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le choc. Reynier flanque notre gauche. Bonaparte, qui se tenait dans le carré du général Dugua, avance aussitôt sur le gros des Mameluks et se place entre le Nil et Reynier. Les Mameluks font des efforts inouïs pour nous entamer; ils périssent foudroyés par le feu de nos carrés, comme sous les murs d'autant de forteresses. Ces remparts vivants font croire à l'ennemi que nos soldats sont attachés les uns aux autres. Alors les plus braves acculent leurs chevaux contre les baïonnettes de nos grenadiers, et les renversent sur eux; ils succombèrent tous. La masse tourne autour de nos carrés en cherchant à pénétrer dans les intervalles; dès lors leur but est manqué : au milieu de la mitraille et des boulets, une partie rentre dans le camp; Mourad, suivi de ses plus habiles officiers, se dirige sur Gizeha, et se trouve ainsi séparé de son armée. Cependant la division Bon se porte sur le camp retranché, tandis que le général Rampon vole occuper une espèce de défilé entre Gizeh et le camp, où règne la plus horrible confusion. La cavalerie se jette sur l'infanterie, qui, voyant la défaite des Mameluks, s'enfuit vers la gauche d'Embabeh : un bon nombre parvient à se sauver à la nage ou avec des bateaux, mais beaucoup sont précipités dans le Nil par le général Vial. Les autres divisions françaises gagnent du terrain; pris entre leur feu et celui des carrés, les Mameluks essayent de se faire jour, et tombent en désespérés sur la petite colonne du général Rampon, tout leur courage échoue contre ce nouvel obstacle: ils tournent bride, mais un bataillon de carabiniers, devant lequel ils sont obligés de passer à cinq pas, en fait une effroyable boucherie: tout le reste périt ou se noie. Mourad-Bey n'emmène dans sa retraite que deux mille cinq cents Mameluks sauvés comme lui du carnage. Le camp des ennemis enlevé à la baïonnette, les cinquante pièces de canon qui le défendaient, quatre cents chameaux, les vivres, les trésors, les bagages de cette noble milice d'esclaves, l'élite de la cavalerie de l'Orient, et la possession

a Gizeh, ville de la Moyenne-Egypte, sur la rive gauche du Nil, un peu au-dessus du Caire.

du Caire, furent les trophées de la victoire d'Embabeh. Bonaparte, qui connaissait toute la puissance des anciens souvenirs, et aspirait sans cesse à semer sa vie de glorieuses comparaisons avec les grandes choses, voulut donner à cette brillante journée le nom de bataille des Pyramides. DE NORVINS.

NORVINS (Jacques, MARQUET de MONTBRETON de),

Né à Paris en 1769. Auteur vivant. Nous avons de cet écrivain plusieurs ouvrages historiques d'un grand mérite. Le plus important est l'Histoire de Napoléon.

PASSAGE DES ALPES PAR BONAPARTE.

Le 16 mai 1800 Bonaparte, à la tête d'une armée de 50,000 hommes, passe le grand Saint-Bernard. Ce passage s'opère en six jours malgré les plus grands obstacles.

POUR frapper les grands coups qu'il prépare, Napoléon a les Hautes-Alpes à franchir; et le grand Saint-Bernard, qui de tous les points de la vaste chaîne lui livrerait de plus près le cœur de l'Italie, est aussi celui où la nature a semblé réunir le plus de difficultés insurmontables pour défendre ses forteresses contre les conquérants. Il est inaccessible à une armée... On l'a cru jusqu'à ce jour; les soldats français le croient encore. Les têtes de colonne, en se rencontrant à Martignya, s'arrêtent, étonnées, aux pieds de ces gigantesques boulevards. Comment pousser plus avant dans ces gorges, qui semblent murées par ces abîmes sans fond! Il faudrait longer les précipices effroyables, gravir les glaciers immenses, surmonter les neiges éternelles, vaincre l'éblouissement, le froid, la lassitude; vivre dans cet autre désert, plus aride, plus sauvage, plus désolant que celui de l'Arabie, et trouver des passages au travers de ces rocs entassés jusqu'à dix mille pieds audessus du niveau des mers. Il y a bien entre les escarpements et les abîmes, suspendu sur les torrents, dominé par

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Martigny, très-petite ville sur la Dranse, auprès du confluent de cette rivière avec le Rhône.

les crêtes d'où roulent à flots les neiges homicides, et taillé dans les anfractuosités de la roche vive, un sentier qui monte pendant plusieurs lieues, raide, inégal, étroit jusqu'à n'avoir parfois que deux pieds à peine, tournant à angles si aigus, qu'on marche droit au gouffre, et glissant, chargé de frimas, perdu, d'intervalle en intervalle, sous les avalanches'. Chemin si terrible, qu'il a fallu préposer de charitables cénobites à la garde de cette rampe meurtrière, afin d'enhardir le voyageur isolé par la promesse de lui donner un chien pour guide, un fanal pour secours, un hospice pour repos et une prière pour aide ou pour funérailles. Là passera aussi une armée: Bonaparte l'a dit; il a marqué du doigt la route. Martigny et Saint-Pierre sont encombrés d'apprêts qui attestent aux soldats que leur chef a pensé à tout. Aux mulets rassemblés de toute la Suisse ont été ajoutés les traîneaux, les brancards, tous les moyens de transport que le génie de l'administration française ou les habitudes de la contrée ont pu fournir, Pendant trois jours l'armée démonte ses canons, ses forges de campagne, ses caissons. Marmont et Gassendib placent leurs bouches à feu dans les troncs d'arbres creusés, les cartouches dans des caisses légères, les affûts, les provisions, les magasins sur des traîneaux faits à la hâte ou sur ceux du pays; puis, le 17 mai, tout s'élance; les soldats montent, au cri de Vive le premier consul! à l'assaut des Alpes; la musique des corps marche en tête de chaque régiment. Quand le glacier est trop escarpé, le pas trop périlleux, le labeur trop rude, même pour ces fanatiques de gloire et de patrie, les tambours battent la charge, et les retranchements de l'Italie sont emportés. C'est ainsi que la colonne s'étend, monte, s'attache aux crêtes des Alpes, les étreint de ses anneaux mouvants. C'est un seul corps qui n'a qu'une pensée, qu'une âme; une même ardeur, une même joie court dans les rangs; les mêmes chants apprennent aux échos de ces monts la présence, la gaîté, la victoire de nos soldats: la victoire! car voilà le

• Autre petite ville à moitié chemin entre Martigny et l'hospice du Saint-Bernard. ↳ Marmont, Gassendi. Généraux français.

sommet atteint, le drapeau tricolore arboré, le grand SaintBernard vaincu!......Le premier consul a promis par pièce 1000 francs aux soldats qui se sont dévoués à cette tâche: tous refusent: ils n'acceptent pour récompense que les périls et l'Italie. SALVANDY.

SALVANDY (Narcisse-Achille de),

Né en 1796. Auteur vivant. Autrefois membre de la chambre des députés de France. Nous avons de cet écrivain: Alonzo ou l'Espagne, histoire contemporaine; Islaor ou le Barde chrétien, nouvelle gauloise; et d'autres ouvrages d'un mérite distingué.

L'ÉLECTION D'UN EMPEREUR.

Plaisance, le.... mai 1804.

Nous venons de faire un empereur, et, pour ma part, je n'y ai pas nui. Voici l'histoire. Ce matin, d'Anthouard nous assemble et nous dit de quoi il s'agissait, mais bonnement, sans préambule ni péroraison.-Un empereur ou la république, lequel est le plus de votre goût? Comme on dit rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous? Sa harangue. finie, nous voilà tous à nous regarder, assis en rond. Messieurs, qu'opinez-vous? Pas le mot. Personne n'ouvre la bouche. Cela dura un quart d'heure au plus, et devenait embarrassant pour d'Anthouard et pour tout le monde, quand Maire, un jeune homme, un lieutenant que tu as pu voir, se lève et dit: "S'il veut être empereur, qu'il le soit; mais, pour en dire mon avis, je ne le trouve pas bon du tout.". "Expliquez-vous," dit le colonel: "voulez-vous? ne voulezvous pas ?"—" Je ne le veux pas," répondit Maire.—“ À la bonne heure." Nouveau silence; on recommence à s'observer les uns les autres comme des gens qui se voient pour la première fois; nous y serions encore si je n'eusse pris la parole. "Messieurs," dis-je, "il me semble, sauf correction', que ceci ne nous regarde pas: la nation veut un empereur, est-ce à nous d'en délibérer?" Ce raisonnement parut si fort, si lumineux, si ad rem. que veux-tu, j'entraînai l'assemblée; jamais orateur n'eut un succès si com

plet on se lève, on signe, on s'en va jouer au billard. Maire me disait: "Ma foi, commandant, vous parlez comme Cicéron; mais pourquoi donc voulez-vous tant qu'il soit empereur, je vous prie?"-"Pour en finir et faire notre partie de billard. Fallait-il rester là tout le jour ? Pourquoi ne le voulez-vous pas ?"—" Je ne sais," me dit-il, "mais je le croyais fait pour quelque chose de mieux." Voilà le

propos du lieutenant que je ne trouve point tant sot. En effet, que signifie, dis-moi . . . . un homme, lui, Bonaparte, soldat, chef d'armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu'on l'appelle majesté! être Bonaparte et se faire sire! Il aspire à descendrea: mais non, il croit monter en s'égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu'un nom; pauvre homme! ses idées sont au-dessous de sa fortune. Je m'en doutai quand je le vis donner sa petite sœurb à Borghèse©; et croire que Borghèse lui faisait trop d'honneur!....

Voilà nos nouvelles; mande-moi celles du pays où tu es, et comment la farce s'est jouée chez vous; à peu près de même sans doute.

Chacun baise en tremblant la main qui nous enchaîne.

Avec la permission du poëte, cela est faux ; on ne tremble point, on veut de l'argent, et on ne baise que la main qui paye. Ce César l'entendait mieux, et aussi c'était un autre homme; il ne prit point de titres usés, mais il fit de son nom même un titre supérieur à celui de roi.

Adieu, nous t'attendons ici.

COURIER. (Voyez la page 181.)

NAPOLÉON ET LUCIEN.

Si vous voulez me suivre maintenant dans les rues tortueuses de Milan, nous nous arrêterons un instant en face de son

"Et monté sur le faîte, il aspire à descendre." CORNEILLE, Cinna, Acte II. Sc. 1.

b Marie-Pauline Bonaparte, veuve du général Leclerc. Elle naquit en 1781 et mourut en 1825.

C

Borghèse (Camille) prince romain, né en 1775, mort en 1832.

d Vers prononcé par Brutus dans la tragédie de Voltaire la Mort de César.

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