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ment du roi que cette équitable proposition sera accueillie avec empressement par les deux parties belligérantes; il est chargé en outre de solliciter une prompte réponse de la diète.

Le soussigné prie S. Exc. M. le Président de la diète d'agréer l'assurance de sa haute considération.

L'ambassadeur de France,

Bâle, le 30 novembre 1847.

Comte de Boislecomte.

Réponse de la diète suisse à la note ci-dessus.

Excellence,

La diète suisse a pris connaissance de l'office que M. le comte de Boislecomte, ambassadeur de S. M. le roi des Français près la Confédération suisse, a adressé à M. le Président de cette assemblée, sous la date de Bâle, le 30 novembre dernier; office par lequel l'ambassadeur fait à la diète, de la part du gouvernement du roi, l'offre collective de sa médiation, conjointement avec celle des gouvernements d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, dans le but, dit S. Exc., de rétablir la paix et la concorde entre les cantons dont se compose la Confédération suisse.

Bien que la diète soit fort reconnaissante de la sollicitude que les hautes puissances daignent vouer à la Suisse, elle ne saurait cependant accepter l'offre qui lui est faite, soit que les faits supposés par le gouvernement du roi et ses alliés n'existent pas ou aient cessé d'exister, soit surtout parce que le principe même de la médiation proposée ne se concilie ni avec la position que les traités ont reconnue à la nation suisse en Europe, ni avec la constitution de la Confédération. En effet, le but de la médiation est de faire cesser la guerre civile en Suisse et d'opérer une réconciliation entre la diète et le Sonderbund. Cette médiation suppose l'existence de la ligue séparée, l'existence de deux parties belligérantes.

Mais nous avons la satisfaction d'annoncer à V. Exc. que les hostilités ont complétement cessé depuis plusieurs jours, qu'ainsi il n'y a point de guerre civile ni de parties belligérantes en Suisse ;

que les sept cantons qui formaient le Sonderbund y ont expressément renoncé; que leurs troupes sont licenciées et désarmées ; qu'une partie considérable de l'armée fédérale a été congédiée; que les troupes qui sont encore sur pied ont été reçues en amies dans les sept États qu'elles occupent essentiellement en vue de maintenir l'ordre et de préserver les personnes et les propriétés des vengeances des partisans du Sonderbund, irrités contre ceux qui les ont conduits à leur perte en les fanatisant et en les trompant indignement.

Ce n'est pas une guerre civile proprement dite que la Suisse a eu à déplorer. Il n'y a point eu de guerre entre les cantons; non, mais l'autorité fédérale compétente a dû recourir à l'exécution armée pour faire respecter ses arrêtés, pour dissoudre une ligue inconstitutionnelle et préjudiciable à la Confédération, incompatible avec son existence; pour faire rentrer une faction rebelle dans le devoir, rétablir l'ordre et la tranquillité, maintenir la sûreté intérieure de la Suisse, ainsi que le pacte fédéral lui en fait un devoir. Grâce à la fermeté de la diète et des gouvernements cantonaux fidèles au pacte, à l'appui de la population, au courage et à l'enthousiasme des troupes fédérales, ainsi qu'à l'habileté et à l'humanité de leur chef, on a réussi à rétablir en peu de temps l'ordre et la légalité. Il y a eu fort peu de sang versé comparativement, et des sept membres de la ligue qui ont dû faire leur soumission, six se sont rendus par voie de capitulation, dont cinq sans qu'il y ait eu besoin de livrer combat sur leur territoire. L'accueil fait aux troupes de la diète dans les sept cantons, lesquels n'ont point été traités en pays ennemis ou conquis, la joie exprimée par la population de ces États en se voyant délivrés du Sonderbund, l'abdication de la plupart des gouvernements, la fuite de deux d'entre eux, prouvent assez que la ligue séparée était une œuvre factice, au service des jésuites, mais repoussée par la meilleure partie de la population.

Si la diète avait à entrer en matière sur les bases d'une médiation qu'elle ne saurait accepter, il nous serait facile de montrer que, par suite des faits qui viennent de s'accomplir, la médiation n'a réellement plus d'objet.

Mais nous laissons ces questions de côté, parce qu'étant du

domaine intérieur de la Suisse elles ne sauraient fournir matière à une médiation ou à tout autre mode d'intervention des puissances. Nous voulons même, sans l'admettre, supposer pour un moment que le Sonderbund existe, et que les hostilités continuent. Dans cette supposition, le droit international et le droit fédéral ne permettent pas à la diète d'accepter l'offre de médiation qui lui est faite. La médiation d'une ou de plusieurs puissances neutres supposerait un différend entre la Suisse et quelques autres puissances, une querelle internationale. Si telle était la question, rien de plus naturel qu'une offre de médiation ou d'arbitrage, quoique cette offre n'obligeât pas les parties à accepter la proposition. Mais la Suisse ne se trouve pas dans une pareille position; l'autorité suprême de la Confédération a dû recourir à la force des armes pour obtenir l'obéissance à ses arrêtés, pour faire cesser le désordre et les troubles, pour comprimer la révolte.

Le Sonderbund étant une ligue prohibée par une disposition expresse du pacte fédéral, une alliance destructive de la Confédération elle-même, ne saurait être considéré comme la partie adverse des cantons formant la majorité de la diète; on ne doit pas l'opposer à la Confédération; on ne peut assimiler le conseil de guerre du Sonderbund à l'assemblée fédérale, ni les représentants de la ligue aux représentants de la diète, et moins encore à ceux des cinq puissances. Le président du conseil de guerre du Sonderbund n'est point, ou plutôt n'était point l'égal du Président de la diète. S'il en était ainsi, il y aurait deux confédérations en Suisse, deux ou plusieurs alliances séparées, c'est-à-dire qu'il n'y aurait plus de Confédération. Or, en posant le Sonderbund et ses dépendances à l'égal de la Confédération et de ses autorités constituées, en appelant un représentant du Sonderbund à la conférence proposée, en assimilant ce représentant à celui de la diète, et même à ceux des puissances, la médiation pose un principe que la Suisse ne saurait admettre sans se suicider, celui qu'il y a deux confédérations rivales, et que le Sonderbund a pris place parmi les États européens. Si cela était, la diète protesterait de toutes ses forces contre une pareille atteinte à l'intégrité de la Suisse, contre une violation si flagrante de ses droits et des traités.

Non, le Sonderbund n'était et ne pouvait être qu'une minorité factieuse dans la Confédération suisse. Les cantons ne sont point à l'égard les uns des autres des puissances indépendantes et étrangères, comme la France et la Grande-Bretagne, par exemple, mais bien les membres d'un même corps, unis par le même lien fédéral.

Ce corps, la Confédération, a des intérêts communs à tous les cantons. Aussi la Suisse a-t-elle une constitution générale, le pacte fédéral, qui est au-dessus des constitutions cantonales. Comme la souveraineté fédérale prime celle des cantons, elle une assemblée générale, la diète, où les délibérations se prennent à la majorité des voix et non pas à l'unanimité, comme dans les congrès de souverains; elle a un directoire fédéral exerçant essentiellement le pouvoir exécutif; une capitale, le vorort; une armée, un drapeau, un sceau, des propriétés, des revenus, des caisses publiques, des administrations, des fonctionnaires, des codes, des lois, des règlements, des tribunaux, en un mot, tout ce qui constitue un gouvernement. La diète déclare la guerre et conclut la paix; elle seule fait des alliances avec les puissances étrangères; c'est elle qui conclut les traités de commerce. Ce ne sont pas les cantons qui sont représentés auprès des États européens; mais c'est la Confédération qui a des Chargés d'affaires et des consuls; c'est auprès de la Confédération, et non pas auprès des cantons, que les ambassadeurs, les ministres et les chargés d'affaires sont accrédités en Suisse. Les peuples des vingt-deux cantons, malgré leur diversité d'opinions, de mœurs, d'institutions locales et de religion, forment une seule et même nation, la nation suisse.

Jamais, depuis des siècles que la Confédération existe, la souveraineté des cantons n'a été absolue et illimitée au fond; elle n'a jamais été que relative et subordonnée à celle de l'ensemble de la Confédération. L'histoire entière de la Suisse, tant ancienne que moderne, aussi bien que ses constitutions successives, établit que les membres de la Confédération ont toujours formé un corps helvétique par le lien fédéral qui les unit, quoique, d'après les anciennes alliances antérieures à 1798, les cantons eussent moins d'objets mis en commun que par le traité de 1815, qui a beau

coup plus centralisé le lien fédéral. Ce lien, tantôt plus serré, tantôt plus relâché, a toujours obligé la minorité des cantons à se soumettre à la majorité des États ou des voix dans les diètes générales de la Suisse; et lorsque la majorité et la minorité étaient d'accord sur la question de savoir si l'objet était oui ou non dans la compétence de la diète, c'est encore la majorité qui tranchait la question, parce qu'il faut bien que quelqu'un décide en dernier ressort, et que si, pour se soustraire à une décision de la diète, il suffisait à une majorité de contester la compétence de l'assemblée dans une question, l'autorité centrale serait paralysée, et la Confédération impossible.

Admettre le principe de la médiation offerte, c'est-à-dire traiter de puissance à puissance avec le Sonderbund, serait compromettre l'intégrité de la Suisse, reconnue et garantie par les traités ; ce serait enfreindre le pacte qui est la constitution fédérale de la Suisse, laquelle ne reconnaît qu'une Confédération, qu'une diète, qu'un directoire fédéral, qu'un conseil fédéral de guerre, et qui statue, en son article 8, que, dans toutes les affaires où le pacte n'exige pas une majorité différente, c'est la majorité absolue qui décide; ce serait rompre le lien qui unit les cantons en un corps fédératif ; ce serait dissoudre cette nation suisse qui a su conquérir, au prix de son sang, son indépendance, reconnue par l'Europe depuis des siècles, ainsi que par les traités de Vienne de 1815, traités où la France a contracté, envers la Confédération suisse, des engagements auxquels le gouvernement du roi se plaît à rester fidèle. En un mot, ce serait séparer la Suisse en deux confédérations, ce qui amènerait sa ruine, et causerait dans l'équilibre européen et les rapports des puissances entre elles une perturbation dont il est difficile de calculer les conséquences.

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S. Exc. comprendra donc avec quelle douloureuse surprise la diète a vu, dans l'office de M. de Boislecomte, que le président du conseil de guerre du Sonderbund est placé sur la même ligne que le Président de l'assemblée fédérale, le chef de la Confédération. Un rebelle posé par un gouvernement comme l'égal de l'autorité légitime !

Certes, monsieur, si l'ambassadeur de S. M. ne nous eût donné l'assurance positive que le gouvernement de S. M. est

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