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MOLIÈRE

Par décret en date du 20 octobre 1885, M. Jules CLARETIE, homme de lettres, a été nommé administrateur général de la Comédie-Française, en remplacement de M. Emile Perrin, décédé.

Nous ne pouvons mieux souhaiter la bienvenue au nouveau directeur de la Maison de Molière qu'en reproduisant quelques pages de Molière, sa vie et ses œuvres, écrites il y a douze ans, curieuse profession de foi littéraire qui peut devenir tout un programme :

Molière est l'incarnation même de l'esprit de notre France. Il en a la franchise, la verve, la bonté, le rire clair, la netteté de pensée et de langage; il descend en droite ligne de ces écrivains sans alliage qui gardent dans leurs veines le sang même de notre vieille Gaule, les Rabelais, les Montaigne, les anciens conteurs des temps passés. Il est, dirait-on, un peu cousin de La Fontaine, et le Parisien donne la main au Champenois devant la postérité. Mais Molière (et c'est là sa grandeur suprême) est non-seulement français, étroitement, purement français, par son horreur de toute hypocrisie, son amour de la vérité, de la netteté absolue dans les actions et dans les paroles, dans la vie et dans le style; Molière est en outre

profondément humain. Il est de toutes les époques et de tous les pays. Il a sondé d'une main ferme la plaie éternelle de l'homme, il a démasqué le vice avec courage, et ce ne serait pas, à proprement parler, une nation qui devrait s'enorgueillir d'avoir produit un tel génie, c'est le genre humain.

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Molière est le représentant le plus élevé de l'esprit français, avec ses étroitesses, mais ses honnêtetés, avec sa haine du précieux, du boursouflé, de l'obscur, et sa soif de clarté, son avidité de lumière. Voilà bien pourquoi nous l'aimons, et ce serait peu de l'aimer, voilà pourquoi nous le préférons. Nous avons trop négligé, depuis cinquante ans, le culte de la tradition nationale en littérature. Le romantisme, à qui nous devons, ce qui l'absout, des merveilles de poésie lyrique, le romantisme qui nous ouvrit, il faut le reconnaître, des mondes nouveaux, nous y retint malheureusement prisonniers. On pouvait fort bien étudier les littératures étrangères sans leur sacrifier notre propre tempérament..... Mais imiter, mais vêtir à l'allemande, à l'espagnole ou à l'italienne la pensée française, c'était une autre espèce d'apostasie. Les poètes ont trop souvent quitté la braie gauloise pour le pourpoint castillan; nous avons assisté à une sorte de travestissement douloureux. A ce jeu, une nation perdrait, en moins de cent ans, son originalité et son génie. Le pauvre Alfred de Musset l'avait bien senti, lui qui réagit si bravement, en enfant terrible, au nom du génie français, contre les exagérations exotiques.

Revenons donc, revenons en hâte aux vrais fils des

Gaules, à Rabelais, le bon sens sublimé, à Montaigne, cet Athénien gascon, à La Fontaine, le plus admirable des conteurs et des peintres, à Corneille, qui retrouve l'accent français jusque dans le Forum romain, à tous ceux qui ont dans les veines, dans le cœur, dans la voix cet accent particulier qui rendit à la fois redoutable et éclatant comme l'acier sans tache l'esprit français, cet esprit alerte et militant, armé à la légère, et brillant comme une guêpe dans un rayon de soleil. Le xvIIe siècle avait donné à cet esprit la noblesse, le xvIII° siècle lui donna la puissance. Voltaire, Diderot, Beaumarchais sont de la race élue qui est la nôtre. C'est à eux aussi qu'il faut demander le secret de cette régénération intellectuelle et matérielle si ardemment poursuivie.

La France, pareille à Antée, n'a qu'à toucher son sol pour retrouver de nouvelles forces, ou plutôt elle ressemble à une convalescente à qui la source pure du pays natal rendrait enfin la santé ; et cette source non tarie, c'est la source claire, limpide, savoureuse, où puisa Molière, c'est l'impérissable esprit français, qui avait fait de notre patrie le « soldat de Dieu », disait Shakespeare, et nous ajouterons avec Molière: « le soldat de l'humanité. »

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MOLIÈRE A PÉZENAS

EN 1650-1651

Voici pour la biographie de Molière un certain nombre de détails inconnus que nous apporte un nouvel et précieux autographe du poète.

Ce document appartient aux Archives départementales de l'Hérault, où nous l'avons découvert dans les papiers provenant du fonds de la comptabilité du Trésorier de la Bourse de Languedoc.

On donnait ce titre « Trésorier de la Bourse » à un agent provincial nommé à vie par les États. « Il concentrait entre ses mains la recette de beaucoup la plus considérable de la province : don gratuit; frais des états, des gratifications, des étapes; sommes imposées pour l'acquittement des dettes, etc. Ses livres sont examinés et arrêtés par-devant les États. Les budgets annuels n'étant jamais équilibrés et beaucoup de dépenses étant faites avant les recettes correspondantes, le Trésorier était plus que l'homme d'affaires de la province: il en était le banquier. Naturellement, les États choisissaient un Trésorier assez riche pour pouvoir fournir un cautionnement et soutenir par son

crédit celui de la province. Les comptes annuels de la Bourse de Languedoc forment une des collections les plus curieuses conservées aux Archives de l'Hérault. » (1)

Les fonctions de Trésorier de la bourse furent exercées successivement par Pierre Potier, seigneur de la Terrasse (1501), Etienne Dumois, Raulin (sic) Dumois, Pierre Reich, Bertrand Reich (1572), Michel de Lafont (1588, pour le parti de la Ligue), Bernard Reich, seigneur de Pennautier, et Pierre-Louis de Reich, frère du précédent, survivancier en 1618. De 1632 à 1649 l'office devient la propriété de trois titulaires: De Massia, Peyrat, puis Le Secq et Creyssels. Ceux-ci, ayant été remboursés du prix de leurs charges à la séance des États du 17 novembre 1649, furent remplacés le même jour par deux titulaires à titre alternatif : François Le Secq : « veu avec quels soins, diligences, bonté et fidélité il a exercé ladite charge », et Pierre de Reich, présenté et cautionné par son père Bernard de Reich de Pennautier, trésorier de France. Ce dernier mourut en 1653 et eut pour successeur Pierre-Louis de Reich de Pennautier, son frère.

Le nouvel autographe est, comme le précédent (2), un récépissé, écrit et signé par Molière, pour décharge de la somme de 4000 liv. qui lui avait été comptée par le trẻsorier.

(1) H. Monin. Essai sur l'histoire administrative du Languedoc. Paris, Hachette, 1884, p. 57.

(2) C'est dans le même dépôt que nous découvrîmes en 1873 un premier autographe de Molière, ce reçu du 24 février 1656, souvent cité depuis.

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