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CLITANDRE.

Oui, vous avez raison; mais monsieur Trissotin
M'inspire au fond de l'ame un dominant chagrin.
Je ne pris consentir, pour gagner ses suffrages,
A me déshonorer en prisant ses ouvrages;
C'est par eux qu'à mes yeux il a d'abord paru,
Et je le connoissois avant que l'avoir vu.
Je vis, dans le fatras des écrits qu'il nous donne,
Ce qu'étale en tous lieux sa pédante personne,
La constante hauteur de sa présomption,
Cette intrépidité de bonne opinion,

Cet indolent état de confiance extrême

Qui le rend en tout temps si content de soi-même,
Qui fait qu'à son mérite incessamment il rit,
Qu'il se sait si bon gré de tout ce qu'il écrit,
Et qu'il ne voudroit pas changer så renommée
Contre tous les honneurs d'un général d'armée.

HENRIETTE.

C'est avoir de bons yeux que de voir tout cela.

CLITANDRE.

Jusques à sa figure encor la chose alla,

Et je vis, par les vers qu'à la tête il nous jette,
De quel air il falloit que fût fait le poëte;
Et j'en avois si bien deviné tous les traits,
Que, rencontrant un homme un jour dans le palais,
Je gageai que c'étoit Trissotin en personne,

Et je vis qu'en effet la gageure étoit bonne,

Quel conte!

HENRIETTE.

CLITAN DRE.

Non, je dis la chose comme elle est.
Mais je vois votre tante: agréez, s'il vous plaît,
Que mon cœur lui déclare ici notre mystere,
Et gagne sa faveur auprès de votre mere.

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Souffrez, pour vous parler, madame, qu'un amant
Prenne l'occasion de cet heureux moment,
Et se découvre à vous de la sincere flamme...

BÉLISE.

Ah! tout beau. Gardez-vous de m'ouvrir trop votre

ame.

Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,
Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements;
Et ne m'expliquez point par un autre langage
Des desirs qui, chez moi, passent pour un outrage.
Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas;
Mais qu'il me soit permis de ne le savoir pas.
Je puis fermer les yeux sur vos flammes secretes,
Tant que vous vous tiendrez aux muets interpretes;
Mais si la bouche vient à s'en vouloir mêler,
Pour jamais de ma vue il vous faut exiler,

CLITANDRE.

Des projets de mon cœur ne prenez point d'alarme.
Henriette, madame, est l'objet qui me charme;
Et je viens ardemment conjurer vos bontés
De seconder l'amour que j'ai pour ses beautés.
BÉLISE.

Ah! certes, le détour est d'esprit, je l'avoue:
Ce subtil faux-fuyant mérite qu'on le loue :
Et, dans tous les romans où j'ai jeté les yeux,
Je n'ai rien rencontré de plus ingénieux.

CLITANDRE.

Ceci n'est point du tout un trait d'esprit, madame;
Et c'est un pur aveu de ce que j'ai dans l'ame.
Les cieux, par les liens d'une immuable ardeur,
Aux beautés d'Henriette ont attaché mon cœur ;

Henriette me tient sous son aimable empire,
Et l'hymen d'Henriette est le bien où j'aspire.
Vous y pouvez beaucoup; et tout ce que je veux,
C'est que vous y daigniez favoriser mes vœux.

BÉLISE.

Je vois où doucement veut aller la demande,
Et je sais sous ce nom ce qu'il faut que j'entende.
La figure est adroite; et, pour n'en point sortir,
Aux choses que mon cœur m'offre à vous repartir
Je dirai qu'Henriette à l'hymen est rebelle,
Et que, sans rien prétendre, il faut brûler

CLITANDRE.

pour

elle.

Hé! madame, à quoi bon un pareil embarras?
Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n'est pas ?
BÉLISE.

Mon dieu! point de façons. Cessez de vous défendre
De ce que vos regards m'ont souvent fait entendre.
Il suffit que l'on est contente du détour
Dont s'est adroitement avisé votre amour,
Et que, sous la figure où le respect l'engage,
On veut bien se résoudre à souffrir son hommage,
Pourvu que ses transports, par l'honneur éclairés,
N'offrent à mes autels que des vœux épurés.

Mais...

CLITANDRE.

BÉLISE.

Adieu. Pour ce coup, ceci doit vous suffire; Et je vous ai plus dit que je ne voulois dire.

Mais votre erreur...

CLITANDRE,

BÉLISE.

Laissez. Je rougis maintenant;

Et ma pudeur s'est fait un effort surprenant.

CLITANDRE.

Je veux être pendu, si je vous aime; et sage....

BÉLISE.

Non, non, je ne veux rien entendre davantage.

SCENE V.

CLITANDRE, seul.

Diantre soit de la folle avec ses visions!
A-t-on rien vu d'égal à ses préventions?

Allons commettre un autre au soin que l'on me donne, le secours d'une

Et prenons

sage personne.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCENE I.

ARISTE, quittant Clitandre, et lui parlant

encore.

Oui,je vous porterai la réponse au plutôt;

J'appuierai, presserai, ferai tout ce qu'il faut.
Qu'un amant pour un mot a de choses à dire !
Et qu'impatiemment il veut ce qu'il desire!
Jamais...

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Non;

Savez-vous ce qui m'amene ici?

CHRYSALE.

mais, si vous voulez, je suis prêt à l'apprendre.

ARISTE.

Depuis assez long-temps vous connoissez Clitandre?

CHRYSALE.

Sans doute, et je le vois qui fréquente chez nous.

ARISTE.

En quelle estime est-il, mon frere, auprès de vous ?

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