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son oncle Mansour l'anneau, qui chez les Druzes est le symbole du commandement. En 1773, une nouvelle révolution le replaça; mais ce ne fut qu'au prix d'une guerre civile qu'il put maintenir sa puissance. Ce fut alors que pour s'assurer Bairout contre la faction adverse, il invoqua le secours des Turks, et demanda au Pacha de Damas un homme de tête qui sût défendre cette ville. Le choix tomba sur un aventurier qui, par sa fortune subséquente et le rôle qu'il joue aujourd'hui, mérite qu'on le fasse connaître. Cet homme, nommé Ahmad, est né en Bosnie, et a pour langue naturelle le sclavon, ainsi que l'assurent les Capitaines de Raguse, avec qui il converse de préférence à tous les autres. On prétend qu'il s'est banni de son pays à l'âge de seize ans, pour éviter les suites d'un viol qu'il voulut commettre sur sa belle-sœur : il vint à Constantinople; et là ne sachant comment vivre, il se vendit aux marchands d'esclaves, pour être transporté en Egypte. Arrivé au Kaire Alibek l'acheta, et le plaça au rang de ses Mamlouks. Ahmad ne tarda pas à se distinguer par son courage et son adresse. Son patron l'employa en plusieurs occasions à des coups de main dan

gereux, tels que les assassinats des Beks et des Kachefs qu'il suspectait. Ahmad s'acquitta si bien de ses commissions, qu'il en acquit le surnom de Djezzár, qui signifie égorgeur. Il jouissait à ce titre de la faveur d'Ali, quand un accident la troubla. Ce Bek ombrageux ayant jugé à-propos de proscrire un de ses bienfaiteurs, nommé Saléh-bek, chargea Djezzár de lui couper la tête. Soit remords, soit intérêt secret, Djezzâr répugna; il fit même des représentations. Mais apprenant le lendemain que Mohammad - bek avait rempli la commission, et qu'Ali tenait des propos, il se jugea perdu, et pour éviter le sort de Sâléh-bek, il s'échappa clandestinement, et gagna Constantinople. Il y sollicita des emplois proportionnés au rang qu'il avait tenu; mais y trouvant cette affluence de concurrens qui assiégent toutes les capitales, il se traça un autre plan, et vint à titre de simple soldat chercher du service en Syrie. Le hasard le fit passer chez les Druzes, et il reçut l'hospitalité dans la maison même du Kiâya de l'Emir Yousef. De-là, il se rendit à Damas, où il obtint bientôt le titre d'Aga, avec un commandement de cinq drapeaux, c'est-à-dire, de cinquante hommes: ce

fut dans ce poste que le sort vint le chercher pour en faire le Commandant de Baîrout. Djezzâr ne s'y vit pas plus tôt établi, qu'il s'en empara pour les Turks. Yousef fut confondu de ce revers. Il demanda justice à Damas; mais voyant qu'on se moquait même de ses plaintes, il traita par dépit avec Dâher, et conclut avec lui une alliance offensive et défensive à Rás-el-aén, près de Sour. Aussitôt Dâher uni aux Druzes, vint assiéger Baîrout par terre, pendant que deux frégates Russes, dont on acheta le service pour 600 bourses, vinrent la canonner par mer. Il fallut céder à la force. Après une résistance assez vigoureuse, Djezzâr rendit sa personne et sa ville. Le Chaik charmé de son courage, et flatté de la préférence qu'il lui avoit donnée sur l'Emir, l'emmena à Acre, et le traita avec toute sorte de bontés. Il crut même pouvoir lui confier une petite expédition en Palestine; mais Djezzâr arrivé près de Jérusalem, repassa chez les Turks, et s'en retourna à Damas. La guerre de Mohammad-bek survint: Djezzâr se présenta au Capitan Pacha, et gagna sa confiance. Il l'accompagna au siége d'Acre; et lorsque l'Amiral eut détruit Dâher, ne voyant personne plus propre

que Djezzâr à remplir les vues de la Porte dans ces contrées, il le nomma Pacha de Saide. Devenu par cette révolution Suzerain de l'Emir Yousef, Djezzâr a d'autant moins oublié son injure, qu'il a eu lieu de s'accuser d'ingratitude. Par une conduite vraiment Turke, feignant tour-à-tour la reconnaissance et le ressentiment, il s'est tour-à-tour brouillé et réconcilié avec lui, en exigeant toujours de l'argent pour prix de la paix, ou pour indemnité de la guerre. Ce manége lui a si bien réussi, qu'en un espace de cinq années, il a tiré de l'Emir environ quatre millions de France; somme d'autant plus étonnante, que la ferme du pays des Druzes ne se montait pas alors à cent mille francs. En 1784, il lui fit la guerre, le déposa, et mit à sa place l'Emir du pays de Hasbeya, appelé Ismaël. Yousef ayant de nouveau racheté ses bonnes graces, rentra sur la fin de l'année à Dair - el - Qamar. Il poussa même la confiance jusqu'à l'aller trouver à Acre, d'où l'on ne croyait pas qu'il revînt ; mais Djezzâr est trop habile pour verser le sang, quand il y a encore espoir d'argent : il a fini par relâcher le Prince, et le renvoyer même avec des démonstrations d'amitié. Depuis lors, la Porte l'a nommé

Pacha de Damas, où il réside aujourd'hui. Là, conservant la suzeraineté du Pachalic d'Acre et

du pays des Druzes, il a saisi Sâd Kiâya de l'Emir, et sous le prétexte qu'il est l'auteur des derniers troubles, il a menacé de les lui faire payer de sa tête. Les Maronites alarmés pour cet homme qu'ils révèrent, ont offert 900 bourses pour sa rançon. Le Pacha marchande, et en aura mille; mais si, comme il est probable, l'or s'épuise par tant de contributions, malheur au Ministre et au Prince! Le sort de tant d'autres les attend; et on pourra dire qu'ils l'ont mérité; car c'est l'impéritie de l'un et l'ambition de l'autre, qui en mêlant les Turks aux affaires des Druzes, ont porté à la tranquillité et à la sureté de leur nation, une atteinte dont elle sera long-temps à se relever, si elle ne suit que le cours naturel des évènemens.

Revenons à la Religion des Druzes. Ce qu'on a vu des opinions de Mohammad-ben-Ismaël, peut en être regardé comme la définition. Ils ne pratiquent ni circoncision, ni prières, ni jeûne ; ils n'observent ni prohibitions, ni fêtes. Ils boivent du vin, mangent du porc, et se marient de sœur frère. Seulement on ne voit plus chez eux d'al

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