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Le martyre est un acte de la force chrétienne qui nous fait souffrir la mort pour la défense de la foi ou d'une autre vertu comme de la chasteté. Il y a un martyre incomplet, qui ne va pas jusqu'à la mort, soit que Dieu l'empêche par un miracle, ou que les tourments ne soient pas assez forts pour la causer. Les petits enfants sont martyrs quand on leur fait souffrir la mort en haine de la religion. Mais ceux qui ont l'usage de la raison ne peuvent l'être qu'en acceptant volontairement celle qu'on leur fait souffrir en haine de JésusChrist, etc.

CAS 1. On a demandé dans une compagnie s'il y a des cas où le martyre soit nécessaire de nécessité de salut. Cæcilius a soutenu 'qu'il y en a plusieurs. An bene?

R. Oui, certes; car quand un chrétien se trouve dans un pays infidèle ou hérétique, et qu'il est interrogé juridiquement sur sa religion, il est obligé, sous peine de damnation, de professer la vraie foi, quoiqu'il soit assuré de ne le pouvoir faire sans perdre la vie. Il en est de même, quand on se trouve engagé à faire un péché mortel ou à souffrir la mort. C'est la doctrine de saint Thomas, Quodl. Iv, art. 20.

CAS II. Maxime, missionnaire dans le Tunkin, étant animé du désir du martyre, est. dans le dessein d'inciter les païens à lui iaire souffrir la mort pour Jésus-Christ. Le peut-il en conscience?

R. Non, parce qu'il les inciterait par là à faire un crime; ce qui ne peut jamais être permis. Saint Thomas, 2-2, q. 124, a. 1.

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-CAS III. Mais ce prêtre ne peut-il pas au moins se présenter aux tyrans pour jouir plutôt de Jésus-Christ.

R. Sans une inspiration très-spéciale, telle que l'ont eue quelques saints, et dont il ne faut point se flatter, un chrétien doit se dérober sagement aux persécuteurs, jusqu'à ce que les moments que Dieu a marqués pour sa gloire arrivent. C'est l'avis que le Sauveur a donné lui-même à ses disciples

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par ces paroles, Matth. x: Cum persequen tur vos in ista civitate, fugite in aliam. On sait que saint Paul, qui disait bien sincèrement: Cupio dissolvi, a fui plus d'une fois ses persécuteurs.

CAS IV. Marculfe, missionnaire à Siam, est résolu, s'il se voit entre les mains des bourreaux, de se jeter lui-même dans le feu qui lui serait préparé, ou même de se précipiter, afin d'éviter de plus longs tourments. Le pourrait-il sans péché?

R. L'histoire ecclésiastique nous fournit des exemples de saints dont le zèle est allé jusqu'à prévenir ainsi la rage des bourreaux. Nous avons même encore l'épître que saint Ignace écrivit aux fidèles de Rome avant son martyre, où il leur dit : Utinam fruar bestiis, quæ mihi sunt præparate; quod si venire noluerint, ego vim faciam; ego me urgebo ut devorer. Mais en général il n'est permis à personne de se donner la mort; et ainsi les saints, dont on cite l'exemple, ont été excités par le Saint-Esprit à prévenir leurs bourreaux, tant pour la gloire du vrai Dieu que pour mieux affermir les fidèles dans la foi chrétienne. Augustin, 1. vI, de Civ. D. Thomas in-4, dist. 49, q. 5, art. 3, quæst. 2. Marculfe ne pourrait donc sans péché accélérer sa mort dans le cas dont il s'agit, sans y être poussé par le Saint-Esprit, ce qu'on ne doit pas aisément présumer.

MASQUE.

Un masque est un faux visage qui sert à une personne à couvrir le sien pour le déguiser. François 1er et Henri II ont défendu les masques; et l'ordonnance du dernier, en 1579, était si rigoureuse, que ceux qui tuaient des gens masqués n'avaient pas besoin de lettres de grâce. Le parlement de Paris défendit, en 1514, de vendre des masques. Voyez Grég. de Toulouse, lib. xxxix de Larvis et Personatis.

CAS I. Valérien s'est déguisé en bergère, Lydie, sa sœur, en vieillard, ayant chacun des masques, et sont allés en cet équipage chez leurs amis. Out-ils commis en cela un péché grief?

R. Oui : 1° parce que l'Ecriture défend ce travestissement comme une chose abominable. Degler, xx11, 5. Non induetur mulier veste virili, nec vir uletur veste feminea: abominabilis enim est qui facit hæc; 2o parce que les Pères, et parmi eux saint Augustin, traitent d'infâmes ceux qui se déguisent ainsi; 3 parce qu'il va toujours à perdre pour la

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fants. Son confesseur ne peut-il pas l'absoudre ?

R. Non, parce qu'on ne peut absoudre un homme, quand sa profession est mauvaise par elle-même, ou qu'elle donne occasion de péché mortel au prochain. Or tel est le métier qu'exerce OEdipe. Et les raisons dont il se sert pour s'excuser, peuvent toutes être employées par un sculpteur chrétien, qui étant au Mogol voudrait continuer à faire des idoles pour les gens du pays. On peut lire sur cela Tertullien, Lib. de Idololatria. Je me contente de rapporter ce que dit saint Augustin sur le psaume xvIII, n.6. Audent seneratores dicere: Non habeo aliud unde vivam. Hoc mihi et latro diceret, deprehensus in fauce. Hoc mihi et leno diceret, emens puellas ad prostitutionem, etc.

MATINES ET LAUDES.

Les rubriques veulent que le prêtre récite matines et laudes avant que de dire a sainte messe; mais cette disposition des rubriques oblige-t-elle sous peine de péché mortel? Saint Antonin et après lui beaucoup de théologiens soutiennent que oui. Saint Liguori et d'autres modernes après lui disent que non. Ils prétendent que le prêtre qui sans raison monte à l'autel sans avoir préalablement dit matines et laudes ne pèche que véniellement; et que pour peu qu'il ait de motifs, il ne pèche point du tout. « Excusabit, dit saint Alphonse, quælibet mediocris causa rationabilis, puta si dans eleemosynam (l'honoraire de la messe), postulet ut statim celebretur; si exspectet populus, aut aliqua persona gravis; si superior præcipiat; tempus celebrandi transeat; vel instet commoditas studii, itineris et similia. »

MECHANT.

On entend ici par méchant celui qui est dans l'habitude du crime et qui s'en fait un jeu el un plaisir. Tout bon chrétien ne doit avoir aucun commerce avec ces gens-là, si ce n'est dans l'espérance bien fondée de contribuer à leur conversion, et pourvu qu'on ne s'expose, en les fréquentant, à aucun danger de se laisser corrompre par leurs mauvais exemples. I n'est point de si méchant homme qui ne fasse quelque bonne œuvre, comme il n'est point de juste qui n'en fasse quelque mauvaise. Non potest malus in omnibus malus esse, sed habet aliqua bona, dit saint Chrysostome, cité can. 48, de Pœnit., dist. 3.

CAS 1. Peut-on regarder un homme comme méchant, à cause qu'on a été très-souvent témoin de plusieurs crimes qu'il a commis? Il semble qu'on le peut, suivant cette règle de droit: Semel malus semper præsumitur esse malus. Il semble aussi qu'on ne le doit pas, puisqu'il peut s'être converti.

1. R. 1° En général on ne doit pas regarder un homme comme méchant parce qu'il a été par le passé dans l'habitude du crime, puisqu'il peut s'être converti et être peut-être actuellement plus agréable à Dieu que celui qui forme ce jugement contre lui; 2° on doit encore bien moins juger ainsi de celui qu'on sait n'être tombé que par la violence imprévae de quelques passions, puisqu'il lui a été encore plus aisé de faire pénitence,'et que la charité qu'on doit au prochain, doit porler à former de lui un jugement favorable, quand des raisons convaincantes ne portent pas à en juger autrement; 3° la règle qu'on oppose ne dit pas qu'un homme qui a été une fois méchant doit être toujours regardé comme méchant; mais qu'il est présumé tel

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CAS II. Valéri fréquente deux hommes, dont l'un est débauché aux femmes, et l'autre est un blasphémateur d'habitude. Il veut même aller demeurer avec eux : le peut-il en conscience?

R. S'il est ferme dans la vertu, et qu'il ait lieu d'espérer qu'en demeurant quelque temps avec ces deux hommes, il contribuera à leur conversion, il peut dans cette vue les fréquenter et même demeurer avec eux. Mais s'il est lui-même faible, ou qu'ils refusent de déférer à ses charitables avis, il ne peut en conscience les fréquenter. Au reste dans le doute où il pourrait être, il doit suivre le conseil de son pasteur ou d'un confesseur éclairé.

Voyez CHARITÉ, HAINE.

MEDECIN.

La profession d'un vrai médecin, c'est-à-dire d'un homme qui possède l'art de rendre la santé aux malades ou de les soulager dans leurs maux, est respectable; et l'Ecriture la loue, Eccli, xxxvi, Le médecin doit être payé de ses peines avant tous les autres créanciers, mais après les frais funéraires; ce qui néanmoins ne s'entend que de la maladie dont est mort le malade, et non du salaire dû pour les autres maladies précédentes, à raison desquelles

le médecin a pu exiger son payement s'il l'a voulu. Tout médecin est incapable de legs à lui faits par le défunt. Il ne peut, sans un grand péché, faire des expériences, dont le succès puisse être dangereux aux malades, et il se doit toujours conduire selon les anciennes règles de son art; car il y a de nouvelles expériences, telle qu'est celle de la transfusion du sang, qui leur ont été défendues par un arrêt du parlement de Paris du 2 janvier 1670. Nul ecclésiastique ou religieux ne peut exercer la médecine, si ce n'est par charité, sans intérêt, et en observant tous les préceptes de cet art. Un médecin ne peut sans crime négliger d'avertir les malades du péril de mort où il croit qu'ils sont, afin qu'ils se mettent en état de recevoir les sacrements; et si quelque raison de prudence ne lui permet pas de le déclarer aux malades mêmes, il doit en avertir leurs plus proches parents, où leurs pasteurs ou confesseurs. La charité l'oblige aussi d'assister gratuitement les pauvres, et principalement quand il est gagé dans une ville pour servir le public. Il est indigne d'un médecin de convenir avec un malade qu'il lui donnera une somme, en cas qu'il le guérisse: et les lois romaines le défendaient avec raison. Leg. 9 Cod., de Professorib., etc.

CAS I. Yves sait que plusieurs médecins veulent sé mettre sous sa conduite; il demande sur quoi il doit principalement les interroger.

R. Ce confesseur doit avoir une idée générale des obligations d'un bon médecin, Ör un médecin doit: 1 avoir une science compélente, el on peut savoir de ceux qui sont habiles et vertueux, s'il l'a en effet; 2° ne point recevoir aux degrés ceux qui n'en sont pas capables en quoi on manque souvent, surtout quand il ne s'agit que des médecins forains; 3° être éloigné de la crapule et de tous les défauts qui font faire des quiproquo dans une matière essentielle; 4 être plein de religion, pour avertir les malades de recourir aux sacrements, ne les pas dispenser trop aisément du jeûne ou de l'abstinence, ne leur donner aucun remède défendu par la loi de Dieu, puta in casu abortus. Les cas suivants apprendront ses autres obligations. Voyez mon 5 vol. de Morale, part. 7.

ČAS II. Aleaume, médecin assez mal accommodé dans ses affaires, étant quelquefois invité à secourir des pauvres dans leurs maladies, le refuse; parce qu'il sait bien que ses visites ne lui seraient pas payées. Pèchet-il en cela?

R. Saint Antonin, p. 3, tit. 7, c. 1, dit qu'un médecin est obligé par le précepte de la charité à secourir les pauvres dans leurs maladies pressantes, et qu'il se rendrait coupable d'une espèce d'homicide, si un pauvre venait à mourir pour ne l'avoir pas voulu visiter. Et en effet, il est alors aussi coupable qu'un homme riche qui refuse l'aumône à un pauvre dans sa pressante nécessité. Ceci doit néanmoins s'entendre en cas que tel pauvre ne puisse être secouru par d'autres, on qu'il n'ait pas le temps d'y r courir sans s'exposer au danger de mort. C'est la resfriction du même saint Antonin.

CAS III. Dorylée, seul médecin dans une petite ville, où il y a plusieurs pauvres malades qu'il a soin de visiter, ayant été appelé en différents temps par Alexandre, homme riche, dangereusement malade, a refusé de l'aller visiter, parce qu'il lui a toujours refusé son salaire. Peut-il persévérer daus son refus sans péché?

R. Il semble d'abord que Dorylée ne pêche pas dans le cas proposé. Car puisqu'il a fait beaucoup de dépense pour se rendre habile, il est juste qu'il en retire une récompensé proportionnée, surtout de la part des mala

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des qui ont le moyen de le payer de ses soins. Cependant, puisqu'il est seul médecin de la ville, il ne peut en conscience refuser son ministère à cet homme; 1 parce que la charité chrétienne veut qu'on assiste dans un si pressant besoin un homme même qui en est indigne; 2 parce qu'il a action contre lui et contre ses héritiers après sa mort, pour se faire payer de ce qui lui est

dû.

- L'action qu'a le médecin pour se faire payer se prescrit au bout d'un an depuis la dernière visite. On ne s'en rapporte plus alors à son serment, mais à celui du malade ou de ses héritiers. Voyez l'art. 125 de la Coutume de Paris.

CAS IV. Philon, après avoir exercé la médecine pendant quinze ans, veut se faire prêtre. Le peut-il sans dispense ?

R. Oui, s'il l'a exercée selon les règles de son art. Et cela est vrai, encore que plusieurs de ses malades soient morts; parce que non est in medico semper relevetur ut ager. Mais s'il est assuré ou même s'il doute avec un fondement raisonnable d'avoir coopéré par sa faute à la mort de quelqu'un de ses malades, il se doit regarder comme irrégulier, et ne peut, pendant que son doute subsiste, se présenter aux ordres, selon ce mot de Clément III, c. 7, de Etate, etc., lib. 1, tit. 14. Si super præmissis conscientia tua te remordeat, ad majores ordines de nostro consilio non ascendas.

- On pourrait obtenir dispense, dans ces cas de doute. Mais si un médecin était sûr d'avoir causé la mort d'un seul de ses malades par malice, il n'y aurait point de dispense à espérer, parce que l'Eglise n'en accorde point pour l'homicide volontaire.

CAS V. Pompone, médecin, ayant été mandé pour une femme pulmonique depuis trois ans, et l'ayant trouvée dans un état à ne pouvoir pas encore vivre quatre jours, n'a pas laissé de lui ordonner plusieurs remèdes qu'il savait certainement devoir lui être inutiles. Les héritiers dé la défunte lui ont donné dix livres pour les soins qu'il avait pris d'elle. Cette somme lui est-elle bien acquise?

R. Les soins que donne un médecin pour une maladie qu'il sait être incurable, et les visites qu'il fait, ne laissent pas d'être estimables à prix. Ainsi, il peut se les faire payer, pourvu, dit saint Antonin, qu'il avertisse ceux qui ont soin du malade, qu'il travaill。

en pure perte et qu'il n'ordonne point de dépenses superflues. Il épargne au moins à un malade le trouble où il pourrait être s'il se voyait abandonné.

CAS VI. Agobard, traitant Anselme en danger de mort, ne s'applique qu'à prescrire les médicaments qu'il lui croit nécessaires, laissant le soin du reste au confesseur et aux parents d'Anselme. Est-il coupable devant Dieu, si ce malade vient à mourir sans confession?

R. Oui, sans doute, 1° parce qu'il transgresse les lois de l'Eglise, qui lui ordonne par plusieurs constitutions, par ses conciles, et nommément par celui de Paris, tenu en 1429, etc., d'avertir ses malades, ou ceux qui, en ont soin, d'avoir recours au médecin spirituel; 2° parce qu'il pèche contre la charité qu'il doit à son prochain, au moins dans des cas si pressants; 3° parce que les maladies étant quelquefois la peine du pé hé, comme le dit Innocent III, cap. 13, de Pœnit. et Remiss., il peut arriver qu'en ôtant la cause par une bonne confession, on ôte aussi l'effet. Ajoutez que l'extrême-onction peut beaucoup contribuer au rétablissement de la santé.

- Pie V, par sa constitution Super gregem, du 8 mars 1566, § 3, défend aux méde

cins de voir les malades après trois jours s'ils refusent de se confesser. L'auteur qui rapporte ce décret aurait dû remarquer qu'il n'a pas lieu en France, non plus que la peine d'infamie et de dégradation qui y est portée. Et même, si la retraite du médecin ne pouvait être que très fune-te au malade, il ne faudrait pas l'abandonner. Tel qui aujourd'hui ne veut pas entendre parler de Dieu, peut dans la suite devenir un modèle de pénitence.

CAS VII. George s'entretient quelquefois avec ses amis de certaines maladies de ceux qu'il traite. Le pourrait-il sans péché ?

R. Il le peut, quand ce sont des maladies qui ne peuvent déshonorer, comme la fièvre, la pulmonie, etc. Mais il ne le peut, quand ce sont des maladies capables de diffamer ceux qui les ont gagnées. De là ce juste sta. tut de la faculté de médecine: Egrorum arcana, visa, audita, intellecta, nemo eliminet. Eh! combien de personnes aimeraient mieux périr que de voir leur mal transpirer dans le public? Je crois même, mais sauf meilleur avis, qu'il vaudrait mieux n'avertir point une honnête fille du mal de celui qui la recherche, que de faire, en le manifestant, un scandale public et ôter la confiance à la mul titude.

MÉDISANCE.

La médisance est un péché par lequel on noircit la réputation d'autrui en secret et injustement. En secret, c'est-à-dire en l'absence de celui dont on parle; car ce serait contumélie que de le faire face à face. Injustement, car il est permis de découvrir les défauts d'autrui pour de justes raison-; par exemple, d'avertir un prêtre ou tout autre qu'une fille qu'il veut prendre à son service est débauchée ou voleuse.

On peut commettre le péché de médisance ou plutôt de détraction, en cinq manières. 1 En imposant au prochain un mal qu'il n'a pas fait, et alors c'est calonnie. 2o En exagérant celui dont il est coupable. 3 En révélant celui qui n'était pas connu à la personne à qui on parle. 4 En se tai ant malignement lorsqu'on le loue, ou en diminuant le bien qu'on en dit, de vive voix ou par signes. 5° En interprétant ses bonnes actions en mauvaise part.

Le péché de médisance est mortel de sa nature et ne peut devenir véniel que par la légèreté de la matière ou par des circonstances qui en diminuent notablement la grièveté. Pour bien connaître cette différence, il faut surtout avoir égard à l'importance de la détraction, à la qualité de la personne dont on a médit, aux effets qu'elle a produits et à l'intention qu'on a ene en médisant. Puisque le larcin oblige à restituer ce qu'on a dérobé, la médisance oblige à plus forte raison à restituer la réputation qu'on a Ótée au prochain.

Non-seulement le médisant pèche, mais encore celui qui l'écoute avec complaisance ou avec curiosité; c'est pourquoi s'il n'est pas en droit d'imposer silence au médisant, il doit au moins lui marquer sur son visage qu'il ne l'écoute que par contrainte. Celui qui omet de reprendre le médisant quand son devoir ou son état l'y oblige ou le lui permet, est encore plus coupable. Celui qui médit de soi-même commet un plus grand péché que quand il médit d'un autre, parce que le précepte de la charité nous oblige à nous aimer plus que le prochain. Au reste le péché de la médisance est si universel, que, comme dit saint Jérôme, ceux mêmes qui sont exempts des autres vices, le commettent fort souvent.

CAS I. Oldrade vit dans une débauche secrète; Simon, qui le sait, le déclare à l'oncle d'Oldrade dans le seul dessein de concerter avec lui le moyen d'y remédier. L'a-til pu sans péché?

R. Oui, s'il a vu qu'il ne pouvait par lui seul procurer l'amendement du coupable; car, en ce cas, il n'a agi que pour son vrai, bien, et il a usé du seul moyen qu'il eût d'y réussir. C'est la décision de saint Basile et de saint Thomas, 2-2, q, 73, Q.

CAS II. Némius sait qu'Octavia, fille vertueuse, mais simple, reçoit de fréquentes visites de Gabinius, jeune homme fort libertin. Peut-il, après l'avoir avertie inutilement d'éviter sa compagnie, lui déclarer la débauche secrète où il vit avec une femme, afin de la porter à le fuir?

K. Il le peut et il le doit, parce que le salut d'Octavia doit lui être plus cher que la réputation de Gabinius. Car on n'est pas obligé de conserver l'honneur d'un libertin au

préjudice du salut et de la réputation d'une personne innocente. C'est par cette raison que Notre-Seigneur avertit ses disciples de l'hypocrisie des pharisiens dont la réputation était néanmoins fort grande parmi les Juifs, et que saint Paul découvre à Timothée les crimes d'Himénée et d'Alexandre.

On peut encore déclarer les plus grands défauts du prochain lorsqu'ils nous causent un dommage fort notable, et que nous le faisons pour prendre conseil et pour trouver le moyen de nous en garantir, la loi naturelle voulant que l'on commence par soimême à exercer la charité, préférablement à celle qu'on doit au prochain.

CAS III. Paléon, sachant qu'une fille de famille de son voisinage est accouchée secrètement, en a fait confidence à sa femme ou à un intime ami, à qui il a fort recommandé de n'en parler à personne. A-t-il péché en cela ?

R. Oui, certainement, car quoiqu'il n'ait pas entièrement ôté la réputation de cette fille, puisqu'il n'a découvert sa faute qu'à une seule personne, il l'a pourtant détruite en partie, ce qui suffit pour le rendre coupable, à moins qu'il n'ait eu une juste raison de le découvrir, comme s'il l'avait déclaré à sa femme, afin qu'en son absence elle empêchât ses propres filles de fréquenter cellelà dont la compagnie leur pourrait être dangereuse ou exposer leur réputation. C'est donc ici qu'on doit se souvenir de cette parole du Saint-Esprit (Eccli., XIX): Audisti verbum adversus proximum tuum, commoriatur in te. On peut lire sur cette matière saint Chrysostome, Homil. 3 ad populum Antioch., où il se moque de ceux qui exigent le secret en commençant à le violer eux-mêmes.

CAS IV. Faustin a déclaré à Paul par légèreté et par une trop grande démangeaison de parler, une chose qui diminue fort la réputation de Fabius, sans néanmoins avoir eu aucune intention de lui nuire. A-til péché mortellement?

R. Pour décider ce cas, il faut se souvenir, 1 que, selon saint Thomas, la médisance est péché mortel de sa nature, et que c'est pour cela que l'Apôtre dit, Rom. 1, que Dieu hait les médisants: Detractores Deo odibiles; 2° que par cette raison on ne doit pas considérer une médisance comme un péché léger, quoique proférée par imprudence, lorsqu'elle Cause un dommage notable au prochain; 3 que, si elle ne peut faire qu'un lort léger, et qu'elle soit échappée sans aucune mauvais intention, on peut l'excuser de péché mortel; 4° que comme le dit Gerson, on peut l'excuser de tout péché, lorsqu'on ne dit du mal d'autrui que pour procurer un bien; pourvu qu'on ne dise rien que de vrai, qu'on n'a oute point de mauvaises interprétations; qu'on n'ait point de mauvaises intentions, et qu'enfin le rapport qu'on fait du défaut du prochain ne lui soit pas plus nuisible, qu'il ne peut être utile à ceux à qui on parle. Voyez les résolutions de Gerson, tom. I, part. 2, q. 1.

-Tout cela est bien imparfait; car, 1° l'inadvertance peut bien excuser a mortali, mais non la démangeaison de parler, laquelle n'exclut pas le volontaire; 2° on peut rapporter tant de défauts du prochain, que, quoique chacun soit léger en soi, la totalité lui fasse un tort considérable, comme on peut faire mourir un homme à force de coups, dont chacun n'eût pu avoir cet effet; 3° ce qui nuit peu à un enfant, à un valet, par exemple qu'il est colère, vain, menteur, etc., peut être très-grave par rapport à un évê-. que, un magistrat, etc. Voyez sur cette matière mon Traité de Justitia, de la dernière édition.

CAS V. Antoine s'est trouvé dans une compagnie, où on a fait une médisance fort notable contre l'honneur d'une dame, sans qu'il s'y soit opposé. A-t-il péché mortellement?

K. Si Antoine a pris plaisir à la médisance, il a péché grièvement, et son péché a même été mortel, si ce plaisir venait de la baine qu'il avait contre la personne dont on détractait, ou qu'il ait incité à la détraction celui qui parlait mal d'elle; mais il n'a commis aucun péché, si, n'ayant pas droit d'imposer silence au détracteur, il a fait paraître à l'extérieur qu'il n'y donnait aucun consen¬ tement. Du reste on ne peut s'opposer à la médisance, en traitant de faux ce qui se dit de mal, puisqu'il est véritable; mais, ou en représentant à la personne qu'elle blesse la charité, ou en faisant connaître par une contenance triste qu'on n'entend ce qui se dit qu'avec peine

- Il n'y a guère que ceux qui ont autorité sur le médisant, qui puissent lui faire une utile leçon. Tout autre les rend plus furieux et les anime à dire encore plus. Il faut, s'il est possible, changer la conversation, ou, après avoir gémi en général sur la misère humaine, témoigner par son extérieur qu'on est affligé de voir déchirer un absent.

CAS VI. A naud a fait une noire calomnie contre Eutrope, son curé, en présence de trois personnes, en l'accusant d'un mauvais commerce avec une femme. Eutrope veut souffrir avec patience cette injure, quoiqu'il voie le grand tort que cela fait à sa réputation. Ses amis lui soutiennent qu'il est obligé en conscience de poursuivre Arnaud en réparation d'honneur. Quel parti doit-il prendre.

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R. Quoique Jésus-Christ nous recommande de tendre la joue gauche, après avoir reçu un soufflet sur la droite, il y a cependant des occasions où un chrétien doit se justifier, et cela a li-u, surtout quand l'intérêt de la multitude et celui du coupable le demandent; ce qui arrive dans le cas présent, où un curé ne pourra ni reprendre, ni faire aucun bien, tant qu'il passera pour un débauché. De là ce mot de saint Augustin, can. 10, XI, q. 1. Conscientia necessaria est tibi, fama proximo tuo; qui fidens conscientia sua, negligit famam, crudelis est. C'est pour celle raison que saint Jean, c'est-à-dire l'apôtre de la charité, voulut faire connaître la malignité

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