient pas de la présenter; et ils ne voient pas avec plaisir les Européens s'abstenir de cette marque de respect, qui répugne à nos mœurs, mais qui ne coûte rien aux naturels accoutumés dès l'enfance à la prodiguer. Du reste, les cérémonies de la religion ne sont pas pratiquées en Europe avec plus de publicité et de liberté que dans le Kesraouân. Chaque village a sa chapelle, son desservant, et chaque chapelle a sa cloche; chose inouie dans le reste de la Turquie. Les Maronites en tirent vanité; et pour s'assurer la durée de ces franchises, ils ne permettent à aucun Musulman d'habiter parmi

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eux. Ils s'arrogent aussi le privilège de porter le turban vert, qui, hors de leurs limites, coûteroit la vie à un Chrétien.

L'Italie ne compte pas plus d'Evêques que ce petit canton de la Syrie; ils y ont conservé la modestie de leur état primitif: on en rencontre souvent dans les routes montés sur une mule, suivis d'un seul Sacristain. La plupart vivent dans les Couvens, où ils sont vêtus et nourris comme les simples Moines. Leur revenu le plus ordinaire ne passe pas 1,500 livres ; et dans ce pays, où tout est à bon marché, cette somme suffit à leur procurer même l'aisance. Ainsi que les Prêtres, ils sont tirés de la classe des Moines; leur titre, pour être élus, est communément une prééminence de savoir: elle n'est pas difficile à acquérir, puisque le vulgaire des Religieux et des Prêtres ne connaît que le catéchisme et la Bible. Cependant il est remarquable que ces deux classes subalternes sont plus édifiantes par leurs mœurs et par leur conduite; qu'au contraire les Evêques et le Patriarche, toujours livrés aux cabales et aux disputes de prééminence et de religion, ne cessent de répandre le scandale et le trouble dans le pays, sous prétexte d'exercer, selon l'ancien usage, la

correction ecclésiastique: ils s'excommunient mutuellement eux et leurs adhérens; ils suspendent les Prêtres, interdisent les Moines, infligent des pénitences publiques aux Laïques ; en un mot, ils ont conservé l'esprit brouillon et tracassier qui a été le fléau du Bas-Empire. La Cour de Rome, souvent importunée de leurs débats, tâche de les pacifier, pour maintenir en ces contrées le seul asyle qu'y conserve sa puissance. Il y a quelque temps qu'elle fut obligée d'intervenir dans une affaire singulière, dont le tableau peut donner une idée de l'esprit des Maronites.

Vers l'an 1755, il y avait dans le voisinage de la mission des Jésuites, une fille Maronite, nommée Hendié, dont la vie extraordinaire commença de fixer l'attention du peuple. Elle jeûnait, elle portait le cilice, elle avait le don des larmes; en un mot, elle avait tout l'extérieur des anciens Hermites, et bientôt elle en eut la réputation. Tout le monde la regardait comme un modèle de piété, et plusieurs la réputèrent pour Sainte de-là aux miracles le passage est court; et bientôt en effet le bruit courut qu'elle faisait des miracles. Pour bien concevoir l'impression de ce bruit, il ne faut oublier pas

que

l'état

des esprits dans le Liban, est presque le même qu'aux premiers siècles. Il n'y eut donc ni incrédules, ni plaisans, pas même de douteurs. Hendié profita de cet enthousiasme pour l'exécution de ses projets; et se modelant en apparence sur ses prédécesseurs dans la même carrière, elle desira d'être fondatrice d'un ordre nouveau. Le cœur humain a beau faire; sous quelque forme qu'il déguise ses passions, elles sont toujours les mêmes : pour le conquérant comme pour le cénobite, c'est toujours également l'ambition du pouvoir; et l'orgueil de la prééminence se montre même dans l'excès de l'humilité. Pour bâtir le couvent, il falloit des fonds; la fondatrice sollicita la piété de ses partisans, et les aumônes abondèrent; elles furent telles, que l'on put élever en peu d'années deux vastes maisons en pierres de taille, dont la construction a dû coûter quarante mille écus. Le lieu, nomméle Kourket, est un dos de colline au nord-ouest d'Antoura, dominant à l'ouest, sur la mer qui en est trèsvoisine, et découvrant au sud jusqu'à la rade de Bairout; éloignée de quatre lieues. Le Kourket ne tarda pas de se peupler de Moines et de Religieuses. Le Patriarche actuel fut le Directeur

général; d'autres emplois, grands et petits, furent conférés à divers Prêtres ou Candidats, que l'on établit dans l'une des maisons. Tout réussissait à souhait : il est vrai qu'il mourait beaucoup de Religieuses; mais on en rejetoit la faute sur l'air, et il était difficile d'en imaginer la vraie cause. Il y avait près de vingt ans.que Hendié régnait dans ce petit empire, quand un accident, impossible à prévoir, vint tout renverser. Dans des jours d'été, un commissionnaire venant de Damas à Bairout, fut surpris par la nuit près de ce couvent les portes étaient fermées, l'heure indue; il ne voulut rien troubler; et, content d'avoir pour lit un monceau de paille, il se coucha dans la cour extérieure en attendant le jour. Il y dormoit depuis quelques heures, lorsqu'un bruit clandestin de portes et de verroux vient l'éveiller. De cette porte sortirent trois femmes qui tenoient en main des pioches et des pelles; deux hommes les suivaient, portant un long paquet blanc, qui paroissoit fort lourd. La troupe s'achemina vers un terrain voisin plein de pierres et de décombres. Là, les hommes déposèrent leur fardeau, creusèrent un trou où ils le mirent, recouvrirent le trou de terre qu'ils foulèrent, et

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