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CCII. LETTRE.

Du Comte de Buffy à l'Abbé de Choify.

A Chafeu, ce 9. Janvier 1691.

LA fortune du Roy & le mauvais état 'des affaires de Monfieur de Savoye, me font croire qu'il s'accommodera. Je ne pense pas que Caftanaga perde au change, il gagnera même du repos à fon nouvel établiffement. Je fuis perfua dé que le Prince d'Orange eft abfolu en Angleterre, & que s'il avoit eu befoin de plus d'argent il fe le feroit fait donner. Les Irlandois qui font en France trocquent des biens avec les François qui font en Irlande. Un Régiment eft bien payé quand il coûte vingt-fept blef fures à une feule action. Vaudray eft bien glorieux de l'avoir mérité par-là. Si Monfieur d'Hanovre a des preuves du parricide de fon fils, il le fera étrangler pour fon bien, comme Dom Carlos. Mademoiselle de Blois fera, je croi, fort heureufe avec Monfieur de Chartres; c'eft un joli Prince. Si les Enne

mis font fi forts en Flandres, Monfieur de Luxembourg aura des affaires fur les bras, tant mieux pour la réputation.

CCIII. LETTRE.

De Mademoiselle Dupré au
Comte de Buffy.

A Paris, ce 1. Février 1692. E fuis bien glorieufe, Monfieur, que vous ayez fongé à moi j'avois réfolu de pouffer votre filencé à bout, j'y ai réuffi; & vous le rompez fi agréablement pour moi, que j'oublie le paffé. Je me fuis mis à relire les anciens; j'en fuis à Ciceron, & je fuis ravie de voir que cet amour de la patrie, & de la gloire que l'on veut nous faire croire qui animoit toutes leurs actions, n'étoit que le prétexte de la confidération qu'ils vouloient s'acquerir dans la République, & dont ils cachoient l'ambition, la haine l'amour, la débauche, & la paffion de bâtir. Enfin que ce font ces mêmes hommes que l'on nous repréfente comme infenfibles à tout, hors à la gloire. Mais je remarque en même-tems la foibleffe

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humaine dans la joïe que j'ai d'avoir découvert les Romains auffi foibles que nous. Il faudroit auffi vous dire de petites nouvelles, Monfieur, mes lectures & mes réflexions pourront vous ennuier, mais je ne fçai rien de la guerre.

Pour répondre dignement à la belle Epitre en vers que vous m'avez envoïće, je vous en envoye une autre mêlée de profe & de vers où vous verrez un portrait au naturel de la Princeffe d'Orange, rempli de belles réflexions.

Réponse à Madame ** fur l'envoi du Portrait & de l'Eloge de la Princeffe d'Orange.

I

'L n'y a rien de fi fpirituel que l'Eloge de Madame la Princeffe d'Orange; elle n'a jamais été peinte avec tant de force & de graces ; & fi je pouvois oublier la derniere action de fa vie, je la reconnoitrois avec plaifir dans le porque vous m'avez envoyé.

trait

Cette Princeffe eft fort aimable,

Elle eft, fi vous voulez, en rout incomparable,

Elle a de la bonté, de l'esprit, du sçavoir,

Et toutes les vertus enfemble;

Mais Dieu nous préserve d'avoir
Une fille qui lui reffemble.

Il faudroit prendre garde de trop prés à ce que l'on fait avec des enfans de pareil mérite; & je ne connois point de pere qui en voulût de fi habiles à fucceder. On n'a pas eû, dites-vous, deffein de pouffer les chofes à l'extrémité où elles font: cette entreprise n'étoit feulement que l'effet d'un zéle qui ne prétendoit autre chofe que la confervation de la Religion proteftante.

A l'égard de l'intention,

Au jugement du ciel un Chrétien s'abandonne, Mais fouffrez que l'homme foupçonne

Un acte de religion,

Qui s'empare d'une Couronne.

moi

Vous le fçavez auffi-bien que il ne paroît pas toujours à la chair & au fang que Dieu foit du party le plus jufte: mais quoique notre corruption puiffe penfer de la conduite de la Providence,

Ces fameux & tristes revers,

Dont elle étonne l'univers,

Sont des jugemens équitables,

Qui par des coups encore plus justes qu'imprevûs
Paroiffent icy bas pour punir les coupables,
Ou pour éprouver les élûs.

Comme nous mêmes nous ne pouvons fçavoir en cette vie, fi nous fommes dignes d'amour, ou de haine; c'eft une grande temerité de juger fouverainement de la caufe des afflictions & des profpéritez que Dieu nous envoye.

Tous les fuccés le plus heureux

De la juftice de nos vœux

Sont une trompeuse affurance:

En vain le pécheur insensé
Impute à fa fauffe innocence

La trifte & funefte indulgence

De Dieu contre lui courroucé.

Si malgré fes decrets le fuperbe s'éleve,

Le plus grand châtiment dont il l'a menacé,

C'est qu'il permette qu'il acheve

Ce que fon crime a commencé.

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