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vouer et à réprouver ce qu'il croit faux, pernicieux et condamnable dans l'intérêt général des sociétés humaines.

Fidèle au système de conservation et de paix sur le maintien duquel elle a contracté avec ses augustes alliés des engagements inviolables, S. M. ne cessera de regarder le désordre et les bouleversements, quelque partie de l'Europe qui puisse en être la victime, comme un objet de vive sollicitude pour tous les gouvernements; et chaque fois que l'empereur pourra se faire entendre dans le tumulte de ces crises déplorables il croira avoir rempli un devoir dont aucune considération ne saurait le dispenser. Il me serait difficile de croire, M. le comte, que le jugement énoncé par S. M. I. sur les événements qui se passent en Espagne puisse être mal compris ou mal interprété dans ce pays. Aucun objet d'intérêt particulier, aucun choc de prétentions réciproques, aucun sentiment de méfiance ou de jalousie ne saurait inspirer à notre cabinet une pensée en opposition avec le bienêtre de l'Espagne.

La maison d'Autriche n'a qu'à remonter à sa propre histoire pour y trouver les plus puissants motifs d'attachement, d'égards et de bienveillance pour une nation qui peut se rappeler avec un juste orgueil ces siècles de glorieuse mémoire où le soleil n'avait pas de couchant pour elle; pour une nation qui, forte de ses institutions respectables, de ses vertus héréditaires, de ses sentiments religieux, de son amour pour ses rois, s'est illustrée dans tous les temps par un patriotisme toujours loyal, toujours généreux, et bien souvent héroïque. A une époque peu éloignée de nous, cette nation a encore étonné le monde par le courage, le dévouement et la persévérance qu'elle a opposés à l'ambition usurpatrice qui prétendait la priver de ses monarques et de ses lois; et l'Autriche n'oubliera jamais combien la noble résistance du peuple espagnol lui a été utile dans un moment de grand danger pour elle-même.

Ce n'est donc pas sur l'Espagne, ni comme nation, ni comme puissance, que peut porter le langage sévère dicté à S. M. I. par sa conscience et par la force de la vérité; il ne s'applique qu'à ceux qui ont ruiné et défiguré l'Espagne, et qui persistent à prolonger ses souffrances.

En se réunissant, à Vérone, à ses augustes alliés, S. M. I. a eu le bonheur de retrouver dans leurs conseils les mêmes dispositions bienveillantes et désintéressées qui ont constamment guidé les siens. Les paroles qui partiront pour Madrid constateront ce fait, et ne laisseront aucun doute sur l'empressement sincère des puissances à servir la cause de l'Espagne, en lui démontrant la nécessité de changer de route. Il est certain que les embarras qui l'accablent se sont accrus depuis peu dans une progression effrayante. Les mesures les plus rigoureuses, les expédients les plus hasardés ne peuvent plus faire marcher son administration. La guerre civile est allumée dans plusieurs de ses provinces; ses rapports avec la plus grande partie de l'Europe sont dérangés ou suspendus; ses relations mêmes avec la France ont pris un caractère si problématique qu'il est permis de se livrer à des inquiétudes sérieuses sur les complications qui peuvent en résulter.

Un pareil état de choses ne justifierait-il pas les plus sinistres pressentiments?

Tout Espagnol éclairé sur la véritable situation de sa patrie doit sentir que, pour briser les chaînes qui pèsent aujourd'hui sur le monarque et sur le peuple, il faut que l'Espagne mette un terme à cet état de séparation du reste de l'Europe dans lequel les derniers événements l'ont jetée; il faut que des rapports de confiance et de franchise se rétablissent entre elle et les autres gouvernements; rapports qui en garantissant, d'un côté, sa ferme intention de s'associer à la cause commune des monarchies européennes puissent lui fournir, de l'autre, les moyens de faire valoir sa volonté réelle, et d'écarter tout ce qui peut la dénaturer ou la comprimer. Mais pour arriver à ce but il faut avant tout que son roi soit libre, non-seulement de cette liberté personnelle que tout individu peut réclamer sous le règne des lois, mais de celle dont un souverain doit jouir pour remplir sa haute vocation.

Le roi d'Espagne sera libre du moment qu'il aura le pouvoir de faire cesser les malheurs de son peuple, de ramener l'ordre et la paix dans son royaume, de s'entourer d'hommes également dignes de sa confiance par leurs principes et par leurs lumières, de substituer enfin à un régime reconnu impraticable par ceux

là mêmes que l'égoïsme ou l'orgueil y tiennent encore attachés un ordre de choses dans lequel les droits du monarque seraient heureusement combinés avec les vrais intérêts et les vœux légitimes de toutes les classes de la nation. Lorsque ce moment sera venu l'Espagne, fatiguée de sa longue tourmente, pourra se flatter de rentrer en pleine possession des avantages que le ciel lui a départis et que le noble caractère de ses habitants lui assure; elle verra renaître les liens qui l'unissaient à toutes les puissances européennes, et S. M. I. se félicitera de n'avoir plus à lui offrir que les vœux qu'elle forme pour sa prospérité, et tous les bons services qu'elle sera en état de rendre à un ancien ami et allié.

Vous ferez de la présente dépêche, monsieur le comte, l'usage le plus approprié aux circonstances dans lesquelles vous vous trouverez en la recevant. Vous êtes autorisé à en faire lecture au ministre des affaires étrangères, ainsi qu'à lui en donner copie, s'il le demande.

Lettre du comte de Bernstorff, ministre des affaires étrangères de Prusse, adressée de Vérone au Chargé d'affaires du roi à Madrid, sur les affaires d'Espagne. (1822.)

Au nombre des objets qui fixaient l'attention et réclamaient la sollicitude des souverains et des cabinets réunis à Vérone, la situation de l'Espagne et ses rapports avec le reste de l'Europe ont occupé la première place.

Vous connaissez l'intérêt que le roi, notre auguste maître, n'a jamais cessé de prendre à S. M. C. et à la nation espagnole.

Cette nation, si distinguée par la loyauté et l'énergie de son caractère, illustrée par tant de siècles de gloire et de vertus, et à jamais célèbre par le noble dévouement et l'héroïque persévérance qui l'ont fait triompher des efforts ambitieux et oppressifs de l'usurpateur du trône de France, a des titres trop anciens et trop fondés à l'intérêt et à l'estime de l'Europe entière pour que les souverains puissent regarder avec indifférence les malheurs qui l'accablent et ceux dont elle est menacée.

L'événement le plus déplorable est venu subvertir les antiques bases de la monarchie espagnole, compromettre le caractère de la nation, attaquer et empoisonner la prospérité publique dans ses premières sources.

Une révolution, sortie de la révolte militaire, a soudainement rompu tous les liens du devoir, renversé tout ordre légitime et décomposé les éléments de l'édifice social, qui n'a pu tomber sans couvrir le pays entier de ses décombres.

On crut pouvoir remplacer cet édifice en arrachant à un souverain déjà dépouillé de toute autorité réelle et de toute liberté de volonté le rétablissement de la constitution des Cortès de l'année 1812, laquelle, confondant tous les éléments et tous les pouvoirs, ne partant que du seul principe d'une opposition permanente et légale contre le gouvernement, devait nécessairement détruire cette autorité centrale et tutélaire qui fait l'essence du système monarchique.

L'événement n'a pas tardé à faire connaître à l'Espagne les fruits d'une aussi fatale erreur.

La révolution, c'est-à-dire le déchaînement de toutes les passions contre l'ancien ordre de choses, loin d'être arrêtée ou comprimée, a pris un développement aussi rapide qu'effrayant. Le gouvernement, impuissant et paralysé, n'a plus eu aucun moyen ni de faire le bien ni d'empêcher ou d'arrêter le mal. Tous les pouvoirs se trouvent concentrés, cumulés et confondus dans une assemblée unique cette assemblée n'a présenté qu'un conflit d'opinions et de vues, et un froissement d'intérêts et de passions au milieu desquels les propositions et les résolutions les plus disparates se sont constamment croisées, combattues ou neutralisées. L'ascendant des funestes doctrines d'une philosophie désorganisatrice n'a pu qu'augmenter l'égarement général, jusqu'à ce que, selon la pente naturelle des choses, toutes les notions d'une saine politique fussent abandonnées pour de vaines théories, et tous les sentiments de justice et de modération sacrifiés aux rêves d'une fausse liberté dès lors, des institutions établies sous le prétexte d'offrir des garanties contre l'abus de l'autorité ne furent plus que des instruments d'injustice et de violence,

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et un moyen de couvrir ce système tyrannique d'une apparence de légalité.

On n'hésita plus à abolir sans ménagement les droits les plus anciens et les plus sacrés, à violer les propriétés les plus légitimes, et à dépouiller l'Église de sa dignité, de ses prérogatives et de ses possessions. Il est permis de croire que le pouvoir despotique exercé par une faction, pour le malheur du pays, se serait plus tôt brisé entre ses mains si les déclamations trompeuses sorties de la tribune, les vociférations féroces des clubistes et la licence de la presse n'avaient pas comprimé l'opinion et étouffé la voix de la partie saine de la nation espagnole, qui, l'Europe ne l'ignore pas, en forme l'immense majorité. Mais la mesure de l'injustice a été comblée, et la patience des Espagnols fidèles paraît enfin avoir trové son terme : déjà le mécontentement éclate sur tous les points du royaume, et des provinces entières sont embrasées par le feu de la guerre civile.

Au milieu de cette cruelle agitation, l'on voit le souverain du pays, réduit à une impuissance absolue, dépouillé de toute liberté d'action et de volonté, prisonnier dans sa capitale, séparé de tout ce qui lui restait de serviteurs fidèles, abreuvé de dégoûts et d'insultes, et exposé, du jour au lendemain, à des attentats dont la faction, si même elle ne les provoque pas sur lui, n'a conservé aucun moyen de le garantir.

Vous, monsieur, qui avez été témoin de l'origine, des progrès et des résultats de la révolution de l'année 1820, vous êtes à même de reconnaître et d'attester qu'il n'y a rien d'exagéré dans le tableau que je viens d'en tracer rapidement. Les choses en sont venues au point que les souverains réunis à Vérone ont dû enfin se demander quels sont aujourd'hui et quels seront désormais leurs rapports avec l'Espagne.

On avait pu se flatter que la maladie affreuse dont l'Espagne se trouve attaquée éprouverait des crises propres à ramener cette ancienne monarchie à un ordre de choses compatible avec son propre bonheur, et avec des rapports d'amitié et de confiance avec les autres États de l'Europe. Mais cet espoir se trouve jusqu'ici déçu. L'état moral de l'Espagne est aujourd'hui tel què ses relations avec les puissances étrangères doivent nécessairement se

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