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LA COMTESSE.

Monsieur Bobinet, ayez bien soin au moins de son éducation.

M. BOBINET.

Madame, je n'oublierai aucune chose pour cultiver cette jeune plante dont vos bontés m'ont fait l'honneur de me confier la conduite; et je tâcherai de lui inculquer les semences de la vertu.

LA COMTESSE.

Monsieur Bobinet, faites-lui un peu dire quelque petite galanterie de ce que vous lui

M. BOBINET.

apprenez.

Allons, monsieur le comte, récitez votre leçon d'hier au matin.

LE COMTE.

Omne viro soli quod convenit esto virile,

Omne viri...

LA COMTESSE.

Fi! monsieur Bobinet, quelles sottises est-ce que vous lui apprenez là!

M. BOBINET.

C'est du latin, madame, et la premiere regle de Jean Despautere.

LA COMTESSE.

Mon dieu! ce Jean Despautere-là est un insolent, et je vous prie de lui enseigner du latin plus honnête que celui-là.

M. BOBINET.

Si vous voulez, madame, qu'il acheve, la glose expliquera ce que cela veut dire.

LA COMTESSE.

Non, non; cela s'explique assez.

SCENE X X.

LA COMTESSE, JULIE, LE VICOMTE, M. TIBAUDIER, LE COMTE, M. BOBI. NET, CRIQUET.

CRIQUET.

Les comédiens envoient dire qu'ils sont tout prêts. LA COMTESSE.

Allons nous placer. ( montrant Julie.) monsieur Tibaudier, prenez madame.

(Criquet range tous les sieges sur un des côtés du théâtre, la comtesse, Julie et le vicomte, s'asseyent; M. Tibaudier s'assied aux pieds de la comtesse.)

LE VICOMTE.

Il est nécessaire de dire que cette comédie n'a été faite que pour lier ensemble les différents morceaux de musique et de danse dont on a voulu composer ce divertissement, et que...

.LA COMTESSE.

Mon dieu! voyons l'affaire. On a assez d'esprit pour comprendre les choses.

LE VICOMTE.

Qu'on commence le plutôt qu'on pourra; et qu'on empêche, s'il se peut, qu'aucun fâcheux ne vienne troubler notre divertissement.

(Les violons commencent une ouverture.)

LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS. 123

SCENE XXI.

LA COMTESSE, JULIE, LE VÍCOMTE, LE COMTE, M. HARPIN, M. TIBAUDIER, M. BOBINET, CRIQUET.

M. HARPIN.

Parbleu ! la chose est belle; et je me réjouis de voir ce que je vois.

LA COMTESSE.

Hola ! monsieur le receveur, que voulez-vous donc dire avec l'action que vous faites ? Vient-on interrompre, comme cela, une comédie?

M. HARPIN.

Morbleu! madame, je suis ravi de cette aventure; et ceci me fait voir ce que je dois croire de vous, et l'assurance qu'il y a au don de votre cœur et aux serments que vous m'avez faits de sa fidélité.

LA COMTESSE.

Mais vraiment, on ne vient point ainsi se jeter an travers d'une comédie, et troubler un acteur qui parle.

M. HARPIN,

Hé! tête-bleu ! la véritable comédie qui se fait ici, c'est celle que vous jouez; et si je vous trouble, c'est de quoi je me soucie peu.

LA COMTESSE.

En vérité, vous ne savez ce que vous dites.

M. HARPIN.

Si fait, morbleu! je le sais bien; je le sais bien, morbleu! et...

(M. Bobinet, épouvanté, emporte le comte, et s'enfuit; il est suivi par Criquet.)

LA COMTESSE.

Hé! fi, monsieur! que cela est vilain de jurer de la sorte!

M. HARPIN.

Hé! ventrebleu! s'il y a ici quelque chose de vilain, ce ne sont point mes jurements, ce sont vos actions; ́et il vaudroit bien mieux que vous jurassiez, vous, la tête, la mort et la sang, que de faire ce que vous faites avec monsieur le vicomte.

LE VICOMTE.

Je ne sais pas, monsieur le receveur, vous plaignez ; et si...

M. HARPIN, au vicomte.

de quoi vous

Pour vous, monsieur, je n'ai rien à vous dire; vous faites bien de pousser votre pointe, cela est naturel. Je ne le trouve point étrange; et je vous demande pardon si j'interromps votre comédie: mais vous ne devez point trouver étrange aussi que je me plaigne de son procédé ; et nous avons raison tous deux de faire ce que nous faisors.

LE VICOMTE.

Je n'ai rien à dire à cela ; et ne sais point les sujets de plainte que vous pouvez avoir contre madame la comtesse d'Escarbagnas.

LA COMTESSE.

Quand on a des chagrins jaloux, on n'en use point de la sorte; et l'on vient doucement se plaindre à la personne que l'on aime.

M. HARPIN.

Moi, me plaindre doucement?

LA COMTESSE.

Oui. L'on ne vient point crier de dessus un théâtre ce qui se doit dire en particulier.

M. HARPIN.

J'y viens, moi, morbleu! tout exprès : c'est le lieu qu'il me faut; et je souhaiterois que ce fût un théatre public, pour vous dire avec plus d'éclat toutes vos vérités.

LA COMTESSE.

Faut-il faire un si grand vacarme pour une comédie que monsieur le vicomte me donne? Vous voyez que monsieur Tibaudier, qui m'aime, en use plus respectueusement que vous.

M. HARPIN.

Monsieur Tibaudier en use comme il lui plaît. Je ne sais pas de quelle façon monsieur Tibaudier a été avec vous; mais monsieur Tibaudier n'est pas un exemple pour moi, et je ne suis point d'humeur à payer les violons pour faire danser les autres.

LA COMTESSE.

Mais vraiment, monsieur le receveur, vous ne songez pas à ce que vous dites. On ne traite point de la sorte les femmes de qualité; et ceux qui vous entendent croiroient qu'il y a quelque chose d'étrange entre vous et moi..

M. HARPIN.

Hé ! ventrebleu! madame, quittons la faribole.

LA COMTESSE.

Que voulez-vous donc dire avec votre Quittons la faribole ?

M. HARPIN.:

Je veux dire que je ne trouve point étrange que vous vous rendiez au mérite de monsieur le vicomte; vous n'êtes pas la premiere femme qui joue dans le monde de ces sortes de caracteres et qui ait auprès d'elle un monsieur le receveur dont on lui voit trahir et la passion et la bourse pour le premier venu qui lui donnera dans la vue. Mais ne trouvez point étrange aussi que je ne sois point la dupe d'une infidélité si ordinaire aux coquettes du temps, et que je vienne vous assurer, devant bonne compagnie, que je romps commerce avec vous, et que monsieur le receveur ne sera plus pour vous monsieur le donneur.

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