CVI. LETTRE.

Du Comte de Buffy à Monfieur Charpentier.

L

A Chafeu, ce 14. Octobre 1690..

E bon mot du Trompette de Monfeigneur eft noble & fier, & méritoit d'avoir été dit par un Lieutenant Général d'Armée. Îl eft vrai que la conduite de l'Empereur eft pitoïable; cependant fi Monfieur de Baviere nous avoit battus, Sa Sacrée Majefté feroit excufable d'avoir un peu negligé la Hongrie. Ce font d'ordinaire les évenemens qui font bien ou mal juger de nos deffeins. Je crois, Monfieur, que fi nous étions enfemble, les réflexions que nous ferions fur l'état où nous voïons toute l'Europe, mériteroient d'être écrites; car nous penfons naturellement, & nous fçavons nous faire entendre. Je ferois ravi de vous parler fur toutes fortes de matieres; je cefferois de raifonner à dix heures du foir, parce qu'alors le fommeil brouille mes idées ; mais fi vous étiez éveillé à cinq heures,je vous prêterois le collet.

CVII. LETTRE.

De l'Abbé Choify au Comte de Buffy.

A Paris, ce 11. Octobre 1690.

Onfeigneur arriva Dimanche à Fontainebleau à quatre heures du foir, il alla trouver le Roy qui étoit à la challe. Sa Majefté defcendit de cheval & l'embraffa, & monta en Carroffe feul avec Monfeigneur.

Boiffelot eft arrivé à Breft; il a envoïé un Courier à Monfieur de Louvois, avec une lettre dans laquelle il lui a marqué tout ce qui s'eft paffé pendant le Siége de Limerick. Il lui mande que le Prince d'Orange le fit fommer d'abord de fe rendre, qu'il lui manda, que dans un mois il feroit plus honnête de faire une propofition comme celle-là, qu'enfuite il fit battre la Place fi furieufement, qu'il fit une bréche de vingt-quatre toifes de large, & fit attaquer la Place par toutes les Têtes des Régimens de fon Armée, par les François plus braves Officiers; mais que

& par les

les Irlan

dois fe défendirent avec tant de valeur que le Prince d'Orange qui avoit perdu beaucoup de gens, lui envoïa dire, Qu'il vouloit bien lui donner quelque tems pour retirer les morts. Il répondit au Tambour, Qu'il n'en avoit point à retirer; mais qu'il lui donnoit à lui depuis quatre heures jufqu'à cinq pour retirer les fiens, à la charge toutefois qu'il n'approcheroit pas de vingt toifes de la Contrefcarpe. Il s'apperçut alors que le Prince d'Orange fit retirer fon Armée, & brûler les bleffez & les malades qu'il ne pouvoit emmener. Ce Prince fe retira à Dublin, avec fon Armée dans une grande confternation. Il a perdu à ce Siége cinq mille hommes, prefque tous Officiers & la tête de fes Régimens. On a perdu dans la Place cent foixantedeux hommes, & quatre-vingt-quatre Officiers. Milord Bervik fils naturel du Roy d'Angleterre eft à la tête de vingt mille Irlandois qui fuivent les Anglois, ne faifant quartier à aucun. Aprés la levée du Siége de Limerick Boiffelot s'eft retiré en France; les Irlandois ont élû entr'eux quatre Chefs, & font demeurez d'accord entr'eux, que le premier qui parleroit de traiter avec le Prince

d'Orange feroit pendu. La raison pour laquelle Boiflelor eft revenu, c'est que les Irlandois ne veulent point fouffrir d'Etrangers chez eux: fans la bonne conduite qu'il a eû au Siege; ils avoient fait mille confpirations contre lui. On affure que pendant le Siege les Irlandois n'on manqué que deux fois de pain. Ils étoient contents chacun d'une chopine d'avoine qu'ils faifoient rôtir, qu'ils écrafoient, & dont ils faifoient une espece de gruau.

Monfieur de Serini envoyé de l'Em. pereur à la Diette des Suiffes, commença la harangue qu'il fit à l'affemblée par dire, qu'il n'auroit jamais crû les forces de la France au point qu'elles étoient; & que bien loin d'être écrafée, comme toute l'Europe le croyoit au commencement de la campagne, elle avoit gagné trois Batailles, & tenoit l'Allemagne en refpect de l'autre côté du Rhin.

Le Prince de Bade eft en Tranfilvanie, avec quatre mille chevaux, & le grand Vifir y eft entré avec quarante mille hommes, ce qui obligera le Prince de Bade d'en fortir: fi cela eft, l'on ne doute pas que le grand Vifir n'aille à Belgrade.

On affure que le Pape & les Vénitiens travaillent à établir le repos de l'Italie, & qu'ils ont fait propofer au Roy la neutralité. Sa Majefté y confent pourveu que le Duc de Savoye en foit exclus. Saint-Ruth est entré dans la Vallée d'Aoft. Le Comte de Luynes eft mort.

CVIII. LETTRE.

Du Comte de V*** au Comte de Buffy.

A

A Auxerre, ce 9. Octobre 1630.

Prés avoir bien rêvé aux moyens de me juftifier auprés de vous, Monfieur, fur le tems que j'ay mis à vous affûrer de mes trés-humbles refpects, je me trouve réduit à me condamner, & à vous fuplier trés-humblement de prendre la peine de lire mes raifons dans Voiture. Vous les trouverez dans la Lettre écrite à Madame de Vardes en pareille rencontre ; & je fuis fûr que vous les trouverez belles & bonnes. Je vous affure d'homme d'honneur, que Voiture ne parloit pas plus fincerement