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INTÉRIEUR.

De l'inutilité du mode actuel de la Comptabilité de la Guerre.

M. Ganilh, député, a publié en 1817 un ouvrage intitulé: De la Législation de l'Administration et de la comptabilité des finances de la France, depuis la restauration, dans lequel il s'exprime de la manière suivante (pages 146 et 147):

« Quelles sont les pièces comptables des payeurs? » L'ordonnance du ministre de chaque service, et la quit»tance de celui à qui cette ordonnance est délivrée.

» Ces deux pièces sont, sans contredit, suffisantes pour la » libération du paiement. Mais suffisent-elles pour établir » la légitimité de l'ordonnance du ministre? Examinons:

» L'ordonnance du ministre tire sa force du budjet, qui » détermine et règle la dépense du service qui lui est confié." >> Tant que le ministre ne dépense que ce qu'il est autorisé » à dépenser, et qu'il applique à chaque partie de sa dé» pense, la somme qui lui est affectée par le budjet, l'or» donnance est régulière et valable.

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que

Qu'il en soit ainsi pour les dépenses liquides, telles » les traitemens, les salaires. . . . . . cela est hors de doute, » et la responsabilité du ministre me paraît devoir écarter » toutes les difficultés qu'on serait encore autorisé à faire » sur ce point.

Ainsi, l'auteur pense qu'en ce qui concerne les traitemens et salaires, l'ordonnance du ministre et la quittance de la partie prenante suffisent pour établir la légitimité de la dépense. C'est cette proposition que j'ai dessein d'examiner. Je la particulariserai en l'appliquant au ministère de la

guerre; ainsi réduite, elle tirera encore assez d'intérêt de l'importance des sommes dépensées par ce ministère.

Pierre, domicilié à Paris, se trouve avoir des dépenses considérables à faire pour l'amélioration d'une terre qu'il possède dans un département éloigné. Il avait précédemment déposé dans les mains d'un banquier, voisin de cette terre, une somme de 50,0co fr., qui lui paraît suffisante pour pourvoir à ces dépenses, mais il lui faut quelqu'un pour les diriger; il confie ce soin à Jacques, et le charge non seulement d'ordonner les travaux, de surveiller les ouvriers, mais encore d'arrêter leurs mémoires et d'y mettre un vu bon à payer. Mais il ne veut pas qu'il touche aucun fonds. Il veut que les fournisseurs, les journaliers, etc. reçoivent ce qui leur sera dû, directement des mains de son banquier. Quant à celui-ci, il ne lui prescrit que deux choses, la rre, de n'acquiter que les pièces revêtues du vu bon à payer de Jacques, et la 2me, de ne rien payer audelà de 50,000 fr. Il est bien clair que, dans cette hypothèse, et tant qu'il n'aura pas dépassé le crédit, le banquier devra être libéré toutes les fois qu'il présentera un mémoire ordonnancé par Jacques, et quittancé par celui au profit duquel il aura été ordonnancé. Que la dépense soit réelle où ne le soit pas, qu'elle ait été mal réglée, ce n'est pas son affaire, la pièce était régulière, il a bien payé. Mais cette même pièce peut-elle opérer la décharge de Jacques? non; car tout mandataire doit compte à son commettant de l'exécution de son mandat. Jacques peut avoir abusé de la confiance. de son maître ; il peut avoir arrêté des dépenses imaginaires on seulement exagérées. La comptabilité du banquier et la gestion de Jacques sont donc deux choses absolument distiactes. Nous supposons Pierre dans l'impossibilité de vérifier par lui-même l'une et l'autre ; comment fera-t-il ? S'il entend bien ses intérêts, il chargera un tiers de cette vérification, et se gardera bien de faire contrôler la compta

bilité du banquier par le banquier, et la gestion de Jacques, par Jacques lui-même.

Quelles sont les fonctions du ministre de la guerre? elles sont de même nature que celles de Jacques dans l'hypothèse que nous venons d'établir. Il est chargé de diriger la dépense, d'en arrêter les états et d'y mettre son vu bon à payer, c'està-dire son ordonnance de paiement. Mais le ministre ne peut pas arrêter ni ordonnancer toutes les dépenses de son département. Il a donc, pour le suppléer dáns cette partie de ses attributions, des délégués spéciaux qui sont MM. les intendans et sous-intendans. Les ordonnances déléguées par le ministre s'appellent ordonnances directes; celles délivrées par ses délégués s'appellent ordonnances indirectes. Le ministre est responsable des unes et des autres, car elles sont les monumeus de sa gestion.

Quelles sont les fonctions du trésor ? elles sont de même nature que celles du banquicr: lorsqu'il représente l'ordonnance du ministre ou celle d'un délégué du ministre, quittancée par les parties prenantes, et qu'il justifie que le montant de tous les paiemens qu'il a effectués dans cette forme, n'excède pas le crédit du ministre, il doit être complètement libéré.

Nous voyons qu'il existe ici, comme dans notre hypothèse, deux choses bien distinctes; la comptabilité du trésor et la gestion du ministre.

Cependant que fait la Cour des comptes ? Elle vérifie si les pièces comptables, qui lui sont adressées par le trésor, contiennent l'ordonnance du ministre directe ou indirecte, si elles sont quittancées par la partie prenante, et si le montant de toutes ces pièces de dépense n'excède pas le crédit du ministre. Si, dans les rapprochemens de ces diverses pièces par nature de dépense, elle aperçoit un double emploi, elle le signale et en ordonne la retenue sur l'ordonnateur de la dépense; mais sa surveillauce ne va pas au-delà;

elle ne juge point la dépense en elle-même, c'est-à-dire, la gestion du ministre.

Qui juge donc cette gestion?... Qui ?... C'est le ministre lui-même. C'est Jacques qui contrôle Jacques. Entrons dans les détails.

La solde et les masses se paient sur des états d'effectif, qui sont ordonnancés par les intendans et sous-intendans militaires. Ces états sont établis en deux expéditions, dont l'une portant quittance, et l'autre déclaration de quittance. La re, expédition, portant quittance, reste entre les mains du payeur, et devient pour lui pièce comptable définitive. C'est cette pièce qui est envoyée à la Cour des comptes. La 2me, expédition, portant déclaration de quittance, est remise par le payeur au sous-intendant, qui la fait parvenir au ministre de la guerre pour servir à une opération dont nous parlerons bientôt. Ces états ne présentent que des totaux ; ils ne renferment aucun document sur le droit des parties prenantes; ils ne pourraient même en présenter sans donner lieu à des écritures considérables que les corps seraient dans l'impossibilité de faire. Ce ne sont que des paiemens d'à compte qui sont faits sauf réglement ultérieur.

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Pour avoir droit à une solde, il faut avoir un brevet de service, etc., et avoir été en service réel. Ce n'est pas tout : pour les hommes qui sont en service, la solde varie suivant les positions dans lesquelles ils se sont trouvés. Il y en a de particulières pour celui qui est en garnison, à l'armée, en marche, à l'hôpital, en semestre etc. etc. etc. Pour régler ce qui est dû à un militaire, il faut donc constater les positions diverses dans lesquelles il a pu se trouver, compter les journées qu'il a passées dans ces positions, et en établir les décomptes, soit en deniers, soit en rations. Cette opération se fait tous les trois mois. La pièce qui en contient tous les détails et qui présente un volume très-considérable, s'appèle revue générale de comptabilité. On en établit une

pour chaque corps, et une pour chaque classe d'officiers sans troupe. Elles sont dressées par les intendans et sous-intendans militaires. On voit déjà toute l'importance de cette pièce, puisque c'est elle qui consacre les droits des parties prenantes.

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Ces revues sont adressées au ministre de la guerre. Nous avons vu qu'on lui adressait également les secondes expéditions des états de paiemens portant déclaration de quittance. Le ministre a donc en ses mains les pièces qui constatent le crédit et le débit des parties prenantes de son département en ce qui concerne la solde, les masses etc. Il balance l'un et l'autre, c'est-à-dire, qu'il compare le montant des déclarations de quittance constatant ce qui a été payé, avec le montant de la revue qui constate ce qui est dû. S'il résulte de cette comparaison un trop ou un moins perçu, la partie prenante en est débitée ou creditée sur le premier état de paiement. On a donné à cette opération le nom de consommation des décomptes.

Cette première opération terminée, les revues générales de comptabilité sont remises à des employés chargés de vérifier si les intendans qui les ont établis se sont conformés dans les allocations aux dispositions prescrites par les réglemens militaires. S'il résulte de cette vérification qu'il y ait eu des sommes induement allouées, le ministre en fait opérer la retenue sur la partie prenante ou sur l'ordonnateur de la dépense.

Arrêtons-nous un moment et examinons séparément ces deux opérations. Nous commencerons par la consommation des décomptes.

Nous avons vu que cette opération se faisait en comparant avec la revue, la déclaration de quittance qui doit être la copie littérale de l'état de paiement ordonnancé et quittancé, resté entre les mains du payeur pour être envoyé à la Cour des comptes. Je dis que cette déclaration de quit

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