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pés injustement. Il importe d'ailleurs à la partie attaquée de démontrer à toutes les nations l'injustice de l'agression dont elle est l'objet, afin d'ôter par là à l'ennemi tout prétexte plausible pour obtenir les secours qu'il pourrait solliciter de ses alliés. Le silence établirait contre elle une présomption défavorable, et laisserait le champ libre à la calomnie et à la mauvaise foi.

Il suffit de connaître l'influence de l'opinion sur les événements pour juger de l'importance de l'acte dont il est ici question. L'ambition même, quoique appuyée sur la force, ne dédaigne point impunément l'opinion publique à défaut de motifs réels, elle s'efforce d'en trouver de spécieux pour colorer et légitimer ses prétentions. Des manifestes éloquents ont souvent rallié l'esprit public, divisé par des querelles intestines, et l'on a vu des populations désunies et découragées, abjurant heureusement leurs haines, s'enflammer de cet enthousiasme national qui de tout temps a produit de si grandes choses.

Les subtilités juridiques sont ici plus qu'ailleurs à dédaigner; l'essentiel est de ne se montrer armé que pour une cause légitime; de rejeter sur son adversaire le tort d'une agression injuste et la responsabilité des malheurs qui en sont ordinairement la suite.

La couleur générale qu'il convient de donner à ces écrits dépend trop des circonstances, qui elles-mêmes varient trop souvent, pour qu'il soit possible de soumettre à des règles positives le style qui leur est propre. Le sentiment d'indignation contre une agression injuste ne doit point se manifester par des ex

pressions passionnées ou offensantes; mais un exposé noble, simple et modéré des faits, doit le justifier ou le faire naître.

Cette dignité et cette retenue ne se rencontrent pas toujours dans tous les manifestes, mais leur absence regrettable ne s'y fait pas moins sentir.

MANIFESTES ET PROCLAMATIONS.

Manifeste de la France portant déclaration de guerre contre l'Impératrice-Reine de Hongrie, Marie-Therèse. (1744.)

Manifeste.

Lorsque S. M. s'est trouvée dans l'obligation, après que toutes les voies de conciliation eurent été épuisées, d'accorder à la maison de Bavière les secours qu'elle s'était engagée à lui fournir (1), pour l'aider à soutenir ses droits sur quelques-uns des États de la succession de feu l'empereur Charles VI, elle n'avait aucun dessein de se rendre partie principale dans la guerre. Si le roi eût voulu profiter des circonstances pour étendre les frontières de son royaume, personne n'ignore combien il lui eût été facile d'y parvenir, soit par la voie des armes, qui n'auraient alors éprouvé qu'une faible résistance, soit en acceptant les offres avantageuses et réitérées qui lui ont été faites par la reine de Hongrie pour le détacher de ses alliés. Mais loin que la modération de S. M. ait produit les effets qu'on devait s'en promettre, les pro

(1) En vertu du traité d'alliance que la cour de Versailles avait conclu avec l'électeur de Bavière, dont elle reconnut les prétentions sur la succession de l'empereur Charles VI, les troupes françaises réunies à celles de l'électeur s'étaient portées déjà, en 1741, dans les États héréditaires ; mais ce ne fut qu'en 1744 que, la France ayant éprouvé des revers, et la reine de Hongrie ayant rejeté les ouvertures de paix que la cour de Versailles lui avait faites, cette cour se détermina à lui déclarer la guerre dans les formes, et comme partie principale.

cédés de la cour de Vienne envers la France ont été portés à un tel degré d'aigreur et de violence que S. M. ne peut différer plus longtemps d'en faire éclater son juste ressentiment. Les écrits scandaleux dont cette cour et ses ministres ont inondé l'Europe, l'infraction de toutes les capitulations, la dureté des traitements qu'elle a exercés envers les prisonniers français qu'elle retient contre les stipulations expresses du cartel, enfin ses efforts pour pénétrer en Alsace, précédés de déclarations aussi téméraires qu'indécentes, qu'elle a fait répandre sur les frontières pour exciter les peuples à une révolte; tant d'excès redoublés forcent aujourd'hui S. M., pour la vengeance de sa propre injure, la défense de ses États et le soutien des droits de ses alliés, à déclarer la guerre, comme elle la déclare par la présente, à la reine de Hongrie, tant sur terre que sur mer.

Versailles, le 26 avril 1744.

LOUIS.

Contre-Manifeste de l'Impératrice-Reine de Hongrie. (1744.)

Manifeste.

Il est notoire avec combien de religion et de scrupule nous nous sommes appliquée, depuis notre avénement au trône de nos ancêtres, à remplir les traités de paix, d'amitié et d'alliance que notre maison avait contractés avec toutes les puissances de l'Europe. Ce fait est même si incontestable que plusieurs ont pensé que nous avions poussé trop loin la complaisance. Tant d'égards cependant dont nous avons usé n'ont point été capables d'empê-cher la couronne de France de violer la paix qu'elle avait jurée peu d'années auparavant; d'attaquer la succession héréditaire, qu'elle nous avait solennellement garantie; de machiner les desseins les plus pernicieux, au préjudice de notre maison archiducale, non-seulement dans toutes les cours des princes chrétiens mais même à la Porte-Ottomane, au grand scandale de cette der

nière, qui, se piquant de fidélité et de bonne foi, n'a pu manquer d'en témoigner son aversion; d'allumer la guerre dans le Nord pour nous frustrer du secours que nous en pouvions attendre; d'inonder avec de nombreuses armées nos royaumes et États héréditaires, qu'elle s'était engagée à nous garantir; de les épuiser entièrement, ainsi que ses généraux s'en sont vantés; de distribuer capricieusement à d'autres princes la plupart de nos États; de dire hautement qu'elle nous forcerait, sur les remparts de Vienne, de signer ces indignes conditions; de prétendre non-seulement que notre maison archiducale était éteinte, mais de travailler en effet à sa destruction, de la manière qu'il a été dit ; en un mot, de troubler l'Empire, toute l'Europe et la chrétienté en mettant tout en combustion. Le souvenir de ces entreprises est trop récent pour avoir besoin de preuves : mais puisque la partie adverse a franchi absolument toutes les règles de bienséance, nous ne manquerons pas de mettre incessamment au jour plusieurs secrets qu'on a voulu dérober à la connaissance du public, et que des égards outrés et superflus nous ont empêchée jusqu'à présent de divulguer. En attendant, il n'y a personne au monde qui ne doive être convaincu que l'histoire ne fournit aucun exemple d'un semblable procédé, et que la postérité aura peine à y croire. Mais ce qui doit paraître incompréhensible à tout le monde, c'est de voir couvrir du voile de l'amitié un procédé si inouï et si incroyable; et que, comme pour se moquer de tout ce qu'il y a d'hommes sensés dans le monde, on s'efforce de leur persuader qu'il n'est pas incompatible avec la modération, l'amour de la paix et les intentions les plus innocentes et les plus pures; c'est-à-dire que les traités de paix solennellement jurés ne souffrent aucun préjudice de ces hostilités poussées à l'excès. Des artifices si palpables et si évidents n'ont jamais été capables de nous en imposer un seul moment, ni de nous faire oublier ce que nous nous devons à nous-mêmes, à nos successeurs, à nos sujets, à nos alliés, à l'Allemagne notre patrie et à toute la chrétienté. Et quoique nous soyons très-éloignée de tous sentiments de haine et de vengeance, qui n'ont jamais prévalu ni ne prévaudront jamais à l'avenir dans notre esprit sur un état durable et véritablement heureux de paix et de pro

spérité, néanmoins, toutes les voies amiables ayant été orgueilleusement rejetées par la partie adverse, qui s'est contentée d'opposer à l'exposition des matières de droit ('), après l'avoir écoutée avec dédain, d'un côté la grande supériorité de nos ennemis réunis, et de l'autre la faiblesse de notre maison archiducale, qu'on croyait généralement abandonnée, nous n'avons pu nous dispenser de faire les derniers efforts pour sa défense, dans la ferme confiance que Dieu punit toujours l'orgueil, la perfidie et le parjure, quand même tout secours humain viendrait à nous manquer, son bras tout-puissant pouvant seul nous en tenir lieu.

Nous n'avons point été frustrée dans notre attente, sans pour cela que les succès que Dieu a accordés à nos armes aient diminué en rien nos sentiments pacifiques. Nous nous sommes expliquée depuis de la même façon que nous avions fait auparavant, et nous n'avons insisté que sur un dédommagement indispensable, attendu l'insuffisance de tant de promesses, traités, garanties, serments, en un mot, des engagements les plus forts qu'il soit possible d'imaginer, et dont nous avons éprouvé si sensiblement la faiblesse; afin de nous mettre efficacement à l'abri, pour l'avenir, de semblables entreprises hostiles et des maux infinis qui en sont la suite. Nos ennemis n'étaient pas dans les mêmes dispositions, etc. (2).

(1) Allusion à un mémoire justificatif publié par la reine de Hongrie. (2) Le manifeste ajoute que la guerre de la France contre la GrandeBretagne, alliée de la reine de Hongrie, eût été un motif suffisant pour cette souveraine de déclarer la guerre à la cour de France, quand même celle-ci n'aurait pas eu d'autre tort.

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