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XIV. LETTRE.

Du Comte de Buffy à la Marquife de Monjeu.

V

A Chafeu, ce 9. Aoust 1689.

Ous arrivez à Dracy le jour que je parts de Chafeu, Madame; fi nous avions fongé tous deux à nous éviter, nous n'aurions pas fait autrement. Cependant je jugerois que ce n'a pas été nôtre deffein; & je vous affure pour moi que j'en fuis très-fâché; car encore que je croïe bien que je vous retrouverai en ce païs-ci quand j'y reviendrai, j'aurai perdu deux mois de la belle faifon, où je me ferois allé récompenfer auprès de vous d'une fi longue abfence. Mais enfin telle eft nôtre deftinée qui nous a entraînez à faire mille chofes que nous ne voudrions pas faire. Ce qu'elle ne fçauroit empêcher, Madame,c'eft que je ne vous aime & que je ne vous honore par tout où je ferai, & que je ne vous le dife ou que je ne vous l'écrive quelquefois.

XV. LETTRE.

DuMarquis de *** au Comte de Buffy.

L

A Philifbourg, ce 12. Aouft 1689.

y a environ un mois que Monfieur de Choifeul reçut ordre de Monfieur de Duras d'envoier le Régiment de Mélac à Landau, où il devoit trouver un ordre de joindre fon armée campée alors à Neuftat à quatre lieuës plus haut. Cependant Monfieur de Lorraine aïant en ce tems-là fait une marche qui fit croire à Monfieur le Maréchal de Duras qu'il avoit quelque intention d'attaquer Landau, il réfolut de s'en approcher avec la cavalerie qu'il avoit ; & pour cet effet il y fit marcher les gros équipages & nous y laiffa. Nous y fommes demeurez quinze jours campez fous la Ville avec la Brigade de Saint- Valery, pendant lequel tems nous avons contribué à mettre cette Place en défense par cent mille fascines que nous y avons portées.

Monfieur de Lorraine aïant formé

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le fiége de Mayence, & Landau étant en affez bon état, Monfieur de Duras forma fon armée qu'il compofa de quatre-vingt deux efcadrons & de feize bataillons qu'il tira de deffous Landau où il en laiffa fept & fix efcadrons de Cavalerie, & avec ce corps qui fait près de vingt-deux mille hommes, nous vinfmes tous camper à la petite Hollande, & le lendemain nous paffàmes le Rhin. Le jour d'après nous arrivâmes près d'Heidelberg. Là nous apprêmes que les troupes Bavaroifes au nombre d'environ dix ou douze mille hommes étoient campées à Seinfein & commandées par Sérigny. Nous reftâmes trois jours devant Heidelberg. On fe faifit d'abord d'une redoute, & l'on parut avoir intention d'attaquer la Place. Cependant Monfieur de Duras ne l'aïant trouvée ni brûlée ni rafée, comme il s'y attendoit, parce que ceux qui y commandoient cet Hyver en aïant eû l'ordre ne l'avoient pas fait; & aïant appris qu'il y étoit entré huit cens hommes, outre mille hommes de garnifon reglée, il ne trouva pas cette conquête affez confidérable pour s'attacher à un fiége, & après quelques escarmouches, où le

Tome Vil.

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Marquis d'Hauteville, fils de Malicor ne, Capitaine au Régiment du Roy fut tué, Valiere Lieutenant Colonel de Piedmont bleffé à l'épaule, fon neveu à la tête, dont il vient d'être trepané, & quelques Officiers moins connus; on en décampa pour marcher aux Ennemis à Sintzheim. On fçut qu'ils avoient d'abord réfolu de marcher à nous mais qu'aïant appris que nous étions beaucoup plus forts qu'eux, que nous avions de l'infanterie & quarante pieces de canon, ils prirent leur parti brufquement, décamperent à minuit, & fe retirerent dans la montagne. Cela nous obligea de marcher à un poste qu'ils occupoient à trois lieuës d'ici appellé Brouxal, qui empêche les contributions & la garnison de Philisbourg d'en pouvoir fortir. Nous prîmes dans la marche un Château dans lequel il y avoit quatre-vingt hommes qui furent faits prifonniers de guerre. Tout le monde me dit en chemin que le Comte de Rabutin commandoit dans Brouxal; cela me fâcha, car c'eft un pofte à deshonorer un galant homme; cependant j'appris le lendemain qu'il n'y étoit pas, mais qu'étant venu avec un gros parti

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de leur armée attaquer nos fourrageurs, il en prit environ foixante : il fert de Brigadier. Le Gouverneur de Brouxal rendit fa Place le dixiéme de ce mois, après huit coups de canon foufferts. Lui & fa garnison furent faits prifonniers de guerre on les amena hier ici au nombre de douze cens hommes. L'armée fejourna pour brûler & rafer Brouxal, & elle marche aujourd'hui à Dourlac, pofte que les Ennemis occupent pour en faire de même.

Le Roy a fi bien pris fes mefures & a fi bien mis ordre à tout, que les Ennemis avec la plus groffe armée qu'ils aïent eû depuis cent ans contre la France, n'entreront point en Alface, ne pourront prendre de quartiers d'hyver fur nos frontieres, & nous vivrons à leurs dépens.

Monfieur de Choiseul a joint la grande armée, il a envoïé douze Escadrons à Monfieur de Boufflers qui a affemblé dans la Lorraine Allemande quatorze à quinze mille hommes. Ce que nous avons ici eft parfaitement bon. Monfieur le Duc y eft à la tête de fon Régiment de Cavalerie, Monfieur le Prince de Conty Volontaire, Monfieur de

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