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HISTORIQUE,

OU

RECUEIL DE MATÉRIAUX

POUR SERVIR A L'HISTOIRE DU TEMPS.

Quid verum atque decêns curo et rogo et omnis in hoc sum.

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EXTÉRIEUR.

(HORACE.)

LETTRE PARTICULIÈRE.

Madrid, 5 Mai.

Aperçu de la situation financière de l'Espagne.

Si de tems en tems il ne nous arrivait de nous procurer de contrebande quelques journaux étrangers, nous ne saurions pas plus ce qui se passe dans le monde politique que si nous vivions au milieu des pyramides de l'Egypte. Dans cette privation de toutes nouvelles, tel est le desir que nous avons de connaître ce qui se passe au dehors, que pour nous procurer les papiers étrangers, nous nous exposons volontiers à la peine de six années de réclusion portée contre ceux qui les reçoivent. Lorsqu'il nous arrive une de ces feuilles, elle circule parmi nous comme un objet précieux; on ne la confie qu'aux personnes d'une discrétion prouvée. Nous y recherchons avidement ce qui concerne

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notre malheureux pays, et comme vous le croirez sans peine, nous avons souvent lieu d'être étonnés de la manière dont nos affaires sont présentées chez l'étranger. Ce que nous ne comprenons pas surtout, ce sont les éloges donnés dans les journaux de Paris et de Londres, aux plans de finances du ministre Garay. Il faut que les auteurs des articles qui portent aux nues le décret récent sur les valès, soient dans une ignorance absolue de la matière qu'ils traitent. Ce ne peut être que par ironie qu'ils félicitent un gouvernement qui, pour améliorer son crédit, ne trouve pas de meilleur expédient que de réduire de près des deux tiers le capital et les arrérages de la dette publique. L'idée d'une pareille opération de finances n'a pu entrer que dans l'esprit des hommes qui environnent aujourd'hui le trône et ne trouve de défenseurs que parmi des écrivains qui leur sont vendus. Pour vous mettre à même d'asseoir un jugement sur cet objet, voici quelques éclaircissemens sur les vales, papier-monnaie qui a depuis plusieurs années un cours légal dans tout le royaume.

Les valès royaux ne sont pas des rentes ou des billets de banque, mais un papier-monnaie national, proclamé tel par les lois de l'Etat. Aux termes de la loi, les créanciers de l'Etat sont tenus de recevoir les valès à leur valeur nominale; ils les reçurent ainsi à une époque même où ces effets n'étaient négociables sur la place qu'à 70 pour 100 de perte. Cette dépréciation sur la place vint naturellement de ce que le gouvernement qui les livrant à ses créanciers à leur valeur nominale, se refusait à les recevoir sur le même pied. Lors de la première création de ces valès, les revenus de la couronne jusqu'ici en concurrence proportionnée à la quantité émise, furent donnés en hypothèque pour garantir le remboursement du capital et le paiement des interêts, à 4 pour 100. On avait en outre la parole royale, plusieurs fois renouvelée, que ces obli-, gations de la couronne resteraient toujours sacrées. Une

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garantie à-la-fois si positive etsi solennelle détermina beaucoup de particuliers à voir dans ces valès un placement utile pour leur capitaux. Mais les prodigalités de la cour, encouragées par l'aisance que produisit un moment de crédit, épuisèrent bientôt ces premières ressources; et on eut alors recours à la création de nouveaux valès. On ne se lassa pas d'user de cette facile ressource; au point que la place étant enfin surchargée de papier-monnaie, et la dépense du gous vernement continuant à excéder de beaucoup les recettes, et le numéraire ayant en même tems presqu'entièrement disparu, les particuliers désespérèrent de jamais rentrer dans leurs capitaux, et les valès tombèrent dans une dépréciation absolue.

Dans ce fâcheux état de choses, on conçut l'idée de créer une caisse d'amortissement pour racheter peu à peu les valès ainsi décrédités. Les fonds consacrés à ce nouvel établissement étaient considérables. Ils provenaient principalement de la vente des biens de l'Eglise, de donations pieuses, et de quelques nouvelles contributions mises sur des objets de consommation. Cette mesure rétablit momentanément le crédit public. Eile eut surtout pour avantage de mettre en circulation une grande quantité de nouvelles valeurs, les biens ecclésiastiques; mais à peine commençait-on à éprouver les bons effets de cette mesure, que les espérances des créanciers leur furent de nouveau enlevées : les millionsaffectés à la caisse d'amortissement furent distraits de leur destination primitive. Une grande partie de ces fonds fut dissipée par la maison du Roi. Une autre passa immé→ diatement des mains du directeur de cette caisse en celles de la Reine, qui les écoula avec son favori Sodon. Une autre partie fut prêtée à des intrigans, pour être employée à des entreprises hasardeuses.

Sous un pareil gouvernement, le mal fut nécessairement sans remède. Ce fut au surplus, sur ces entre faites qu'éclata la révolution de 1808. Le crédit resta à-peu-près nul, au

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milieu des troubles qui la suivirent jusqu'en 1812, époque ou les Cortès, malgré la position violente où ils se trouvaient entreprirent de rétablir la caisse d'amortissement. Ils y affectèrent les biens immenses enlevés à l'inquisition et aux autres établissemns religieux. On vit dès-lors renaître le crédit public; cette mesure, revêtue de la sanction des représentans du peuple, influa d'une manière si puissante sur l'opinion, que les valès s'élevèrent subitement, de 20 à 30 pour 100, même avant le traité de Paris et l'abdication de Napoléon en 1814. Cependant, bientôt après cette dernière époque, Ferdinand remonta sur son trône, et cet événement fit promptement évanouir le beau rêve qu'on s'était fait de voir la foi publique gardée envers les créanciers de l'État. Le fonds d'amortissement institué par les Cortès, disparut bientôt l'inquisition rétablie, en réclama la majeure partie qui se composait de ses anciens biens. Le reste fut absorbé par les besoins toujours renaissans de la Cour.

C'est donc au moment où l'Espagne est sans revenus, sans crédit, sans constitution, et on peut même ajouter sans gouvernement régulier, c'est dans cet état de choses enfin, que le ministre Garey produit son plan de finance, dont le premier objet est de supprimer les deux tiers des valès ou de la dette publique. Dans tout autre pays, une pareille opération s'appèlerait simplement banqueroute nationale; mais, en Espagne, cela s'appi le régénérer le crédit public. Une mesure qui dépouille un nombre immense de particuliers, des deux tiers de leur fortune, est qualifiée ici et dans les feuilles étrangères dont j'ai parlé plus haut, de mesure sage, loyale et équitable. Mais, je vous ai fait connaître maintenant les opérations financières de M. de Garey, et il vous sera facile d'apprécier à leur juste valeur, les éloges qui leur sout prodigués dans les journaux étrangers.

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