Images de page
PDF
ePub

de se plaindre des malheurs du temps, car c'était faire le procès du gouvernement; crime de contre-révolution à la mère du consul Fusius Géminusa, d'avoir pleuré la mort funeste de son fils.

Il fallait montrer de la joie de la mort de son ami, de son parent, si l'on ne voulait s'exposer à périr soi-même. Sous Néron, plusieurs dont on avait fait mourir les proches allaient en rendre grâces aux dieux. Du moins il fallait avoir un air de contentement: on avait peur que la peur même ne rendît coupable. Tout donnait de l'ombrage au tyran. Un citoyen avait-il de la popularité? C'était un rival du prince qui pouvait susciter une guerre civile. Suspect. Fuyait-on au contraire la popularité et se tenaiton au coin de son feu? Cette vie retirée vous avait fait

remarquer. Suspect.-Étiez-vous riche? Il y avait un péril imminent que le peuple ne fût corrompu par vos largesses. Suspect.-Étiez-vous pauvre? Il fallait vous surveiller de plus près; il n'y a personne d'entreprenant comme celui qui n'a rien. Suspect.-Étiez-vous d'un caractère sombre, mélancolique et d'un extérieur négligé? Ce qui vous affligeait, c'est que les affaires publiques allaient bien. Suspect. Un citoyen se donnait-il du bon temps et des indigestions? C'est parce que le prince allait mal. Suspect.— Était-il vertueux, austère dans ses mœurs? Il faisait la censure de la cour. Suspect.-Était-ce un philosophe, un orateur, un poëte? Il lui convenait bien d'avoir plus de renommée que ceux qui gouvernaient! Suspect.-Enfin, s'était-on acquis de la réputation à la guerre? On n'en était que plus dangereux par son talent. Il fallait se défaire du général ou l'éloigner promptement de l'armée. Suspect.

La mort naturelle d'un homme célèbre, ou seulement en place, était si rare, que les historiens la transmettaient comme un événement à la mémoire des siècles. La mort de tant de citoyens, innocents et recommandables, semblait une moindre calamité que l'insolence et la fortune scan

a Fusius Géminus, chevalier romain que Tibère fit mourir comme complice de Séjan.

CONQUÈTE DE LA HOLLANDE par les français. 371

daleuse de leurs meurtriers et de leurs dénonciateurs. Chaque jour le délateur sacré et inviolable faisait son entrée triomphale dans le palais des morts, en recueillait quelque riche succession. Tous ces dénonciateurs se paraient des plus beaux noms, se faisaient appeler Cotta, Scipion, Régulus, Sævius, Sévérus. Pour se signaler par un début illustre, le marquis Sérénusa intenta une accusation de contre-révolution contre son vieux père déjà exilé, après quoi il se faisait appeler fièrement Brutus. Tels accusateurs, tels juges: les tribunaux, protecteurs de la vie et des propriétés, étaient devenus des boucheries, où ce qui portait le nom de supplice ou de confiscation n'était que vol et assassinatb.

MIGNET. Histoire de la révolution française.. (Voyez la page 342.)

CONQUÊTE DE LA HOLLANDE PAR LES FRANÇAIS.

N'ESPÉRANT plus rien, le prince d'Orange abandonna son armée, se présenta aux états réunis à La Haye, leur déclara qu'il avait essayé tout ce qui était en son pouvoir pour la défense du pays, et qu'il ne lui restait plus rien à faire. Il engagea les représentants à ne pas résister davantage au vainqueur, pour ne pas amener de plus grands malheurs. Il s'embarqua aussitôt après pour l'Angleterre.

....

Dès cet instant, les vainqueurs n'avaient plus qu'à se répandre comme un torrent dans toute la Hollande. Le 28 nivôse (17 janvier 1795), la brigade Salm entra à Utrecht, et le général Vandamme à Arnheim . . . . . Les Français étaient reçus à bras ouverts et comme des libérateurs; on leur apportait les vivres, les vêtements dont ils manquaient. À Amsterdam, où ils n'étaient pas entrés encore, et où on les attendait avec impatience, la plus grande fermentation régnait. La bourgeoisie, irritée contre les orangistes, voulait que la garnison sortît de la ville, que la régence se démît de

a Célèbres Romains.

b Tout ce discours rapporté dans l'Histoire de la révolution française de Mignet, est de la plume du célèbre Camille Desmoulins.

son autorité, et qu'on rendît leurs armes aux citoyens. Pichegru, qui approchait, envoya un aide de camp pour engager les autorités municipales à maintenir le calme et à empêcher les désordres. Le 1er pluviôse enfin (20 janvier), Pichegru, accompagné des représentants Lacoste, Bellegarde et Joubert, fit son entrée dans Amsterdam. Les habitants accoururent à sa rencontre, portant en triomphe les patriotes persécutés et criant: “ Vive Pichegru! vive la liberté!" Ils admiraient ces braves gens, qui, à moitié nus, venaient de braver un pareil hiver et de remporter tant de victoires. Les soldats français donnèrent dans cette occasion le plus bel exemple d'ordre et de discipline. Privés de vivres et de vêtements, exposés à la glace et à la neige, au milieu de l'une des plus riches capitales de l'Europe, ils attendirent pendant plusieurs heures, autour de leurs armes rangées en faisceaux', que les magistrats eussent pourvu à leurs besoins et à leurs logements. Tandis que les républicains entraient d'un côté, les orangistes et les émigrés français fuyaient de l'autre. La mer était couverte d'embarcations chargées de fugitifs et de dépouilles de toute espèce.

Le même jour, ler pluviôse, la division Bonnaud, qui venait la veille de s'emparer de Gertruydemberg, traversa le Biesbos gelé, et entra dans la ville de Dordrecht, où elle trouva six cents pièces de canon, dix mille fusils, et des magasins de vivres et des munitions pour une armée de trente mille hommes. Cette division traversa ensuite Rotterdam pour entrer à La Haye, où siégeaient les états. Ainsi, la droite vers l'Yssel, le centre vers Amsterdam, la gauche vers La Haye, prenaient successivement possession de toutes les provinces. Le merveilleux lui-même vint s'ajouter à cette opération de guerre déjà si extraordinaire. Une partie de la flotte hollandaise mouillait près du Texel. Pichegru, qui ne voulait pas qu'elle eût le temps de se détacher des glaces et de faire voile vers l'Angleterre, envoya des divisions de cavalerie et plusieurs batteries d'artillerie légère vers la Nord-Hollande. Le Zuyderzée était gelé: nos escadrons

• Pichegru (Charles), général français, né en 1761, mort en 1804.

traversèrent au galop ces plaines de glace, et l'on vit des hussards et des artilleurs à cheval sommer comme une place forte ces vaisseaux devenus immobiles. Les vaisseaux hollandais se rendirent à ces assaillants d'une espèce si nouvelle. THIERS. Histoire de la révolution française.

(Voyez la page 345.)

COURAGE CIVIL DE BOISSY-D'ANGLAs.

Insurrection des révolutionnaires du 1er prairial, an III (20 mai 1795), et envahissement de la convention.

LES patriotes déjoués récemment dans une tentative pour mettre les sectionsa en permanence, sous le prétexte de la disette, conspiraient dans différents quartiers populeux, et avaient fini par former un comité central d'insurrection composé d'anciens membres des comités révolutionnaires. Ils firent imprimer, le 30 floréal au soir (19 mai 1795), et répandre dans Paris un manifeste au nom du peuple souverain rentré dans ses droits. Dès le lendemain ler prairial (20 mai), à la pointe du jour, le tumulte était général dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, dans le quartier du Temple, dans les rues Saint-Denis, Saint-Martin, et surtout dans la Cité. Les patriotes faisaient retentir toutes les cloches dont ils pouvaient disposer, ils battaient la générale et tiraient le canon.

Dans le même instant le tocsin sonnait au pavillon de l'Unité, par ordre du comité de sûreté générale, et les sections se réunissaient. Le rassemblement, grossissant toujours, s'avançait peu à peu vers les Tuileries. Une foule de femmes, mêlées à des hommes ivres, et criant: "Du pain! et la constitution de 93!" des troupes de bandits armés de piques, de sabres et d'armes de toute espèce; des flots de la plus vile populace; enfin quelques bataillons de sections régulièrement armés, formaient ce rassemblement, et marchaient sans ordre vers le but indiqué, la convention. Vers les dix heures, ils étaient arrivés aux Tuileries, ils assiégeaient la salle de l'assemblée, et en fermaient toutes les issues.

• Sous la république fondée en 1792, les divisions électorales de la France prirent le nom de sections.

Les députés étaient à leur poste; ils ne connaissaient le mouvement que par les cris de la populace et le retentissement du tocsin. L'assemblée à peine réunie, un député vint lire le manifeste de l'insurrection: les tribunes, occupées de grand matin par les patriotes, retentirent aussitôt de bruyants applaudissements. En voyant la convention ainsi entourée, un membre s'écria qu'elle saurait mourir à son poste. Aussitôt les députés se levèrent en répétant: "Oui! oui!" Dans ce moment, on entendait croître le bruit; on entendait gronder les flots de la populace. Tout à coup on voit fondre un essaim de femmes dans les tribunes; elles s'y précipitent en foulant aux pieds ceux qui les occupent, et en criant: "Du pain! du pain!" Le président Vernier se couvre, et leur commande le silence; mais elles continuent à crier: "Du pain! du pain!" Les unes montrent le poing à l'assemblée, les autres rient de sa détresse. Une foule de membres se lèvent pour prendre la parole; ils ne peuvent se faire entendre. Ils demandent que le président fasse respecter la convention. Le président ne peut y

réussir. André Dumont succède à Vernier et occupe le fauteuil. Le tumulte continue. Les cris "du pain! du pain!" sont répétés par les femmes qui ont fait irruption dans les tribunes. André Dumont déclare qu'il va les faire sortir; on le couvre de huées d'un côté, d'applaudissements de l'autre. Dans ce moment, on entend des coups violents donnés dans la porte qui est à gauche du bureau, et le bruit d'une multitude qui fait effort pour l'enfoncer. Les ais' de la porte crient, et des plátras2 tombent. Le président, dans cette situation périlleuse, s'adresse à un général qui s'était présenté à la barre avec une troupe de jeunes gens pour présenter une pétition fort sage, et lui donne le commandement provisoire de la force armée. Le général, chargé par le président de veiller sur la convention, rentre avec une escorte de fusilliers et plusieurs jeunes gens qui s'étaient munis de fouets de poste. Ils escaladent les tribunes, et en font sortir les femmes en les chassant à coups de fouet. Elles fuient en poussant des cris épouvantables, et aux grands applaudissements d'une partie des assistants.

« PrécédentContinuer »