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Le traité de la France prévenait et rendait inutile le plan formé à Londres d'une coalition momentanée et précaire avec l'Amérique, et il faisait échouer les projets secrets qui avaient conduit S. M. Britannique à une pareille démarche : la véritable cause de l'animosité que le roi d'Angleterre a manifestée, et qu'il a communiquée à son parlement, n'est autre que de n'avoir pu rallier à sa couronne les Américains pour les armer contre la France.

Une conduite si extraordinaire indiquait évidemment au roi à quoi il devait s'attendre de la part de la cour de Londres; et s'il avait pu lui rester le moindre doute à cet égard, S. M. en eût bientôt trouvé l'éclaircissement dans les préparatifs immenses qui redoublèrent avec la plus étonnante précipitation dans tous les ports d'Angleterre.

Des démonstrations aussi manifestement dirigées contre la France durent faire la loi à S. M.; elle se mit en état de repousser la force par la force. C'est dans cette vue qu'elle pressa les armements dans ses ports, et qu'elle envoya en Amérique une escadre sous le commandement du comte d'Estaing.

Il est notoire que les forces de la France furent les premières en état d'agir; il était au pouvoir du roi de porter à l'Angleterre les coups les plus imprévus et les plus sensibles; on avouera même que S. M. s'en occupait, et que ses projets allaient éclater, lorsqu'une parole de paix l'arrêta. Le roi catholique lui fit part du désir que la cour de Londres laissait entrevoir d'une conciliation par la médiation de l'Espagne. Ce monarque ne voulut pas paraître comme médiateur sans être assuré préalablement d'une acceptation claire et positive, dans le cas où il offrirait son entremise, et sans connaître les objets principaux qui pourraient servir de base à la négociation.

Le roi reçut cette ouverture avec une satisfaction proportionnée aux vœux qu'il a toujours faits pour le maintien de la paix. Quoique le roi d'Espagne eût déclaré d'abord qu'il lui était indifférent qu'on acceptât ou qu'on refusât sa médiation, et que, nonobstant les ouvertures qu'il faisait, il laissât le roi son neveu dans une entière liberté d'agir selon ses vues, non-seulement S. M. accepta la médiation, mais elle suspendit sur-le-champ la sortie de sa flotte de Brest, et consentit à communiquer ses con

ditions de paix aussitôt que l'Angleterre aurait articulé d'une manière positive son désir d'une réconciliation, dans laquelle seraient compris les États-Unis de l'Amérique, la France ne devant et ne voulant pas les abandonner.

Rien assurément ne pouvait être plus conforme aux intentions apparentes de la cour de Londres que cette détermination. Le roi catholique ne perdit sans doute pas un moment pour agir en conséquence auprès du roi d'Angleterre et de son ministère; mais celui-ci ne tarda pas à convaincre la cour de Madrid que ses ouvertures de paix n'avaient point été sincères. Le ministre britannique répondit sans détour qu'il ne pouvait être question de réconciliation et de paix qu'après que la France aurait retiré sa déclaration du 13 mars de l'année dernière.

Cette réponse était injurieuse pour l'Espagne comme pour la France, et elle décelait, de la manière la plus évidente, les vues hostiles de l'Angleterre. Les deux monarques l'envisagèrent de ce point de vue, et quoique le roi, toujours animé par son amour de la paix, laissât encore S. M. maîtresse de donner, si elle le jugeait à propos, suite à la médiation, ce prince ordonna à son chargé d'affaires à Londres de garder désormais le silence sur cet objet.

Cependant l'espoir d'une conciliation flattait encore le cœur du roi, lorsque les escadres commandées par les amiraux Keppel et Byron sortirent des ports d'Angleterre; cette démonstration acheva de déchirer le voile transparent sous lequel la cour de Londres cherchait à cacher ses véritables intentions. Il n'était plus permis d'ajouter foi à ses insinuations insidieuses, ni de douter de ses projets d'agression; et dans cet état des choses, S. M. se trouva forcée de changer la direction des mesures qu'elle avait prises précédemment pour la sûreté de ses possessions et du commerce de ses sujets.

L'événement démontra bientôt combien la prévoyance du roi avait été juste. Tout le monde sait de quelle manière la frégate de S. M. la Belle-Poule fut attaquée par une frégate anglaise à la vue même des côtes de France; il n'est pas moins notoire que deux autres frégates et un moindre bâtiment furent interceptés par surprise et conduits dans les ports d'Angleterre.

La sortie de l'armée navale que le roi avait mise sous les òrdres du comte d'Orvilliers devint nécessaire pour rompre les desseins des ennemis de sa couronne et pour venger les insultes qu'ils venaient de faire à son pavillon. La Providence fit triompher les armes de S. M.; le comte d'Orvilliers, attaqué par la flotte anglaise, la combattit et la força à la retraite après lui avoir causé un dommage considérable.

Depuis cette époque, les hostilités ont continué entre les deux couronnes sans déclaration de guerre. La cour de Londres n'en a point fait parce qu'elle manquait de moyens pour la justifier; d'ailleurs elle n'a pas osé accuser publiquement la France d'être l'agresseur, après l'enlèvement que les escadres anglaises avaient fait de trois bâtiments de S. M., et elle sentait qu'elle aurait eu trop à rougir lorsque l'exécution des ordres qu'elle avait fait passer clandestinement aux Indes aurait éclairé l'Europe sur la confiance qu'on devait avoir en ses dispositions pacifiques, et mis toutes les puissances en état de juger à laquelle des deux, de la France ou de l'Angleterre, devait être décernée l'imputation de perfidie que le ministère anglais ne perd aucune occasion de jeter à la France.

Quant au roi, s'il a différé de porter à la connaissance de toutes les nations la multiplicité de ses griefs contre la cour de Londres, et de démontrer la nécessité absolue où l'a mis cette cour de prendre les armes, c'est qu'il ne cessait de se flatter que le ministère britannique rentrerait enfin en lui-même, et que la justice, et plus encore la position critique dans laquelle il avait mis sa patrie, l'engageraient à changer de conduite.

Cette espérance paraissait d'autant mieux fondée, que les ministres anglais ne cessaient de détacher des émissaires pour sonder les dispositions du roi, tandis que le roi d'Espagne continuait à lui parler de paix. S. M., loin de démentir les sentiments qu'elle avait toujours manifestés, se prêta au contraire avec empressement aux nouvelles exhortations du roi son oncle; et pour convaincre ce prince de sa sincérité et de sa persévérance, elle lui confia sans réserve les conditions modérées auxquelles elle était prête de poser les armes.

Le roi catholique communiqua à la cour de Londres les assu

rances qu'il venait de recevoir de S. M., et il pressa cette cour d'effectuer enfin un rapprochement qu'elle n'avait, de son côté, cessé de désirer; mais le ministère britannique, en feignant toujours de souhaiter la paix, ne répondit aux démarches officieuses du roi d'Espagne qu'en lui faisant des propositions déclinatoires et inadmissibles.

Il était donc de la dernière évidence que l'Angleterre ne voulait point la paix, et qu'elle n'avait d'autre but que de gagner le temps qu'exigeaient ses préparatifs de guerre. Le roi d'Espagne sentait parfaitement cette vérité; il ne sentait pas moins combien sa dignité se trouvait compromise. Cependant ce prince était tellement touché des calamités inséparables de la guerre, et il était tellement préoccupé de l'espoir d'en arrêter encore le cours, qu'il oublia tout ce que la conduite de la cour de Londres avait d'offensant pour lui, pour ne s'occuper que des moyens de remplir ses vues pacifiques.

C'est dans cette intention que S. M. C. proposa au roi un nouveau plan, selon lequel les puissances belligérantes feraient une trêve à longues années. Ce plan fut agréé par S. M. à condition que les États-Unis y seraient compris, et qu'ils seraient traités, durant la trêve, comme indépendants de fait; et pour donner d'autant plus de facilité au roi d'Angleterrè de souscrire à cette condition essentielle, S. M. consentit que ce prince traitât avec le congrès, soit directement, soit par l'entremise du roi d'Espagne.

En conséquence de ces ouvertures, S. M. C. rédigea la proposition qu'il s'agissait de faire à la cour de Londres. Indépendamment d'une trêve illimitée, durant laquelle les États-Unis seraient regardés comme indépendants de fait, ce prince, voulant épuiser tous les moyens qui pourraient arrêter l'effusion du sang humain, prit même sur lui de proposer, relativement à l'Amérique, que chacun resterait en possession de ce qu'il occuperait au moment de la signature de la trêve.

Il n'est sans doute personne qui n'eût jugé que ces conditions seraient acceptées; cependant elles ont été refusées. La cour de Londres les a rejetées de la manière la plus formelle, et n'a mon

tré de disposition à la paix qu'autant que le roi abandonnerait les Américains à eux-mêmes.

Après une déclaration aussi tranchante, la continuation de la guerre est devenue inévitable, et dès lors S. M. a dû inviter le roi catholique à se joindre à elle, en vertu de leurs engagements, pour venger leurs griefs respectifs, et pour mettre un terme à l'empire tyrannique que l'Angleterre a usurpé et prétend conserver sur toutes les mers.

L'exposé succinct qui vient d'être fait des vues politiques, des procédés et des événements successifs qui ont occasionné la rupture entre les cours de Versailles et de Londres, mettra l'Europe en état de faire le parallèle entre la conduite du roi et celle du roi d'Angleterre, de rendre justice à la pureté et à la droiture des intentions qui ont dirigé S. M., et de juger lequel des deux souverains est le véritable auteur de la guerre qui afflige leurs États, et lequel des deux sera responsable des malheurs qu'elle entraînera après elle.

Exposé des motifs publié par la cour de Berlin sur son armement contre la France. (1792.)

S. M. Prussienne croit pouvoir se flatter que les puissances de l'Europe et le public en général n'auront pas attendu cet exposé pour fixer leur opinion sur la justice de la cause qu'elle va défendre. En effet, à moins de vouloir méconnaître les obligations que les engagements du roi et ses relations politiques lui imposent, dénaturer les faits les mieux constatés et fermer les yeux sur la conduite du gouvernement actuel de France, personne, sans doute, ne pourra disconvenir que les mesures guerrières, auxquelles S. M. se décide à regret, ne soient la suite naturelle des résolutions violentes que la fougue du parti qui domine dans ce royaume lui a fait adopter, et dont il était aisé de prévoir les conséquences funestes.

Non contents d'avoir violé ouvertement, par la suppression notoire des droits et des possessions des princes allemands en Alsace et en Lorraine, les traités qui lient la France et l'empire germa

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