CXV. LETTRE.

De Monfieur de Benferade au Comte de Buffy.

A Paris, ce 3. Novembre 1690.

I s'en faut bien, Monfieur, que je ne vous aye oublié. J'ay été plufieurs fois demander de vos nouvelles

chez Madame de Montataire. Au refte comptez que vos amis vous feront rendre compte de votre loifir. Je m'attends que vous l'employerez à faire l'Hiftoire du Roy. Elle mérite d'être écrite par un homme de qualité. Il n'appartient qu'à la Nobleffe de traiter cette matiere,le Tiers-Etat n'y peut réuf. fir; & je vous promets, fi vous nous la donnez, de dire en la lifant:Quel Heros? quel Historien ?

On travaille aux planches de mes Heures. C'eft leRoy qui en fait la dépenfe; mais comme les affaires de la guerre font plus preffées, fi Madame de Dalet les attend pour prier Dieu, elle courra rifque de devenir bien indévote; & voilà comme je veux les jolies fem

mes. Meffieurs de l'Academie ne

donnent point de jettons aux absens ils n'ont pas voulu m'écouter fur ce mauvais ufage.

E croyois, Monfieur, que l'Academie remplie de Têtes fi fages,devoit fe corriger des abus dans les mœurs, comme elle les corrige dans la langue, & que les abfens ne fouffriroient pas de l'abfence, comme dans le vulgaire. Mais enfin, je leur quitterai volontiers mes jettons pourvû qu'ils me payent la reconnoiffance qu'ils me doivent de toute l'eftime que j'ay par-deffus cela pour beaucoup de particuliers.

Quand il plaira au Roy de me donner des Mémoires pour écrire fon Hiftoire, j'y travaillerai. Je fuis perfuadé comme vous, qu'il faut, pour être un Hiftorien digne de lui, n'être pas feulement un Homme de Qualité, mais encore un Homme de Guerre.

fi

Ma fille dit, que vous mettez bien haut le prix de votre amitié, & que vous ne changez d'avis, elle aimera mieux la mériter que de l'obtenir.

CXVII. LETTRE.

De l'Abbé de Choify au Comte de Buffy.

A Paris, ce 8. Novembre 1690.

LE Roy fit Lundy 6. de ce mois Mon

fieur de Pontchartrain Miniftre &

Secretaire d'Etat, & lui donna le dé partement de la Marine. Il fera Contiêleur Général, & donnera huit cens mille francs aux enfans de Monfieur de Seignelay.

Le Roy attribue à la Charge de Monfieur de Louvois les Haras, les Fortifications des Places maritimes, & les Manufactures de drap pour le Levant. Les Manufactures de la Marine, comme de fonte de canon, du godron, des cables, &c. demeureront à Monfieur de Pontchartrain.

La Charge de Tréforier de l'Ordre n'eft pas encore donnée. Celui qui l'aura,

donnera trois cens cinquante mille livres aux enfans de Monfieur de Seignelay. Monfieur de Seignelay a fait unTeftament écrit de fa main, par lequel il donne deux cens mille livres à fa femme, & cent mille écus au dernier de fes enfans ; il nomme trois Exécuteurs de fon Teftament, le Coadjuteur de Rouen, le Duc de Chevreuse,& Monfieur de Puffor. On dit que toutes dettes payées, il laiffe quatre cens mille livres de rente.

Monfieur de Catinat a repaffé les Monts. Le Roy n'a pas voulu qu'il brûlât le Piedmont à caufe des pauvres gens qui auroient été ruinez. Le Marquis de Saint-Maurice & de Châtillon, Savoyards, ont pris parti en France, & levent des Régimens Piedmontois. Tous les Soldats font incorporez.

La nouvelle eft venue que Bude eft in. vefti.

CXVIII. LETTRE.

Du Comte de Buffy à l'Abbé de Choify.

A Chaseu, ce 11. Novembre 1690.

E remarque qu'avec le Roy c'eft un grand bonheur d'avoir du mérite dont il foit perfuadé, & cela ne gâte rien que ce mérite lui foit utile.

Bien a pris à Monfieur de Seignelay d'avoir des Brevets de retenuë, fans cela fes enfans n'auroient pas eû un quart d'écu de toutes fes Charges. Trouvezmoi encore un Royaume au monde, où un particulier ait quatre cens mille livres de rente, & qui ne foit pas le plus riche particulier de cet Etat. Il y a bien des Souverains dans l'Europe qui voudroient avoir autant de bien.

Quel homme que ce grand Vifir? Ce n'eft pas un Fabius Maximus qui cantando rétablit les affaires de fon Maître ; c'eft un Alexandre, c'est un Céfar; Veni, vidi, vici. Il prend des Places fortes au mois d'Octobre.