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J'ai l'honneur d'estre tres parfaitement,

Monsieur,

Votre très humble et tres

obeissant serviteur

PUCELLE,

Ancien procureur au Chatelet (1)
rue Mazarine.

Paris, ce 29 Juillet 1786.

P. S. Mde Varlet (2) demeure toujours rue Gillecœur, hotel Saint-Louis, au 3° étage, no 8.

-

Ainsi, en 1785, le registre de La Grange, ou - pour mieux dire son Extraict particulier des Recettes, n'était pas sorti de sa famille. Une descendante, du nom de Varlet, (étrangère au théâtre au point de ne pas savoir exactement le nom de guerre de son aïeul) en faisait don aux Comédiens. Quel fut leur remercîment? Les registres des délibérations du Comité sont muets sur ce point: mais un livre de comptes va nous renseigner sur la nature du «< cadeau >> fait à la donatrice.

On lit, en effet, au Contrôle des Mémoires du mois de Septembre 1785 (3):

144 - Ordre de la Comédie de payer à Mad VARLET pour un registre la somme de.............

250 liv.

(1) Pucelle avait succédé, en 1748, à Begin, rue Mazarine, faubourg St-Germain en 1782, Renard succède à Pucelle, rue Hautefeuille. (2) Cette dame Varlet était alliée, non pas à la famille de LaGrange, qui n'eut que des filles, mais à celle de son frère aîné Verneuil, dont un fils, Jean-Achille Varlet (de Troyes, selon l'Almanach Royal), fut procureur au Parlement de Paris, et mourut rue de Nevers, le 13 mars 1720. De son mariage avec Marguerite Miget naquit Pierre Varlet, baptisé le 30 janvier 1720; la dame Varlet de 1785 était probablement sa veuve. Il y a encore aujourd'hui des

Varlet à Amiens et à Poix (Somme).

(3) Registre 49. Compte journalier des Recettes et dépenses, etc.; jetons (1er avril 1783-1791).

et sur une feuille volante, retrouvée dans un classement de

pièces comptables :

<< Monsieur Bellot (c'était le caissier) comptera à Monsieur Des Essarts la somme de deux cent quarente livres en or pour être remis à madame Varlet dans un Rouleau de Ruban.

A l'Assemblée, ce 5 septembre 1785.

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Ainsi donc, depuis le mois de septembre 1785, le Journal de La Grange appartenait aux Comédiens, payé de leurs deniers.

Il est cité pour la première fois dans une brochure de 1790 intitulée: Observations pour les Comédiens Français sur la pétition adressée par les Auteurs dramatiques à l'Assemblée nationale (1), et déjà il était sorti du théâtre, emprunté par une sociétaire, Mme Suin:

Monsieur Dépland voudra bien remettre pour aujourd'hui, à Madame Suin, le Régitre de la Grange.

A l'Assemblée, ce mercredi 2 décembre 1789.

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Prêté pour un jour... le fameux Journal ne rentra au Théâtre qu'en 1818, après la mort de Mme Suin.

Il n'y devait pas rester longtemps.

Lemazurier, alors archiviste et secrétaire du Comité, entreprit une Histoire du Théâtre et de la Troupe de Molière pour laquelle il eut souvent besoin du précieux registre, qui déjà avait été communiqué à Auger; pour le

(1) Paris, Prault, in-8° de 36 pp. (pages 19 et 20).

consulter à loisir, Lemazurier crut pouvoir l'emporter chez lui; mais le travail avait affaibli sa vue, il devint aveugle, se retira définitivement à Versailles en 1830 et y mourut le 7 août 1836.

L'année précédente, M. Régnier venait d'être nommé sociétaire: comédien érudit, curieux et chercheur, il demanda, comme c'était son droit, à pénétrer dans les Archives, déposées pêle-mêle dans deux petites pièces situées sur l'emplacement actuel de notre Bibliothèque.

L'inspecteur du matériel, M. Laurent, était volontiers ennemi des innovations; mais Desmousseaux, le doyen du Comité, comprit la nécessité de disputer aux rats, à l'humidité, à la poussière, les précieux documents accumulés depuis un siècle et demi. M. Regnier fit une première inspection du capharnaüm ; il vit qu'il ne pourrait, seul, venir à bout de ce travail et se fit adjoindre un employé du contrôle, M. Raguet, vieillard d'une soixantaine d'années, qui reçut, à cet effet, une petite allocation supplémentaire de cinquante francs par mois.

On fit un premier classement des registres et des cartons. Les autographes nécessitèrent la confection d'un cachet ou poinçon spécial destiné à estampiller chaque pièce.

M. J. Taschereau venait de fonder sa première Revue Rétrospective; il y publia, sous ce titre : La Troupe de Molière (1), une analyse des registres de la Thorillière et d'Hubert qui lui avaient été communiqués. En réponse à cet article, que le rédacteur terminait en déplorant la disparition du Registre de la Grange, « un acteur du Théâtre Français » écrivit « à M. le Directeur du Monde Dramatique » une lettre, que l'on trouve à la page 190 du tome Ier de cette curieuse Revue du Théâtre ancien et moderne,

(1) Année 1835, tome III de la 2. série, p. 148-160.

par laquelle il annonce qu'« actuellement occupé de mettre en ordre les archives de la Comédie, il a, après de laborieuses recherches, retrouvé le registre de La Grange », d'après lequel il a même rédigé plusieurs articles, dont il commence la publication sous le titre de Mémoires inédits sur la Comédie française, par MM. Regnier, sociétaire du Théâtre français, et H. Egmont.

M. Regnier avait pensé que le registre disparu avait pu rester entre les mains de Lemazurier; il avait donc écrit en ce sens à M. le Maire de Versailles, et peu de jours après il avait reçu une lettre de M. le Dr Lemazurier, frère de l'archiviste-secrétaire, accompagnant l'envoi non-seulement du Journal réclamé, mais encore d'un manuscrit inédit de son frère : l'Histoire de la Troupe de Molière.

M. Taschereau demanda à publier au moins des extraits de La Grange; mais cette faveur lui fut refusée. Un ami de M. Regnier, M. Ed. Charton, en fit seulement une analyse dans le Cabinet de Lecture et dans le Musée des Familles. (1)

M. Regnier, comprenant l'importance de ce document que la Comédie avait failli perdre à jamais, eut la patience, au milieu de ses travaux et occupations multiples, d'en faire lui-même une copie qu'il a donnée plus tard à son ami Charles Mathews, le célèbre comédien anglais, copie qui fut détruite dans l'incendie de sa belle bibliothèque.

Plus tard, il fut permis à M. Taschereau d'en faire faire une autre copie, à la condition expresse qu'elle ne serait pas livrée à l'impression sans l'assentiment de la Comédie.

(1) Le Manuscrit de La Grange, par Ed. Charton (Le Cabinet de Lecture), 8' année (1837), no 437, in-4o, et le Musée des Familles de décembre 1837, p. 86-88).

Sous la direction de M. Arsène Houssaye, le précieux original fut prêté à M. Fould et restą plus d'une année sur la table du salon du ministre, exposé à plus d'un péril. Réintégré sous M. Empis, il fut demandé par le bibliophile Jacob et par M. Eudore Soulié. Ce fut alors que la Comédie résolut de le faire imprimer à ses frais.

L'impression, confiée à M. Claye, ne fut commencée que sous l'administration de M. Ed. Thierry, qui se chargea de le présenter au public; à M. Emile Perrin était réservé l'honneur d'en presser la publication et de signer, avec le doyen M. Got, les premiers exemplaires destinés aux sommités de la littérature et de l'art.

La lettre du procureur Pucelle, qui nous a permis de reconstituer l'histoire de ce Registre, nous apprend en outre qu'en 1786 la famille Varlet possédait encore les portraits authentiques de La Grange, de sa femme Marie Rague" neau de l'Estang, de son frère Achille Varlet de Verneuil, et de sa belle-sœur Marie Vallée.

Que sont-ils devenus, et pourquoi les Comédiens ordinaires du roi Louis XVI n'ont-ils pas ouvert l'oreille aux propositions, bien modestes pourtant, de la veuve Varlet?

Qui sait en outre si, à cette époque, le Registre n'était pas accompagné de quelques papiers de la succession La Grange, parmi lesquels se trouvaient - M. de Trallage et l'abbé Bordelon le disent formellement les fragments de manuscrits de Molière que sa veuve avait donnés au comédien La Grange?

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Aurons-nous toujours à déplorer la perte de cet Ambitieux Homme de Cour qui dormait peut-être encore, il y a cent ans, dans un grenier de la rue Gît-le-Cœur?

GEORGES MONVAL.

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