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M. Grich. Oh! je croyais...Sachez, monsieur le rieur, que je croyais n'est pas le langage d'un homme bien sensé.

Ar. Eh! laissons cela, mon frère, et permettez que je vous parle d'une affaire plus importante, dont je serais bien aise...

M. Grich. Non, je veux auparavant vous faire voir à vousmême comment je suis servi par ce pendard-là, afin que vous ne veniez pas après me dire que je me fâche sans sujet. Vous allez voir, vous allez voir. As-tu balayé l'escalier?

L'Ol. Oui, monsieur, depuis le haut jusqu'en bas.

M. Grich. Et la cour?

L'Ol. Si vous y trouvez une ordure comme cela, je veux perdre mes gages.

M. Grich. Tu n'as pas fait boire la mule?

L'Ol. Ah! monsieur, demandez-le aux voisins qui m'ont vu passer.

M. Grich. Lui as-tu donné l'avoine?

L'Ol. Oui, monsieur; Guillaume y était présent.

M. Grich. Mais tu n'as pas porté ces bouteilles de quinquina3 où je t'ai dit?

L'Ol. Pardonnez-moi, monsieur, et j'ai rapporté les vides. M. Grich. Et mes lettres, les as-tu portées à la poste? L'Ol. Peste! monsieur, j'ai bien eu garde d'y manquer. M. Grich. Je t'ai défendu cent fois de râcler ton maudit violon; cependant j'ai entendu ce matin...

L'Ol. Ce matin! Ne vous souvient-il pas que vous le mîtes hier en mille pièces?

M. Grich. Je gagerais que ces deux voies1 de bois sont encore... L'Ol. Elles sont logées, monsieur. Vraiment, depuis cela, j'ai aidé à Guillaume à mettre dans le grenier une charretée de foin; j'ai arrosé tous les arbres du jardin, j'ai nettoyé les allées ; j'ai bêché trois planches, et j'achevais l'autre quand vous avez frappé.

M. Grich. Oh! il faut que je chasse ce coquin-là. Jamais valet ne m'a fait enrager comme celui-cı; il me ferait mourir de chagrin. Hors d'ici !

L'Ol. Que diable a-t-il mangé?

Ar. [le plaignant.] Retire-toi.

• Quinquina. Écorce amère et fébrifuge qui est fournie par un arbre du Pérou. Ce mot est dérivé du péruvien Kina-kina, c'est-à-dire, écorce des éccrces à cause de son excellence.

[Scène suivante.]

BRILLON, fils de Grichard; M. GRICHARD; ARISTE; CATAU, servante.

Cat. Monsieur, voici Brillon, qui vous cherche.

M. Grich. Que veut ce fripon?

Bril. Mon père, mon père, mon père, j'ai fait aujourd'hui non thème sans faute; tenez, voyez.

M. Grich. [lui jetant son livre au nez.] Nous verrons cela tantôt.

Bril. Eh! mon père, voyez-le à cette heure, je vous en prie. M. Grich. Je n'ai pas le loisir.

Bril. Vous l'aurez lu en un moment.

M. Grich. Je n'ai pas mes lunettes.

Bril. Je vous le lirai.

M. Grich. Eh! voilà le plus pressant petit drôle qui soit au monde.

Ar. Vous aurez plus tôt fait de le contenter.

Bril. Je vais vous lire le français, et puis je vous lirai le latin. "Les hommes..." Au moins, ce n'est pas du latin obscur, comme le thème d'hier; vous verrez que vous entendrez bien celui-ci.

M. Grich. Le pendard!

Bril. "

Les hommes qui ne rient jamais, et qui grondent toujours, sont semblables à ces bêtes féroces qui ...

M. Grich. [lui donnant un soufflet.] Tiens va dire à ton sot de précepteur qu'il te donne d'autres thèmes.

Cat. Le pauvre

enfant !

Ar. [bas] Belle éducation !

Bril. [pleurant.] Oui, oui, vous me frappez quand je fais bien, et moi, je ne veux plus étudier.

M. Grich. Si je te prends.

Bril. Peste soit des livres et du latin!

M. Grich. Attends, petit enragé, attends.

Bril. Oui, oui, attends qu'on m'y attrape. Tenez, voilà pour votre soufflet [Il déchire son livre].

M. Grich. Le fouet, maraud, le fouet.

Bril. Oui-da, le fouet! J'en vais faire autant, tout à l'heure,

de ma grammaire et de mon dictionnaire.

M. Grich. Tu me le payeras. Ce petit maraud abuse tous les jours de la tendresse que j'ai pour lui.

Cat. Voilà déjà un petit Grichard tout craché1.

M. Grich. Que marmottes-tu là?

Cat. Je dis, monsieur, que le petit Grichard s'en va bien fâché. M. Grich. Sont-ce là tes affaires, impertinente?

Ar. Mon frère a raison.

M. Grich. Et moi je veux avoir tort.

Ar. Comme il vous plaira. Oh çà, mon frère, revenons, je vous prie, à l'affaire dont je viens de vous parler.

M. Grich. Ne vous ai-je pas dit que je vais de ce pas chez monsieur Rigaut, mon notaire? Serviteur. Mais que me veut encore cet aniinal?

[Scène suivante.]

MAMURA, précepteur de Brillon; M. GRICHARD, Ariste, CATAU.

Mam. Monsieur

M. Grich. Qu'est-ce, monsieur? Vous prenez très-mal votre temps, monsieur Mamura; allez-vous-en donner le fouet à Brillon.

Mam. Abiit, effugit, evasit, erupit.

M. Grich. Brillon s'est sauvé?

Mam. Oui, monsieur, effugit.

M. Grich. Ces animaux-là ne sauraient s'empêcher de cracher du latin. Parle français, ou tais-toi, pédant fieffé.

Mam. Puisque telle est votre volonté, sit pro ratione voluntas. M. Grich. Encore? Hé de par tous les diables, parle français, si tu veux, ou si tu peux.

Mam. Soit. Nous lisons dans Arriagas.

M. Grich. Eh bien, bourreau! dis-moi qu'a de commun Arriaga avec la fuite de Brillon.

Mam. Oh çà, monsieur, puisque vous voulez qu'on vous parle français, je vous dirai que vous avez donné un soufflet à mon disciple fort mal à propos. Il a lacéré, incendié tous ses livres, et s'est sauvé. La correction est nécessaire, concedo: mais il n'est rien de plus dangereux que de châtier quelqu'un sans sujet; on révolte l'esprit, au lieu de le redresser, et la sévérité paternelle et magistrale, dit Arriaga...

M. Grich. Toujours Arriaga, tête incurable! Sors d'ici tout à

a Il est parti, il s'est sauvé, il s'est évadé, il s'est échappé avec

violence.

b Que votre volonté soit faite pour la raison. c Ancien philosophe.

l'heure, toi et ton maudit Arriaga, et n'y remets le pied de ta vie, si tu ne me ramènes Brillon.

Mam. Monsieur.

M. Grich. Hors d'ici, te dis-je, et va le chercher tout à l'heure.

BRUEYS. (Voyez la page 508.)

Scène du MARIAGE DE FIGARO, comédie.

LE COMTE ALMAVIVA, grand corrégidor d'Andalousie; FIGARO, valet de chambre du comte; MARCELINE, femme de charge; ANTONIO, jardinier du château; BARTHOLO, médecin de Séville; DON GUSMAN BRID'OISON, lieutenant du siége; DOUBLE-MAIN, greffier. [Juges, huissiers, valets, paysans, paysannes, etc.]

Brid'oison. Double-Main, a-appelez les causes.

Double-Main [lit un papier.] Noble, très-noble, infiniment noble, don Pedro George, hidalgo, baron de los altos, y montes fieros, y otros montes; contre Alonzo Calderon, jeune auteur dramatique. Il est question d'une comédie mort-née1 que chacun désavoue et rejette sur l'autre.

Le comte, [assis.] Ils ont raison tous deux. Hors de cour2. S'ils font ensemble un autre ouvrage, pour qu'il marque un peu dans le grand monde, ordonné que le noble y mettra son nom, ie poëte son talent.

Double-Main [lit un autre papier.] André Petrutchio, laboureur; contre le receveur de la province. Il s'agit d'un forcement arbitraire.

Le comte. L'affaire n'est pas de mon ressort. Je servirai mieux mes vassaux en les protégeant près du roi. Passez.

Double-Main [en prend un troisième; Bartholo et Figaro se levent.] Barbe-Agar-Raab-Madeleine-Nicole-Marceline de VerteAllure, fille majeure [Marceline se lève et salue]; contre Figaro ...nom de baptême en blanc.

• Brid'oison bégaye.

b Hidalgo (de l'espagnol, hijos, fils; algo, biens, fortune). Titre que prennent en Espagne les nobles qui se prétendent descendus d'ancienne race chrétienne, sans mélange de sang juif ou maure.

Forcement de recette. Terme de législation. Exercice du droit qui appartient à l'administration, de faire payer par ses commis les impôts qu'ils ont négligé de percevoir.

Figaro. Anonyme.

Brid'oison. A-anonyme! Què-el patron est-ce là ?

Figaro. C'est le mien.

Double-Main [écrit.] Contre Anonyme Figaro. Qualités?
Figaro. Gentilhomme.

Le comte. Vous êtes gentilhomme?

Figaro. Si le ciel l'eût voulu, je serais le fils d'un prince.
Le comte. [au greffier qui écrit.] Allez.

L'huissier. [glapissant.] Silence, messieurs.

Double-Main [lit.]...... Pour cause d'opposition faite au mariage dudit Figaro par ladite de Verte-Allure. Le docteur Bartholo plaidant pour la demanderesse, et ledit Figaro pour lui-même, si la cour le permet, contre le vœu de l'usage et la jurisprudence du siége.

Figaro. L'usage, maître Double-Main, est souvent un abus ; le client un peu instruit sait toujours mieux sa cause que certains avocats qui, suant à froid3, criant à tue téte1, et connaissant tout, hors le fait, s'embarrassent aussi peu de ruiner le plaideur que d'ennuyer l'auditoire et d'endormir Messieurs: plus boursoufflés3 après que s'ils eussent composé l'Oratio pro Murænáa. Moi je dirai le fait en peu de mots. Messieurs..

Double-Main. En voilà beaucoup d'inutiles, car vous n'êtes pas demandeur, et n'avez que la défense: avancez, docteur, et lisez la promesse.

Figaro. Oui, promesse!

Bartholo, [mettant ses lunettes.] Elle est précise.

Brid'oison. I-il faut la voir.

Double-Main. Silence done! messieurs.

L'huissier, [glapissant.] Silence!

Bartholo [lit.] "Je soussigné reconnais avoir reçu de damoiselle, etc. ... Marceline de Verte-Allure, dans le château d'AguasFrescas, la somme de deux mille piastres fortes cordonnées"; laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition dans ce château, et je l'épouserai par forme de reconnaissance, etc. Signé, Figaro,” tout court. Mes conclusions sont au payement du billet, et à - l'exécution de la promesse, avec dépens. [Il plaide.] Messieurs... jamais cause plus intéressante ne fut soumise au jugement de la cour; et depuis Alexandre-le-Grand, qui promit mariage à la belle Thalestris....

L'une des plus belles harangues de Cicéron.

b Damoiselle. Titre qu'on donnait autrefois aux filles nobles dans les actes publics.

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