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neur qu'ils ont de lui appartenir de si près, il faudroit que tout le reste se soumit à leur empire. Et quelque grand que cet avantage nous paroisse ce n'est pas une chose à refuser aux bienheureux que de commander à toutes les créatures, puisqu'ils ont le bonheur d'être nés pour posséder Dieu. Aussi n'ont-elles point toutes de plus véhémente inclination que de les servir; tout l'effort que font les causes naturelles, selon ce que dit l'apôtre, ce n'est que pour donner au monde les enfants de Dieu. C'est pourquoi il nous les dépeint « comme dans les >> douleurs de l'enfantement: » Omnis creatura parturit1. Elles se plaignent sans cesse du désordre du péché, qui leur a caché les vrais héritiers de leur Maitre, en les confondant avec les vaisseaux de sa colère. Tout ce qu'elles peuvent faire, c'est d'attendre que Dieu en fasse la découverte à ce grand jour du jugement: Omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc, revelationem filiorum Dei expectans 2: « Toutes les créatures soupirent, et sont comme » dans le travail de l'enfantement, attendant » avec grand desir la manifestation des enfants » de Dieu. » Et à ce jour, Messieurs, Dieu qui leur a donné ce mouvement, afin que tout ce qu'il y a dans le monde sentit l'affection qu'il porte à ses saints, « appellera le ciel et la » terre au discernement de son peuple : » Advocabit cælum desursum, et terram discernere populum suum 3. Ils ne manqueront pas d'y accourir pour combattre avec lui contre les insensés *; mais plutôt encore pour rendre leur obéissance à ses enfants. Que si dans cet intervalle il y en a quelques-uns qui portent plus visiblement sur leur front la marque du Dieu vivant; les bêtes les plus farouches se jetteront à leurs pieds, les flammes se retireront de peur de leur nuire, et je ne sais quelle impatience fera éclater en mille pièces les roues et les chevalets destinés pour les tourmenter. Enfin que pourroit-il y avoir qui ne fut fait pour leur gloire, puisque leurs persécuteurs les couronnent, leurs tourments sont leurs victoires? Ce n'est que dans la bassesse qu'ils sont honorés la seule infirmité les rend puissants. « Et les instruments » mêmes de leur supplice sont employés à la » pompe de leur triomphe : » Transeunt in honorem triumphi etiam instrumenta supplicii 5. Pour cela le Fils de Dieu, dans cette dernière sentence qui déterminera à jamais l'état dernier de toutes les créatures, les appelle au royaume qui leur est préparé dès la constitution du

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monde. Que nous marquent ces paroles? Car il dit bien aux damnés que les flammes leur sont préparées; mais il n'ajoute pas, dès la constitution du monde. Et cependant l'enfer a été aussitôt fait que le paradis, d'autant qu'il y a eu aussitôt des damnés que des bienheureux.

Sans doute notre juge ne nous veut apprendre autre chose sinon que la création du monde n'étoit qu'un préparatif du grand ouvrage de Dieu, et que la gloire des saints en seroit le dernier accomplissement. Comme s'il disoit : Venez, les bien-aimés de mon Père, il a tout fait pour vous: « à peine posoit-il les premiers >> fondements de cet univers, » qu'il commençoit déja à songer à votre gloire: à constitutione mundi : « dès la création du monde; » et il ne faisoit alors que vous préparer votre royaume : Venite, benedicti Patris mei2, « Ve»> nez, les bien-aimés de mon Père. » Il me semble, Messieurs, qu'il y a là de quoi inciter les ames les moins généreuses. Que jugez-vous de cet honneur? Est-ce peu de chose, à votre avis, d'être l'accomplissement des ouvrages de Dieu, le dernier sujet sur lequel il emploiera sa toute-puissance; et qu'il se repose après toute l'éternité? Il y aura de quoi contenter cette nature infinie. Lui qui a jugé que la production de cet univers n'étoit pas une entreprise digne de lui, se contentera après avoir consommé le nombre de ses élus. Toute l'éternité il ne fera que leur dire : Voilà ce que j'ai fait, voyez; n'aije pas bien réussi dans mes desseins? pouvois-je me proposer une fin plus excellente?

Vous me direz peut-être : Comment se peut-il faire que tous les desseins de Dieu aboutissent aux bienheureux? Jésus-Christ n'est-il pas le premier-né de toutes les créatures? n'est-ce pas en lui qu'a été créé tout ce qu'il y a de visible et d'invisible? Il est la consommation de tous les ouvrages de Dieu. Et sans aller plus loin, les paroles de mon texte nous font assez voir que les saints ne sont pas la fin que Dieu s'est proposée dans tous ses ouvrages, puisque euxmêmes ne sont que pour Jésus-Christ: vos autem Christi 3: « et vous êtes à Jésus-Christ. » Tout cela est très véritable, Messieurs; mais il n'y a rien, à mon avis, qui établisse plus ce que je viens de dire. Le même apôtre qui a dit que tout est pour notre Seigneur, a dit aussi que tout est pour les élus. Et non seulement il l'a dit; il nous a donné de plus une doctrine admirable pour le comprendre. Il nous apprend que Dieu, afin de pouvoir donner cette prérogative à son Fils, sans rien déroger à ce qu'il prépa

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roit à ses saints, a trouvé le moyen d'unir leurs intérêts avec tant d'adresse, que tous leurs avantages et tous leurs biens sont communs '. C'est ce qui me reste à expliquer en peu de mots. Que si Dieu me fait la grace de pouvoir dire quelque chose qui approche de ces hautes vérités, il y aura de quoi nous étonner de l'affection qu'il a pour les saints, et des grandeurs où il les appelle.

TROISIÈME POINT.

Le Père éternel ayant rempli son Fils de toutes les richesses de la divinité, a voulu qu'en lui toutes les nations fussent bénites. Et comme il lui a donné les plus pures de ses lumières, il a établi cette loi universelle, qu'il n'y eût point de grace qui ne fût un écoulement de la sienne. De là vient que le Fils de Dieu dit à son Père, qu'il a donné aux justes la même clarté qu'il avoit reçue de lui : Ego claritatem quam dedisti mihi, dedi eis 2: « Je leur ai donné la » clarté que vous m'avez donnée. » Où comme vous voyez, il compare la sainteté à la lumière, pour nous faire voir qu'elle est une et indivisible: et que tout de même que les rayons du soleil venant à tomber sur quelque corps, lui donnent véritablement un éclat nouveau et une beauté nouvelle, mais qui n'est qu'une impression de la beauté du soleil, et une effusion de cette lumière originelle qui réside en lui; ainsi la justice des élus n'est autre chose que la justice de notre Seigneur, qui s'étend sur eux sans se séparer de sa source, parcequ'elle est infinie: de sorte qu'ils n'ont de splendeur que celle du Fils de Dieu; ils sont environnés de sa gloire: ils sont tout couverts, pour parler avec l'Apôtre, et tout revêtus de Jésus-Christ. L'esprit de Dieu, Messieurs, «< cet esprit immense qui comprend >> en soi toutes choses, » hoc quod continet omnia 3, se repose sur eux pour leur donner une vie commune. Il va pénétrant le fond de leur ame; et là, d'une manière ineffable, il ne cesse de les travailler jusques à tant qu'il y ait imprimé Jésus-Christ. Et comme il a une force invincible, il les attache à lui par une union incomparablement plus étroite, que celle que peuvent faire en nos corps des nerfs et des cartilages, qui au moindre effort se rompent ou se détendent.

C'est cette liaison miraculeuse qui fait que « Jésus-Christ est toute leur vie: » Christus vita vestra 1. Ils sont « son corps et sa pléni

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» tude, » corpus ejus et plenitudo, comme parle l'apôtre saint Paul: comme s'il disoit qu'il manqueroit quelque perfection au Fils de Dieu, qu'il seroit mutilé, si l'on séparoit de lui les élus. C'est pourquoi notre bon maître, dans cette oraison admirable qu'il fait pour ses saints, en saint Jean, les recommande à son Père non plus comme les siens, mais comme lui-même : « J'entends, dit-il, que partout où je serai, mes >> amis y soient avec moi : » Volo, Pater, ut ubi sum ego, et illi sint mecum 2. Vous diriez qu'il ne sauroit se passer d'eux, et que son royaume ne lui plairoit pas, s'il ne le possédoit en leur compagnie, et s'il ne leur en faisoit part. Il ne veut pas même que son Père les divise de lui dans son affection. Il ne cesse de lui représenter continuellement qu'il est en eux et eux en lui, qu'il faut qu'ils soient mêlés et confondus avec lui, comme il fait lui-même avec son Père une parfaite unité. Il semble qu'il ait peur qu'il n'y mette quelque différence : Ego in eis et tu in me, ut sint consummati in unum, ut sciat mundus quia dilexisti eos sicut etme dilexisti3: « Je suis en eux et vous en moi, afin qu'ils >> soient consommés dans l'unité, et que le monde >> connoisse que vous les avez aimés comme » vous m'avez aimé. » Et un peu après: Dilectio quâ dilexisti me in ipsis sit, et ego in eis1 : « Que l'amour dont vous m'avez aimé soit en >> eux, et que je sois moi-même en eux. » Je suis en eux et vous en moi, afin que tout se réduise à l'unité, et que le monde sache que vous ne faites point de distinction entre nous, que vous les aimez, et que vous en avez soin comme de moi-même.

A ces paroles, Messieurs, qui seroit l'insensible qui ne se laisseroit émouvoir? Certes elles sont si avantageuses pour nous, que je les croirois injurieuses à notre maître, si lui-même ne les avoit prononcées. Mais qui peut douter de ce prodige? Et quoique d'abord ceia nous semble incroyable, est-ce trop peu de sa parole pour nous en assurer? Tenons-nous hardiment à cette promesse, et laissons ménager au Père éternel les intérêts de son Fils: il saura bien lui donner le rang qui est dû à sa qualité et à son mérite, sans violer cette unité que lui-même lui a si instamment demandée. Comme une bonne mère qui tient son cher enfant entre ses bras, porte différemment ses caresses sur diverses parties de son corps, selon que son affection la pousse; il y en a quelques-unes qu'elle orne avec plus de soin, qu'elle conserve avec plus d'empresse

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ment; ce n'est toutefois que le même amour qui l'anime de même le Père éternel, sans diviser cet amour qu'il doit en commun à son Fils et à ses membres, saura bien lui donner la prééminence du chef. Et s'il y a quelque différence en cet exemple, c'est, Messieurs, que l'union des saints avec Jésus-Christ est bien plus étroite; parcequ'il emploiera pour la faire, et sa main toute-puissante, et cet esprit unissant que les Pères ont appelé le lien de la Trinité.

Dites-moi tout ce qu'il vous plaira de la grandeur, des victoires, du sacrifice de notre maitre; j'avouerai tout cela, Messieurs, et j'en avouerai beaucoup davantage car que pourrions-nous dire qui approchât de sa gloire? Mais je ne laisserai pas de soutenir que celui qui n'aspire pas au même royaume, qui ne porte pas son ambition jusqu'aux mêmes honneurs, qui n'espère pas la même félicité, n'est pas digne de porter le nom de chrétien, ni d'être lavé de son sang, ni d'ètre animé de son esprit. Pour qui a-t-il vaincu, si ce n'est pour nous? N'estce pas pour nous qu'il s'est immolé? Sa gloire lui appartenoit par le droit de sa naissance; et s'il avoit quelque chose à acquérir, c'étoit les fidèles, qu'il appelle le peuple d'acquisition. Pensons-nous pas qu'il sache ce qui est dû à ses victoires? Et cependant écoutons comme il parle dans l'Apocalypse: « J'ai vaincu, dit-il; je suis » assis comme un triomphateur à la droite de » mon Père; et je veux que ceux qui surmon>> teront en mon nom, soient mis dans le même » trône que moi: » Qui vicerit, dabo ei ut sedeat in throno meo '. Figurez-vous, si vous pouvez, une plus parfaite unité. Ce n'est pas assez de nous transporter au même royaume, ni de nous associer à l'empire, il veut que nous soyons placés dans son trône : non pas qu'il le quitte pour nous le donner, les saints n'en voudroient pas à cette condition; mais il veut que nous y régnions éternellement avec lui. Et comment cela se peut-il expliquer, qu'en disant que nous sommes le même corps, et qu'il ne faut point mettre de différence entre lui et nous?

Après de si grands desseins de la Providence sur les bienheureux, après que Dieu s'est intéressé lui-même à leur grandeur, et s'y est intéressé par ce qu'il aime le plus; prenez garde, Chrétiens, lorsqu'on vous pariera du royame céleste, de ne vous le pas représenter à la façon de ces choses basses qui frappent nos sens, ou de ces plaisirs périssables qui trompent plutôt notre imagination qu'ils ne la contentent: tout nous y semblera nouveau, nous n'aurons jamais

* Apoc. t. 21.

rien vu de semblable Nova facio omnia «Je m'en vais faire toutes choses nouvelles. » Comme Dieu, sans avoir égard à ce qu'il a fait des choses, ne considérera plus que ce qu'il en peut faire; comme il ne suivra plus leur disposition naturelle, et ne prendra loi que de sa puissance et de son amour; ce ne seroit pas une moindre témérité de prétendre concevoir ce qu'il fait dans les bienheureux, que si nous voulions comprendre sa toute-puissance. Mettre les choses dans cet état naturel où nous les voyons, cela étoit bon pour commencer les ouvrages de Dieu. Mais s'il veut faire des saints quelque chose digne de lui, il faut qu'il travaille in munu potenti et brachio extento 2, « avec une main forte et un bras étendu. » Il faut, dis-je, qu'il étende son bras; il faut qu'il les tourne de tous côtés pour les façonner entièrement à sa mode, et qu'il n'ait égard à leur disposition naturelle, qu'autant qu'il faudra pour ne leur point faire de violence. Ce sera pour lors qu'il donnera ce grand coup de maître, qui rendra les saints à jamais étonnés de leur propre gloire. Ils seront tellement embellis des présents de Dieu, qu'à peine l'éternité leur suffira-t-elle pour se reconnoître. Est-ce là ce corps autrefois sujet à tant d'infirmités? est-ce là cette ame, qui avoit ses facultés si bornées? Ils ne pourront comprendre comment elle étoit capable de tant de merveilles. La joie y entrera avec trop d'abondance, pour y passer par les canaux ordinaires. Il faudra que la main de Dieu ouvre les entrées, et qu'il leur prête, pour ainsi dire, son esprit, comme il les fera jouir de sa félicité. Je vous prie de considérer un moment avec moi ce que c'est que cette béatitude.

Notre ame dans cette chair mortelle ne peut rien rencontrer qui la satisfasse : elle est d'une humeur difficile, elle trouve à redire partout. Quelle joie d'avoir trouvé un bien infini', une beauté accomplie, un objet qui s'empare si doucement de sa liberté, qui arrête à jamais toutes ses affections; sans que son ravissement puisse être troublé ou interrompu par le moindre desir! Mais que peut-elle concevoir de plus grand, que de posséder celui qui la possède, et que cet objet qui la maîtrise soit à elle? Car il n'y a rien qui soit plus à elle que ce qui est sa récompense; d'autant que la récompense est attachée à une action, de laquelle le domaine lui appartient. Comme elle loue Dieu de l'avoir si bien conduite, d'avoir opéré en elle tant de merveilles, cependant que son Dieu même la loue! Là, Seigneur, toujours on chantera vos louanges;

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on n'y parlera, ne s'entretiendra que de vos merveilles; jamais on ne se lassera d'y parler de la magnificence de votre royaume: Magnificentiam gloriæ sanctitatis tuæ loquentur,et mirabilia tua narrabunt': « Ils parleront de la magnificence » de votre gloire et de votre sainteté, et raconte>> ront vos merveilles. » Mais vous ne vous lasserez non plus de leur dire qu'ils ont bien fait; vous leur parlerez de leurs travaux avec une tendresse de père: et ainsi de part et d'autre l'éternité se passera en des congratulations perpétuelles. O que la terre leur paroîtra petite! comme ils se riront des folles joies de ce monde ! En est-ce assez, Messieurs, ou s'il faut encore quelque chose pour nous exciter? Que restoit-il à faire au Père éternel pour nous attirer à lui? | Il nous appelle au royaume de son Fils unique, nous qui ne sommes que des serviteurs, et des serviteurs inutiles. Il ne veut rien avoir de secret ni de réservé pour nous. L'objet qui le rend heureux, il nous l'abandonne. Il nous fait les compagnons de sa gloire, cendre et pourriture que nous sommes; et il ne nous demande pour cela que notre amour, et quelques petits services qui lui sont déja dus par une infinité d'obligations que nous lui avons, et qui ne seroient que trop bien payés des moindres de ses faveurs. Cependant qui le pourroit croire, si une malheureuse expérience ne nous l'apprenoit? l'homme insensé ne veut point de ces grandeurs il embrasse avec autant d'ardeur des plaisirs mortels, que s'il n'étoit pas né pour une gloire éternelle; et comme s'il vouloit être heureux malgré son créateur, il prend pour trouver la félicité une route toute contraire à celle qu'il lui prescrit, et n'a point de contentement qu'en s'opposant à ses volontés. Encore si cette vie avoit quelques charmes qui fussent capables de le contenter, sa folie seroit en quelque façon pardonnable! Mais Dieu, comme un bon père qui connoît le foible de ses enfants, et qui sait l'impression que font sur nous les choses présentes, a voulu exprès qu'elle fût traversée de mille tourments, pour nous faire porter plus haut nos affections. Que s'il y a mêlé quelques petites douceurs, c'a été pour en tempérer l'amertume, qui nous auroit semblé insupportable sans cet artifice. Jugez par là ce que c'est que cette vie. Il faut de l'adresse et de l'artifice pour nous en cacher les misères; et toutefois, o aveuglement de l'esprit humain! c'est elle qui nous séduit, elle qui n'est que trouble et qu'agitation, qui ne tient à rien, qui fait autant de pas à sa fin qu'elle ajoute de moments à sa du

Ps. CXLIV. 5.

rée, et qui nous manquera tout à coup comme un faux ami, lorsqu'elle semblera nous promettre plus de repos. A quoi est-ce que nous pensons? Où est cette générosité du christianisme, qui faisoit estimer aux premiers fidèles moins que de la fange toute la pompe du monde: Existimavi sicut stercora1: « Je l'ai regardée comme » du fumier; » qui leur faisoit dire avec tant de résolution: Cupio dissolvi et esse cum Christo2: « Je desire de me voir dégagé des liens de ce » corps pour être avec Jésus-Christ; » qui dans un état toujours incertain, dans une vie continuellement traversée, mais dans les tourments les plus cruels et dans la mort même, les tenoit immobiles par une ferme espérance: spe viventes 3, <«< vivants par l'espérance?» Mais, hélas! que je m'abuse de chercher parmi nous la perfection du christianisme! Ce seroit beaucoup si nous avions quelque pensée qui fût digne de notre vocation, et qui sentit un peu le nouvel homme. Au moins, Messieurs, considérons un peu attentivement quelle honte ce nous sera d'avoir été appelés à la même félicité que ces grands hommes qui ont planté l'Église par leur sang, et de l'avoir lâchement perdue dans une profonde paix; au lieu qu'ils l'ont gagnée parmi les combats, et malgré la rage des tyrans, et des bourreaux, et de l'enfer. Heureux celui qui entend ces vérités, et qui sait goûter la suavité du Seigneur! « Heureux celui qui » marche innocemment dans ses voies, qui » passe les jours et les nuits à contempler la >> beauté de ses saintes lois! Il fleurira comme » un arbre planté sur le courant des eaux. Le » temps viendra qu'il sera chargé de ses fruits; » il ne s'en perdra pas une seule feuille; le Sei>> gneur ira recueillant toutes ses bonnes œu » vres, et fera prospérer toutes ses actions. Ah! qu'il n'en sera pas ainsi des impies! Il les dissipera dans l'impétuosité de sa colère, comme » la poudre est emportée par un tourbillon *. » Cependant les justes se réjouiront avec lui : « il » les remplira de l'abondance de sa maison; il >> les enivrera du torrent de ses délices 5 ». Ah! Seigneur, qu'il fait beau dans vos tabernacles! Je ne suis plus à moi quand je pense à votre palais; mes sens sont ravis et mon ame transportée, quand je considère que je jouirai de vous dans la terre des vivants. Je le dis encore une fois, et ne me lasserai jamais de le dire : « Il est plus doux de passer un jour dans votre » maison, que d'être toute sa vie dans les vo» luptés du monde. » Seigneur, animez nos cœurs de cette noble espérance.

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Et vous, ames bienheureuses, pardonnez-même, parceque sa propre grandeur lui suffit, nous, si nous entendons si mal votre grandeur, il est tout encore à tous les élus, parcequ'il remet ayez agréables ces idées grossières que nous plit par sa plénitude leur capacité tout entière nous formons de votre félicité durant l'exil et et tous leurs desirs. S'il leur faut un triomphe la captivité de cette vie. Vous avez passé par pour honorer leur victoire, Dieu est tout; les misères où nous sommes : nous attendons la s'ils ont besoin de repos pour se délasser de félicité que vous possédez vous êtes dans le leurs longs travaux, Dieu est tout; s'ils deport: nous louons Dieu de vous avoir choisis, mandent la consolation, après avoir saintede vous avoir soutenus parmi tant de périls, de ment gémi parmi les amertumes de la pénivous avoir comblés d'une si grande gloire. Se- tence, Dieu est tout. Dieu est la lumière qui les courez-nous de vos prières; afin que nous allions éclaire; Dieu est la gloire qui les environne; joindre nos voix avec les vôtres, pour chanter Dieu est le plaisir qui les transporte; Dieu est la éternellement les louanges du Père qui vous a vie qui les anime; Dieu est l'éternité qui les élus, du Fils qui vous a rachetés, du Saint- établit dans un glorieux repos. Esprit qui vous a sanctifiés. Ainsi soit-il à ja

mais.

III' SERMON

POUR LA FÊTE

DE TOUS LES SAINTS,

PRÊCHÉ DEVANT LE ROI.

Conditions nécessaires pour être heureux : n'être point trompés, ne rien souffrir, ne rien craindre. Elles ne se trouvent réunies que dans le ciel. Nous n'y serons plus sujets à l'erreur, à la douleur, à l'inquiétude : parceque nous y verrons Dieu, que nous y jouirons de Dieu, que nous nous reposerons à jamais en Dieu.

Ut sit Deus omnia in omnibus.
Dieu sera tout en tous. I. Cor. xv. 28.

SIRE,

Ce que l'œil n'a pas aperçu, ce que l'oreille n'a pas ouï, ce qui jamais n'est entré dans le cœur de l'homme; c'est ce qui doit faire aujourd'hui le sujet de notre entretien. Cette solennité est instituée pour nous faire considérer les biens infinis que Dieu a préparés à ses serviteurs, pour les rendre éternellement heureux; et un seul mot de l'apôtre nous doit expliquer toutes ces merveilles.

Dieu, dit-il, sera tout en tous. Que peut-on entendre de plus court? Que peut-on imaginer de plus vaste ou de plus immense? Dieu est un, et en même temps il est tout; et étant tout à lui

O largeur! ô profondeur! ô longueur sans bornes, et inaccessible hauteur! pourrai-je vous renfermer dans un seul discours? Allons ensemble, mes Frères; entrons en cet abîme de gloire et de majesté. Jetons-nous avec confiance sur cet océan : mais implorons l'assistance du Saint-Esprit; et ayons notre guide et notre étoile, je veux dire la sainte Vierge que nous allons saluer par les paroles de l'ange. Ave.

SIRE, on peut mettre en question si l'homme pour être heureux n'a besoin de posséder qu'une seule chose; ou si sa félicité est un composé de plusieurs parties, et le concours de plusieurs biens ramassés ensemble. Et premièrement il paroît qu'un cœur qui se partage à divers objets, confesse, en se partageant, que l'attrait qui le gagne est foible, et que celui qui est ainsi divisé cherche plutôt sa félicité qu'il ne l'a trouvée. Que s'il paroit d'un côté qu'un seul objet nous doit contenter, parceque nous n'avons qu'un cœur; il semble aussi d'autre part que plusieurs biens nous sont nécessaires, parceque nous avons plusieurs desirs. En effet, nous desirons la santé, la vie, le plaisir, le repos, la gloire, l'abondance, la liberté, la science, la vertu et que ne desirons-nous pas ? Comment donc peut-on espérer de satisfaire par un seul objet une si grande multiplicité de desirs et d'inclinations que nous nourrissons en nousmêmes?

L'apôtre a concilié ces contrariétés apparentes dans le texte que j'ai choisi; puisqu'il nous y fait trouver dans un même objet, premièrement la simplicité, parcequ'il est un; et tout ensemble la variété, parcequ'il est infini. Dieu, dit-il, sera tout en tous. Il est un, et il est tout. Il est tout, non seulement en lui-même par l'immensité de son essence, de sa nature; mais encore il est tout en tous, par l'incompréhensible fécondité avec laquelle il se communique à ses créatures. Erit Deus omnia in omnibus: « Dieu sera tout en tous. »>

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