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déformés, lourds, et de très grandes dimensions. Les souliers d'Aboul Casim étaient passés en proverbe dans la ville de Bagdad; quand on parlait d'un objet lourd, très-lourd même, on disait: "Ah! c'est aussi lourd que les souliers d'Aboul Casim." Un jour que notre homme se promenait dans les bazars de la ville, il rencontra un de ses amis, qui lui dit qu'il venait d'acheter un grand nombre de bouteilles à un marchand d'Alep. "Achetezm'en une partie," ajouta l'ami, "je puis vous les passer à très bon marché; vous pourrez les revendre avec un bénéfice considérable." Cette idée sourit à Aboul; il acheta un certain nombre de bouteilles et les fit porter chez lui. Un peu plus loin, il rencontra un autre ami, qui l'informa qu'il venait de recevoir d'excellente essence de rose: "Si vous en voulez," dit-il, "je puis vous en céder, et je prévois que d'ici à quelque temps, vous pourrez la revendre le double de ce qu'elle vous aura couté." Aboul acheta de l'essence de rose, l'emporta chez lui, la mit dans ses bouteilles, qu'il plaça sur une tablette dans sa chambre même.

Le lendemain Aboul Casim alla aux bains publics, comme c'est l'habitude dans les villes de l'Asie, et se rencontra là avec un de ses vieux compagnons d'enfance, qui lui dit: "En vérité, mon cher Aboul, tes souliers sont vraiment trop vieux, et ne conviennent pas à une homme riche comme toi; permets-moi de te faire cadeau d'une paire de souliers neufs.' "Comme il te plaira," repartit l'avare. Sur ces entrefaites arriva le cadi, ou premier magistrat de la ville: il venait aussi prendre son bain, et il déposa ses vêtements auprès de ceux d'Aboul Casim. Lorsque l'avare sortit de l'eau, et vint reprendre ses effets, il n'aperçut pas ses souliers à l'endroit où il croyait les avoir deposés; mais, voyant ceux du cadi, qui étaient tout neufs, il s'imagina que son ami d'enfance venait de lui faire le cadeau dont il lui avait parlé; Aboul s'empara joyeusement des souliers et retourna chez lui. Au sortir du bain, le cadi ayant vainement cherché ses souliers, et n'ayant trouvé que les affreuses savates d'Aboul Casim, en conclut tout simplement que celui-ci l'avait volé. Il le fit comparaître devant son tribunal, et sans vouloir écouter sa justification, le condamna à une amende et à plusieurs jours de prison. Quand il eut recouvré sa liberté, Aboul Casim se dit: "Ces malheureux souliers sont cause que j'ai bien souffert; ils m'ont déshonoré." Et il les jeta avec colère dans le Tigre. Quelques jours après, deux pêcheurs, en retirant leurs filets, découvrirent les souliers bien connus dans Bagdad. L'un d'eux les prit pour les rendre à leur propriétaire. Comme la porte d'Aboul était fermée, il les jeta dans la chambre de l'avare par une fenêtre ouverte. Les lourds souliers tombèrent sur la planche, où étaient rangés les flacons d'essence de rose, et la renversèrent: toutes les bouteilles furent brisées, toute l'essence fut perdue. En rentrant

dans sa demeure, et en voyant ce nouveau malheur, Aboul Casim s'arracha la barbe et les cheveux, pleura, et de nouveau maudissant ses souliers: "Il faut que je n'en délivre," dit-il; "je vais les enterrer dans un coin de ma maison, et il n'en sera plus question." Pendant la nuit, il se mit à creuser un trou dans la terre. Ses voisins, entendant du bruit, pensèrent qu'il minait les fondements de leurs habitations; ils se levèrent avec effroi, se rendirent près du cadi pour lui exprimer leur crainte. Le cadi fit jeter Casim en prison, et on ne le relâcha qu'après lui avoir fait payer une nouvelle amende. De retour en sa demeure, plus triste, plus irrité que jamais, Aboul reprit, d'une main furieuse, ses funestes souliers, et les précipita dans le réservoir d'un caravansérail. Quelques jours après, on s'aperçut que l'eau ne coulait plus de ce réservoir; les ouvriers chargés de le nettoyer reconnurent que les tuyaux étaient obstrués par les souliers d'Aboul Casim. De nouveau l'avare fut conduit en prison, et condamné à une forte amende. Après cette troisième infortune, Aboul Casim, au désespoir, prit encore ses souliers, les lava et les plaça sur la terrasse de sa maison pour les faire sécher, et ensuite les réduire en cendres. Mais un chien, sautant sur cette terrasse, prit un de ces souliers entre ses dents et le laissa tomber; la fatale chaussure tomba sur une femme, qui était assise au pied de la maison, et qui, par suite de la terreur qu'elle ressentit, tomba gravement malade. Son mari alla se plaindre au gouverneur, et Aboul Casim fut encore condamné à la prison et à l'amende.

Cette fois, ne sachant plus comment se délivrer de cette abominable chaussure, Aboul Casim la prit, se présenta devant le cadi, et lui ayant raconté tout ce qui lui était arrivé: "Je vous prie," lui dit-il, "de recevoir ma déclaration; et j'espère que tous les bons musulmans ici présents, attesteront que désormais, il n'y a plus aucun rapport entre ces souliers et moi; je désire avoir un certificat constatant que si ces souliers causent encore quelque accident, quelque malheur, je ne veux plus être responsable de leurs méfaits." Le cadi, que ce récit avait amusé, délivra au malheureux Aboul le certificat qu'il réclamait.

Il faut être économe avec discernement, car il peut y avoir de bien ruineuses économies.

7.

A Clever Fool.

François I. avait à sa cour un fou célèbre et fort spirituel, nommé Triboulet. Ce Triboulet exerçait souvent son esprit mordant et sarcastique, aux dépens des plus grands seigneurs de la cour. Parmi ceux-ci, il y en avait qui prenaient bien ses plaisanteries; mais, fort souvent aussi, il y en avait qui

ne les prenaient pas bien du tout. Un jour que le fou avait été plus impertinent que de coutume, un des seigneurs, blessé de ses propos, s'approcha de lui et le menaça de le tuer. Triboulet alla se plaindre au roi, disant: qu'il lui devenait difficile de faire honneur à sa profession de fou du roi. "Ne crains rien," répondit François I.: "si ce seigneur-là osait te tuer, je lui ferais couper la tête un quart d'heure après ta mort." "Sire," répondit le fou, "il me semble qu'il vaudrait mieux que ce fût un quart d'heure avant."

Pas trop bête pour un fou.

8.

Wonderful Ignorance.

A l'époque où Cassini était astronome de France, il y eut à Paris une éclipse du soleil. Cassini, qui était un homme aimable et bienveillant, avait un grand nombre d'amis, parmi lesquels se trouvait un jeune homme excessivement ignorant. Ce jeune homme accompagnait quelques dames, qui de même que plusieurs autres personnes avaient été invitées par l'astronome, à venir observer l'éclipse. Malheureusement, elles arrivèrent trop tard, et le domestique les informa que l'éclipse était passée. "Oh! n'importe," dit le jeune homme, "allez dire à Monsieur Cassini que nous venons d'arriver, Monsieur Cassini est un de mes amis, et je suis couvaincu qu'il voudra bien faire recommencer l'éclipse." Quel malheur, d'être ignorant à ce point-là!

9.

Blacksmith vice Weaver.

Un forgeron en Espagne avait assassiné un voyageur. Il fut arrêté, conduit devant le juge, et condamné à mort.-Les paysans de son village, ayant appris sa condamnation, vinrent trouver le juge, et lui dirent: "Nous venons vous prier de nous accorder une grande grâce. Vous avez condamné notre forgeron à mort, mais nous n'en avons qu'un, nous ne pouvons aller sans lui; il faut qu'il raccommode nos charrettes et nos charrues: nous vous en prions, ne le faites pas pendre." "Mes amis," leur répondit le juge, “je suis fâché de ne pouvoir, cette fois, vous accorder votre demande; le forgeron a assassiné un homme, il doit mourir à son tour; il faut que justice soit faite, autrement que deviendrait le monde." Les paysans, qui ne s'étaient pas attendus à cette réponse, ne surent d'abord que répliquer. Ils s'en allèrent et tinrent conseil ensemble pendant deux heures, puis ils revinrent trouver le juge, et lui dirent: "Monsieur le juge, nous avons bien réfléchi à ce que vous nous avez dit: Vous avez raison, il faut que justice soit faite, ainsi nous venons

vous soumettre une proposition:-Nous avons deux tisserands dans notre village, et comme ce n'est qu'un petit village, un seul suffit; pendez l'autre, et de cette manière justice sera faite."

10.

Jack's Argument.

Un artisan demandait à un matelot où était mort son père. Celui-ci répondit que son père, son grand-père, et son bisaïeul étaient tous morts sur mer. "Eh bien!" dit l'autre, " n'avez-vous donc point peur d'aller sur mer?" "Point du tout," répondit le matelot; "mais," dites-moi aussi, "je vous prie: comment votre père, votre grand-père, et votre bisaïeul sont-ils morts?" sont morts dans leur lit," dit l'autre. "Fort bien,” reprit le matelot: 66 pourquoi aurais-je plus peur d'aller sur mer que vous d'aller vous coucher?"

11.

A Peasant's Bright Idea.

"Ils

Un paysan avait remarqué qu'un grand nombre de personnes se servent de lunettes pour lire. Un jour qu'il était venu à la ville, il eut l'heureuse idée de profiter de l'occasion pour s'acheter aussi des lunettes. Il entra dans la boutique d'un opticien et il lui dit: "Il me faut des lunettes." L'opticien voyant que l'acheteur n'était qu'un paysan, pensa que les lunettes les plus ordinaires seraient assez bonnes pour lui, et il lui apporta ce qu'il avait de plus commun en fait de lunettes. Le paysan se les mit sur le nez, tira un livre de sa poche, l'ouvrit, et un instant après rendit les lunettes au marchand en lui disant: "Vos lunettes ne valent rien, je ne puis pas lire avec." Il en essaya ensuite plusieurs paires, sans obtenir un meilleur résultat.

A la fin, le marchand tira d'un tiroir les meilleures lunettes de son magasin, et les donnant au paysan, il lui dit: "Si vous ne pouvez pas lire avec celles-ci, je suis fâché de vous dire que je n'ai point de lunettes qui puissent vous convenir." Deux minutes après, le paysan posa les lunettes sur le comptoir en disant, que toutes celles qu'il avait essayées devaient être bien mauvaises, puisqu'il ne pouvait lire avec aucune paire. Le marchand, au comble de la surprise, ne pouvait s'expliquer cette singulière circonstance; et, poussé par le dépit, il s'écria, en rangeant ses lunettes: "Après tout, vous ne savez peut-être pas lire!' "Idiot que vous êtes!" lui répondit le paysan, "si je savais lire, pourquoi donc est-ce que je viendrais vous acheter des lunettes?"

12.

Charity to a Miser.

Quelques jeunes gens étaient un jour rassemblés dans un café; l'un d'eux s'avançant vers la fenêtre, dit à ses amis: "Là, vis à vis,

demeure un homme fort riche, mais si avare que l'on dit qu'il n'invite jamais personne à dîner. Je parie que demain, je me ferai inviter." Les jeunes gens se mirent à rire, et ils parièrent dix livres. Le jeune homme s'informa de l'heure à laquelle l'avare se mettait à table, et sonnant à la porte de sa demeure à l'heure indiquée, il demanda au domestique qui vint ouvrir, si son maître était chez lui?-"Oui."-"Eh bien, allez lui dire que si je peux lui parler immédiatement, cela lui épargnera mille livres." Le domestique alla rapporter ces paroles à son maître. L'avare donna l'ordre qu'on fit entrer le jeune homme aussitôt. "Vous dites," lui dit-il, avec empressement, "que vous pouvez m'épargner mille livres; informez-moi, je vous en prie, de quelle manière." -"Je le peux certainement," dit le jeune homme, "mais je vois que vous allez vous mettre à table, je me retirerai et quand vous aurez dîné, je m'entretiendrai avec vous." L'avare était dans un embarras visible-"Mais ne voulez-vous pas nous faire le plaisir de dîner avec nous ?"-" Volontiers, pourvu que je ne vous dérange pas." Le jeune homme se mit à table, et dîna de bon appétit. Après le dîner, lorsque les dames se furent retirées; “maintenant," dit l'avare, “ parlons de notre affaire, comment pouvez-vous m'épargner mille livres ?"-"Voici: Ne devez-vous pas marier votre fille, et n'avez-vous pas promis de lui donner dix mille livres de dot: donnez-la moi pour neuf mille livres, de cette manière, vous en épargnerez mille."

13.

66

A Noble-minded Man's Legacy.

Un honnête père de famille, chargé de biens et d'années, voulut régler d'avance sa succession entre ses trois fils, et leur partager ses biens, le fruit de ses travaux et de son industrie. Après en avoir fait trois portions égales, et avoir assigné à chacun son lot, "il me reste," ajouta-t-il, "un diamant de grand prix: je le destine à celui de vous qui saura mieux le mériter par quelque action noble et généreuse, et je vous donne trois mois pour vous mettre en état de l'obtenir." Aussitôt les trois fils se dispersent, mais ils se rassemblèrent au temps prescrit; ils se présentent devant leur juge, et voici ce que raconte l'aîné: "Mon père, durant mon absence, un étranger s'est trouvé dans des circonstances qui l'ont obligé de me confier toute sa fortune, il n'avait de moi aucune sûreté par écrit, et n'aurait été en état de produire aucune preuve, aucun indice même du dépôt; mais je le lui remis fidèlement: cette fidélité n'est-elle pas quelque chose de louable?" "Tu as fait, mon fils," lui répondit le vieillard, “ce que tu devais faire; il y aurait de quoi mourir de honte, si l'on était capable d'en agir autrement, car la probité est un devoir; ton action est une ac

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