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Tous nos grands ministres, au XVIe et au XVIe siècle, ont cherché à le rattacher à notre système défensif. Richelieu se le réserve dans le traité qu'en 1635 il signe avec la Hollande; Mazarin en poursuit la conquête après la bataille de Rocroi et le réclame, à défaut du Roussillon, dans les négociations de Lyonne avec la cour de Madrid. En 1739, lors de la paix de Belgrade, le cardinal Fleury essaie de se l'assurer comme prix de sa médiation et comme garantie des sommes qu'il a avancées à Charles VI. Le Grand-Duché figure de nouveau dans le traité d'alliance que Bernis conclut avec l'Autriche, et il reparait en 1785 dans les pourparlers de Joseph II avec le cabinet de Versailles au sujet de la Bavière.

En 1797, le traité de Campo-Formio devait, pour bien peu d'années, il est vrai, réaliser le rêve de notre vieille diplomatie: le Luxembourg devenait un front d'attaque contre l'Allemagne. Mais, en 1815, le Congrès de Vienne en donnait un morceau à la Prusse, et, par des liens artificiels, rattachait le reste à la Confédération germanique sous la souveraineté nominale du Roi des Pays-Bas. Il retournait l'œuvre de Vauban contre la France, en faisait un boulevard de la Sainte-Alliance, et, en la reliant au système défensif de l'Allemagne, il en confiait la défense à la Prusse.

Nous présenterons ces notes historiques sous six chapitres distincts, correspondant aux six périodes dont nous avons parlé au début de cette Introduction:

1. Clovis et les Rois Francs.

II. Les Ducs de Bourgogne et la Maison d'Autriche.
III. Louis XIV et Vauban.

IV. La Révolution française. -Napoléon Jer.

V. Le Traité de Londres du 11 mai 1867.

VI. La Guerre Franco-Allemande (1870-1871).

CHAPITRE Ier.

Clovis et les Rois francs.

On peut dire que la première apparition des Francs, nos ancêtres (du moins des Francs Saliens, car les Ripuaires y étaient établis déjà), dans le pays de Luxembourg, remonte à l'année 496, à l'époque de la bataille de Tolbiac, gagnée par Clovis sur les Alamans du Sud qui voulaient envahir les provinces Belgiques de la Gaule.

Auparavant, ce pays était, depuis Jules César, sous la domination romaine, qui fit de la ville de Trèves, voisine de Luxembourg, le centre de son action militaire et administrative. On peut suivre encore la trace de la chaussée très importante, créée par les Romains, qui conduisait de Trèves à Reims, en passant par Luxembourg, et d'une autre, menant à Metz, par Thionville. De nombreux vestiges de l'époque romaine existent encore dans tout le pays luxembourgeois.

Les Francs, au contraire, sauf des sépultures et quelques monnaies, laissèrent peu de traces de leur passage; mais, c'est à cette époque que le pays acheva de se convertir à la religion chrétienne, sous l'influence des évêques de Trèves. L'empereur Constantin le Grand paraît avoir résidé à plusieurs reprises et assez longtemps à Trèves, dont un des évêques, saint Maximin, fonda dans cette ville l'abbaye qui conserva son nom.

En 698, une fille du roi franc Dagobert donne à saint Willibrord, l'apòtre des Frisons, un petit hospice qu'elle possédait à Echternach. En 706, Pépin d'Héristal, maire du Palais, y ajoute des biens considérables. Ce fut l'origine de la fondation. par saint Willibrord du célèbre monastère des Bénédictins d'Echternach, qui, pendant les onze siècles de son existence,

eut une grande influence religieuse sur tout le pays luxembourgeois.

Notons, en passant, que la petite ville d'Echternach a encore conservé une notoriété réelle de nos jours, grâce à sa procession dansante du mardi de la Pentecôte, qui attire, chaque année, douze à quinze mille pèlerins ou curieux. «< Dans cette procession, instituée au XIIIe siècle et qu'on a vainement tenté d'interdire à plusieurs reprises, dit le Docteur Glaæsener, les pèlerins parcourent une distance d'environ douze cents mètres du pont de la Sûre jusqu'à l'église paroissiale, en faisant trois pas en avant et un en arrière, ou bien cinq pas en avant et deux en arrière, en suivant la cadence d'une mélopée traînante, exécutée par toutes sortes d'instruments de musique éparpillés dans le cortège. »

En 723, Charles Martel ayant été guéri à Trèves, sur le tombeau de saint Maximin, augmenta considérablement les domaines de l'abbaye de ce nom, notamment en lui donnant le territoire de Weimerskirch, où se trouvaient les ruines d'une fortification romaine qui portait le nom franc de Lucilinburhut (petit avant-poste); ce fut, d'après la plupart des auteurs, l'origine de la forteresse de Luxembourg et du nom donné à tout le pays.

En 763, Pépin le Bref passa les fêtes de Pàques et de Noël à Longlier, dans le pays d'Ardenne. Son fils, l'illustre Charlemagne, résida souvent à Thionville pendant le cours de son règne, et y marqua son séjour par plusieurs actes importants, entre autres par le champ de mai tenu en 806. Ce fut à Thionville qu'il promulgua le fameux capitulaire qui divisait l'empire en trois parties et en assignait une à chacun de ses fils.

Arrivons à l'origine du comté de Luxembourg.

Le fondateur de la maison de Luxembourg fut Sigefroi (963-998), le plus jeune fils du comte palatin Wigeric, de la maison d'Ardenne, qui, comme la maison de Lorraine, se prétendait issue du sang de Charlemagne.

En 963, dit le Dr Glæsener (1), sous le règne d'Othon le Grand, et avec l'approbation de l'Archevêque Bruno, de Cologne, Sigefroi acquit de Wicker, abbé de Saint-Maximin, de Trèves, en échange de propriétés sises à Feulen, les ruines d'un petit castel romain, avec les terrains environnants, formant aujourd'hui la banlieue de Luxembourg, le tout situé sur le territoire de la paroisse de Weimerskirch (et provenant de la donation faite par Charles Martel à l'abbaye de Saint-Maximin). Il releva les ruines de ce fortin, placé sur deux rocs isolés, le grand et le petit Bock (bouc) et le convertit en un château-fort (burg), construit selon les règles de la fortification de l'époque (Lucilinburhuc, Lutzelburg, Luxembourg). Une population de vassaux, agriculteurs, artisans et manœuvres ne tarda pas à s'établir sous l'aile tutélaire du manoir fortifié : cet établissement se fit sur le plateau de la montagne, vis-à-vis du grand Bock, et dans la vallée de l'Alzette qui le contourne. Un mur de circonvallation, avec fossé et sept tours quadrangulaires saillantes, entoura la cité naissante, qui ne s'étendait pas plus loin que le marché aux poissons actuel.

On peut donc dire que la ville de Luxembourg a été bâtie sur une terre française.

Telle fut l'origine de la forteresse et de la ville de Luxembourg; on nous pardonnera de nous être étendu un peu longuement sur ce point.

Sigefroi, d'ailleurs, ne porta pas lui-même le titre de comte de Luxembourg; ce fut un de ses descendants, Guillaume (1096), qui, le premier, prit officiellement ce titre.

Le 13 mars 1354, l'empereur d'Allemagne, Charles IV, par une charte donnée à Metz, éleva le comté de Luxembourg au rang de Duché, avec droit pour le Duc de tenir la rène droite du cheval de bataille de l'empereur et de remplir l'office d'écuyer tranchant aux fêtes impériales (2). Charles IV fit cette érection en faveur de son frère consanguin Wenceslas, fils

(1) Dr GlæsenerR. Le Grand-Duché de Luxembourg, historique et pittoresque. Diekirch, 1885.

(2) Voir le P. BERTHOLET, de la Compagnie de Jésus. Histoire ecclésiastique et civile du duché de Luxembourg et du comté de Chiny, 8 vol. in-4°, Luxembourg, 1743.

unique du second mariage de Jean, comte de Luxembourg, avec Béatrix de Bourbon, fille du comte de Clermont.

C'est ce Jean de Luxembourg, dit Jean l'Aveugle, roi de Bohême et comte de Luxembourg, qui fut tué à la bataille de Crécy, le 26 août 1346. A l'appel de son ami, le roi de France Philippe VI de Valois, il était venu, avec son fils Charles et cinq cents chevaliers du Luxembourg et de la Bohême, porter secours aux Français dans leur lutte contre Édouard III, roi d'Angleterre, au cours de la fameuse guerre de cent ans.

Il faut lire dans Froissart le récit de ce beau fait d'armes, digne des temps héroïques.

Édouard d'Angleterre versa des larmes d'attendrissement à la vue de cette mort aussi étrange que sublime. Il fit célébrer dans l'église de Maintenay un service funèbre en l'honneur du roi défunt et y assista avec ses principaux officiers. Voulant rendre un éclatant hommage à son illustre adversaire, il fit adopter à son fils, le prince de Galles, l'emblème et la devise qui se trouvaient sur sa cotte de mailles trois plumes d'autruche et les mots: Ich dien, Je sers.

Le fils de Jean l'Aveugle, Charles de Luxembourg, n'avait pas montré moins de bravoure, et ce ne fut qu'après avoir reçu plusieurs blessures que ses chevaliers de Bohême purent le décider à quitter le champ de bataille.

Le roi Édouard, honorant le courage de son adversaire, remit au roi Charles de Bohême et de Luxembourg le corps de son père, qui fut inhumé le 7 septembre 1346 dans l'abbaye de Munster, à Luxembourg, ainsi que Jean l'Aveugle en avait exprimé le désir dans son testament. Le clergé et les États recurent ses restes en grande pompe, mais il était dit que Jean l'Aveugle n'obtiendrait pas, même dans la mort, le repos qu'il n'avait su trouver de son vivant. Après la destruction de l'ancienne abbaye de Munster, en 1543, son corps en fut enlevé pour occuper onze sépulcres successifs et aller à la fin reposer à Castel, près de Sarrebourg, dans un beau sarcophage en marbre élevé par le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, en 1838.

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