Je l'avoue fi vous le voulez, nous parlons ici fuivant nos maximes & nos paffions: nous ne fommes pas meilleurs que vous, il n'eft peut-être que trop vrai; mais nous fommes plus heureux en cette rencontre en ce qu'il convient à nos interêts de proteger la bonne caufe. Il n'eft pas jufte que vous nous en croyiez, croyez en le Prince d'Orange lui-même parlant par fes manifeftes, & jugez de bonne foy & ce qu'il a écrit & juré ne condamne pas ce qu'il a fait.

Quelle bizarre impression

Sur l'efprit des humains fait la Religion?

D'où leur vient cette erreur dont leur orgueil fe pique?

Cette Religion leur fait tout hazarder,

Quand il s'agit de la garder,

Et prefqu'aucun ne la pratique.

Que pretendons nous ? & pourquoy

Si peu d'obéiffance avec tant de foy?

Pourquoy taut de froideur, ou pourquoy tant de

zele?

C'eft que la loy de Dieu ne peut

Relger de nos defirs la pente criminelle,

Et qu'il eft moins pénible à notre cœur rebelle De quitter une fois toutes les chofes pour elle Que d'en user comme elle veut.

Les Loix qui font faites pour régler les actions des hommes, ne font dans les mains du plus fort qu'une regle de plomb qui fe plie & fe courbe comme il lui plaît. De tous les Peuples de la terre, les Anglois font ceux qui fe piquent d'être le plus inviolablement attachez à leur fcrupuleufe obfervation: cependant :

Eux qui font un crime à leurs Rois

De donner quelque atteinte au moindre de leurs

droits,

Voiez ce qu'ils viennent de faire,

Aprés avoir chaffé le juste Succeffeur

Du Trône que leurs loix ont fait héréditaire

Suivant ce pouvoir arbitraire

Dont eux-mêmes ont tant d'horreur.

Quand les conjonctures feront paffées, & que le tems aura moderé la chaleur du party, les idées communes

des droits du fang & de la nature reviendront infailliblement dans l'efprit des peuples. Alors les jugemens feront bien differens de ceux qu'ils font aujourd'hui.

Ce n'eft pas la premiere fois

Qu'un jufte repentir a rappellé leurs Rois
Errans dans les Cours étrangeres.

On peut tout efperer des remords, & du temps:
Ne les voit-on pas gemiffans

Aux pieds de leurs autels expirer tous les ans
Par un ordre public la faute de leurs Peres?

Mon deffein n'est pas de leur faire un reproche fi odieux, quand je rappelle ici la mémoire de cet attentat: c'eft feulement pour rendre à la jufte douleur qu'ils en ont l'honneur qu'elle mérite pour élever par un fi grand exemple les efpérances du Prince légitime, & foutenir la fidelité de ce qui lui refte encore de bons fujets.

Si l'homme criminel vient à fe convertir,

Dieu qui l'a tiré de l'abîme,

Loin de luy reprocher fon crime,

En couronne le repentir.

CCIV. LETTRE.

De l'Abbé de Choify au Comte de Buffy.

LE

A Paris, ce 6. Février 1692.

E Roy a donné à Monfieur de Bou'flers le Régiment des Gardes. Le Pape a accordé la difpenfe pour le mariage de Monfieur le Duc de Chartres avec Mademoiselle de Blois,

Monfieur de Bouflers vend le Généralat des Dragons quatre cens mille livres à Monfieur le Comte de Teffé, qui vend fa Charge de Mestre de Camp Général des Dragons, deux cens mille francs. Monfieur de Bouflers paye quatre-vingt-dix mille écus au Duc d'Aubuffon, & il a un Brevet de retenuë de trois cens mille livres fur fa Charge de Colonel des Gardes Françoifes. Le Roy part le 22. pour Villers-Cotterets, & le voyage fera de huit jours. Le Duc d Richemont eft forti de France. Le Prince de Courtenay & la Vauguyon font fortis de la Baftille avec ordre de garder prifon dans Paris. Le Roy a donné au

T

Comte de Mailly la Charge de Mestre de Camp Général des Dragons. Il vend fon Régiment des Vaiffeaux foixantemille livres, & il a un Brevet de retenuë de cent mille livres. La Comteffe de Mailly fa femme eft Dame d'atour de Madame de Chartres. Le Marquis de Villars le pere, eft Chevalier d'honneur de Madame de Chartres; & Madame la Maréchale de Rochefort, Dame d'honneur. L'Abbé d'Etrées va Ambaffadeur en Portugal. Le Prince de Courtenay a liberté entiere. La Vauguyon a ordre d'aller chez lui en Province. Le mariage de Monfieur de Chartres fe fera le Lundy gras, & la veille les fiançailles. Le Roy aura en Flandres cent trente Bataillons,& trois cens Efcadrons. Le Prince d'Orange a ôté à MilordChurchil* tous fes Emplois. C'eft le premier qui a trahi le Roy d'Angleterre. La flotte du Roy fera de quatre-vingt huit Vaiffeaux de ligne, & de trente Brûlors.

*C'eft à prefent Milord Malborough.

CCV