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moins considérable, ne doit pas être gêné dans le choix des mesures politiques qu'il lui convient de prendre, aussitôt qu'il est capable de se déterminer librement et sans influence étrangère; et si, dans une lutte entre deux voisins plus puissants que lui, il se déclarait neutre, toute violation de son territoire serait une infraction au droit des gens.

Mais il ne peut exister de véritable neutralité pour un État tant qu'il ne jouit pas d'une véritable indépendance. La prétendue neutralité d'un État qui n'est pas accidentellement dirige, mais qui est régulièrement gouverné par une volonté étrangère, est pour lui-même un mot vide de sens, pour ses voisins une épée à deux tranchants, tandis qu'elle assure à l'État dont il porte les fers un avantage permanent sur ses adversaires, et un moyen immanquable d'exécuter ses desseins. Lorsque par conséquent, dans une guerre dont le but précis et unique est de mettre des bornes à une prépondérance menaçante, cette neutralité fictive sert de rempart à l'injustice et devient un obstacle pour les projets de ceux qui veulent établir un meilleur ordre de choses, elle doit disparaître en même temps que la source du mal qu'elle protége.

S'il est une vérité incontestable, c'est que telle serait la position de la Suisse, d'une part envers la France, de l'autre envers les souverains qui ont pris les armes pour l'indépendance de l'Europe, si la neutralité proclamée par son gouvernement fédératif était maintenue.

L'histoire de ce pays intéressant, qui sous les rapports géographiques, militaires, politiques et moraux a durant tant de siècles fait un des principaux ornements de l'Europe, en conservant la pureté de ses principes, ne présente depuis quinze ans qu'une suite de violences employées par les dominateurs de la France pour renverser sa constitution vénérable, saper sa liberté et son bien-être, entraîner ses paisibles habitants dans des guerres intestines, piller ses trésors, fruits d'une sage économie, démembrer de tous côtés son territoire, et fouler aux pieds ses droits les plus sacrés. Après que la Suisse eut souffert tous les maux et tous les opprobres que la cruauté de ses oppresseurs fut capable d'inventer; après qu'elle eut, avec ses provinces occidentales et mé

ridionales, perdu les boulevards de son indépendance contre la France; après qu'elle eut, avec ses lois, ses richesses, ses institutions, le sentiment de sa force, et avec la concorde intérieure, perdu la force nécessaire pour résister, il lui fut enfin, en 1803, imposé, sous le nom vague et difficile à expliquer d'acte de médiation, une forme de gouvernement qui devait, disait-on, mettre un terme à ses souffrances, mais qui, dans le fait, ne fit que mettre le sceau à sa nullité politique la plus complète, et préparer les voies à de plus grands maux; forme de gouvernement qui, sans les conjonctures heureuses actuelles, aurait tôt ou tard amené sa ruine totale.

Cette forme de gouvernement était uniquement calculée pour donner de la régularité, de la durée, et une apparence de légitimité à la domination que la France avait jusqu'alors exercée sur la Suisse d'une manière arbitraire, irrégulière, et souvent même criminelle. Le succès a répondu à l'attente. Au milieu des orages qui depuis dix ans dévastent l'Europe, la Suisse n'a acheté l'ombre de tranquillité dont elle a joui qu'en se soumettant aveuglément à la volonté toute-puissante de la France. Tout ce qu'elle avait pu sauver de forces et de ressources dut être consacré au service de la France. Un signe donné par l'empereur des Français était une loi pour elle; aucun État voisin ne put compter sur la moindre faveur, par la crainte de déplaire à la France. Aucune opposition aux demandes de cette puissance, lors même que, pour ce qui avait lieu par les prohibitions relatives au commerce, elles tarissaient les sources de l'industrie et de la subsistance; aucune mesure capable, même pour les affaires d'un intérêt secondaire, de mettre des bornes à l'influence du dominateur étranger; aucune plainte, aucune manifestation du plus juste mécontentement ne furent permises. Sans être injuste envers les hommes qui, dans des circonstances si difficiles, ont pris part aux affaires publiques; sans juger leur conduite avec une trop grande sévérité; sans jeter un faux jour sur les motifs de leur conduite, et sans élever le plus léger doute sur leur patriotisme, il est permis de proclamer un fait dont toute l'Europe a été témoin: c'est que si la Suisse, sous la constitution qu'on lui a imposée, a formé, de nom, un corps politique à part, elle a

été, dans la réalité et pour toutes les choses essentielles, un État subordonné et dépendant, et, tout en conservant quelques faibles restes de ses prérogatives et de ses institutions primitives, une véritable province de l'empire français.

Dans cet état de choses, toute mesure politique prise par le gouvernement fédératif de la Suisse, quand même elle n'aurait pas été provoquée par le dominateur étranger, doit nécessairement se ressentir de l'influence qui lui a originairement donné l'impulsion. Une déclaration de neutralité qui découle d'une telle source perd tout droit au nom dont elle veut se parer. Si la puissance prépondérante est menacée d'un danger imminent, une neutralité de ce genre est pour elle d'un avantage plus grand qu'une coopération effective à ses mesures de défense; car il est évident que cette puissance ne la respectera que tant qu'elle lui sera profitable, et que dans le cas contraire elle sera annulée aussi facilement qu'elle avait été créée. Elle n'est, pour les puissances qui veulent mettre un terme aux convulsions et aux malheurs du monde, qu'une tentative maladroite imaginée pour entraver l'entreprise la plus salutaire et la plus glorieuse, et par conséquent un acte d'hostilité non-seulement contre les souverains alliés, mais encore contre l'intérêt, les besoins, les vœux les plus ardents, l'attente la plus vive de tout le genre humain. L'interprétation la plus équitable qu'on puisse lui donner relativement à la Suisse elle-même, c'est que le maintien de la situation politique actuelle de ce pays, dans l'espérance de se soustraire à un fardeau passager et de s'épargner quelques sacrifices momentanés, tendrait à condamner la Suisse à se priver pour toujours de ce qui doit lui être le plus sacré, à vivre dans une minorité perpétuelle et dans une servitude interminable.

C'est de ce point de vue que doit être envisagé l'acte de neutralité, en supposant même que la Suisse veuille se soumettre aveuglément au décret de la diète de Zurich, et que, parmi les chefs des divers cantons, il n'y aura qu'une opinion sur une mesure si équivoque. Mais il n'existerait plus le moindre vestige du caractère national des Suisses si une telle unanimité pouvait avoir lieu, et l'acte de neutralité perd toute sa validité si les autorités qui doivent veiller à son maintien et à son exécution refusent d'y

accéder. Dans une forme de gouvernement introduite d'une manière aussi irrégulière, et dont les parties sont aussi mal unies entre elles, que celle qui a été donnée à la Suisse par l'acte de médiation, l'opposition de quelques cantons, dans une affaire si importante, devrait même être regardée comme une démarche qui dissoudrait immédiatement et de fait toute la constitution fédérale : car du moment que les États souverains qui ne sont réunis que par cette constitution se regardent comme avant le droit et le pouvoir de protester contre les décrets de la diète, le lien fédératif établi par la France est rompu ; et quelque considération que les puissances étrangères aient jusqu'à présent accordée à la constitution fondée sur cette base, sa force et sa validité deviennent nulles du moment où les confédérés eux-mêmes ne la reconnaissent plus, et qu'elle retombe pour ainsi dire dans les éléments employés par une main étrangère pour la composer arbitrairement. Dans ce cas, les souverains alliés auraient indubitablement le droit de se déclarer pour le parti dans lequel ils espéreraient trouver de l'accord avec leurs principes et leurs vues. Personne ne serait sans doute assez injuste pour exiger que, par des égards déplacés pour des formes et des décrets qui n'auraient plus de prix qu'aux yeux de leurs adversaires, l'intérêt du -parti estimable qui déjà forme la majorité, et qui veut rompre les fers d'une domination étrangère et sauver l'antique liberté, fût sacrifié.

Les souverains alliés regardent l'entrée de leurs troupes en Suisse non-seulement comme une démarche inséparable de leur plan général d'opérations, mais aussi comme une préparation aux mesures qui doivent fixer, pour l'avenir, le sort de ce pays intéressant. Leur but est d'assurer à la Suisse, relativement à ses rapports avec les puissances étrangères, la position libre et avantageuse dans laquelle elle se trouvait avant les orages de la révolution. L'indépendance la plus complète, première condition de son bonheur, est en même temps un des premiers besoins politiques du système européen; mais l'état actuel de la Suisse, qui d'une confédération libre de républiques indépendantes a déchu au point de ne plus être qu'an instrument passif de la domination française, est incompatible avec cette indépendance. Si cet incon

vénient doit entièrement disparaître; si l'intégrité du territoire suisse doit être rétablie sur toutes ses frontières, et lorsque la Suisse sera rentrée dans une position qui lui permette de déterminer, sans influence étrangère, la base et la forme de sa confédération future, les puissances alliées regarderont leur ouvrage comme accompli. Le régime intérieur et la législation des cantons, et la détermination de leurs rapports réciproques, sont des choses qui doivent être laissées à la justice et à la prudence de la

nation.

C'est dans ces sentiments que les souverains alliés déclarent qu'aussitôt que le moment sera arrivé auquel on pourra négocier la paix générale, ils consacreront toute leur attention et tous leurs soins à l'intérêt de la nation suisse, et ne regarderont comme satisfaisante aucune paix dans laquelle l'état politique futur de la Suisse ne serait pas réglé d'après les principes qui viennent d'être exposés, assuré pour les temps à venir, et formellement reconnu et garanti par toutes les puissances européennes.

Déclaration des puissances alliées, sur la rupture des conférences ouvertes au congrès de Châtillon-surSeine. (1814.)

Les puissances alliées se doivent à elles-mêmes, à leurs peuples et à la France, d'annoncer publiquement, dans le moment de la rupture des conférences de Châtillon, les motifs qui les ont portées à entamer une négociation avec le gouvernement français, et les causes de la rupture de cette négociation.

Des événements militaires tels que l'histoire aura peine à en recueillir dans d'autres temps renversèrent, au mois d'octobre dernier, l'édifice monstrueux compris sous la dénomination d'empire français; édifice politique fondé sur les ruines d'États jadis indépendants et heureux, agrandi par des provinces arrachées à d'antiques monarchies, soutenu au prix du sang, de la fortune et du bien-être d'une génération entière. Conduits par la victoire sur le Rhin, les souverains alliés crurent devoir exposer de nouveau à l'Europe les principes qui forment la base de leur

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