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du temps, langage de la conversation, dit M. Nisard, toutes ces parties de la comédie sont dans le Menteur, les unes esquissées, les autres déjà en perfection. C'est pourtant moins un modèle qu'une indication supérieure de la vraie comédie... Les personnages sont moins des caractères que des rôles; il fallait en faire des caractères. Les situations sont le plus souvent des inventions arbitraires; il fallait y substituer des événements naturels. Les mœurs n'y sont pas plus françaises qu'espagnoles; il fallait les remplacer par des peintures de la société française. Enfin, à un langage qui n'appartient pas en propre aux personnages, qui vise au trait et que gâtait un reste de pointes imitées de l'italien, il fallait substituer la conversation de gens exprimant naïvement leurs sentiments et leurs pensées et n'ayant d'esprit que le leur; il fallait, en un mot, plus observer qu'imaginer, plus trouver qu'inventer, et recevoir des mains du public les originaux qu'il offrait au pinceau du peintre.

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La comédie, après une longue suite d'épreuves, approchait de la maturité et de la perfection. Tout était prêt; les luttes étaient apaisées, les traditions réconciliées laissaient subsister et les qualités naturelles de l'esprit national et les qualités acquises par l'étude. Qui allait profiter du long travail accompli et résumer les efforts de si nombreux devanciers? Qui s'élancerait dans l'espace libre et y ferait la première moisson? En voyant ce que devenait la tragédie aux mains du grand Corneille, on pouvait prévoir que la comédie ne serait pas déshéritée et qu'elle allait avoir à son tour son génie spécial, son souverain représentant.

En même temps, le théâtre était entouré de plus d'honneur qu'il ne l'avait été depuis le moyen âge. Le roi Louis XIII

prescrivait, par une ordonnance de 1641, que désormais <«<leur profession ne fût plus imputée à blâme aux comédiens et ne préjudiciât pas à leur réputation dans le commerce public ». Cette ordonnance ne pouvait sans doute abolir d'un seul coup les préjugés; mais elle prouvait un progrès dans les mœurs et était, comme on dit, un signe du temps. L'auteur du Cid, à qui il était permis de revendiquer une si grande part dans ce mouvement de rénovation et de réhabilitation de la scène, avait fait dire à l'un des personnages d'une pièce qui jouit d'une longue vogue (1):

A présent le théâtre

Est en un point si haut que chacun l'idolâtre;
Et ce que votre temps voyoit avec mépris
Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits,
L'entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple et le plaisir des grands;
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps:
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde
Trouvent, dans les douceurs d'un spectacle si beau,
De quoi se délasser d'un si pesant fardeau.
Même notre grand roi, ce foudre de la guerre,

Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,
Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l'œil et l'oreille au théâtre françois.
C'est là que le Parnasse étale ses merveilles;
Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles;
Et tous ceux qu'Apollon voit d'un meilleur regard
De leurs doctes travaux lui donnent quelque part.

(1) L'Illusion comique, dont les représentations furent très nombreuses, de 1636 à 1660. On trouverait beaucoup d'autres témoignages non moins expressifs que celui que nous empruntons à cette comédie.

A quoi un autre personnage, converti à ces nouveaux sen

timents, répondait :

J'ai cru la comédie au point où je l'ai vue;

J'en ignorois l'éclat, l'utilité, l'appas,

Et la blåmois ainsi, ne la connoissant pas;

Mais, depuis vos discours, mon cœur plein d'allégresse

A banni cette erreur...

Un peu plus d'un an après l'apparition du Menteur, il se fonda à Paris une association de jeunes gens pour jouer la comédie en rivalité avec les deux grands théâtres de l'hôtel de Bourgogne et du Marais. Cette troupe, qui s'intitula l'Illustre Théâtre, donna, pendant les années 1644 et 1645, des représentations au faubourg Saint-Germain et au port Saint-Paul. C'est dans cette troupe que s'enrôla un jeune homme de vingt et un ans, Jean-Baptiste Poquelin, qui, en se faisant acteur, prit le nom de MOLIÈRE. En lui allait se réaliser le type, non surpassé ni égalé, de l'auteur comique.

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Jean-Baptiste Poquelin fut baptisé le 15 janvier 1622. Voici la teneur de l'acte de baptême de Molière, inscrit sur les registres de la paroisse Saint-Eustache, et découvert par M. Beffara en 1821:

Du samedi, 15 janvier 1622, fut baptisé Jean, fils de Jean Pouguelin, tapissier, et de Marie Cresé (lisez Cressé), sa femme, demeurant rue Saint-Honoré; le parrain, Jean Pouguelin, porteur de grains; la marraine, Denise Lescacheux, veuve de feu Sébastien Asselin, vivant marchand tapissier.

Le parrain, Jean Pouguelin, était aïeul paternel de Molière. Le véritable nom de cette famille était POQUELIN; mais les registres de l'état civil portent tantôt Pouguelin, et tantôt Pocquelin, Poguelin, Poquelin, Pocquelin, et même Poclin, Poclain et Pauquelin.

On remarque que l'acte de baptême ne porte que le nom de Jean, et non celui de Jean-Baptiste. Un second fils, né en 1624, ayant été baptisé sous le nom de Jean, qui était particulièrement en usage dans la famille Poquelin, le fils aîné adopta et porta tout naturellement le nom du premier saint Jean, qui est Jean-Baptiste.

Il était né dans une maison de la rue Saint-Honoré, au coin de la rue des Vieilles-Étuves. La maison où il vit le jour s'appelait la maison ou le pavillon des Singes. C'était une construction très ancienne, spécimen curieux du vieux Paris, remarquable par un poteau cornier ou longue poutre sculptée représentant des singes grimpant le long d'un oranger pour en atteindre les fruits. Démolie. au mois de nivôse an X (1802), elle fut reconstruite après avoir subi un retrait d'alignement considérable: elle porte aujourd'hui le n° 96 de la rue, et au mois d'octobre 1876 on a placé sur sa façade une plaque de marbre noir portant l'inscription suivante: « Cette maison a été construite sur l'emplacement de celle où est né Molière le 15 janvier 1622. »

Les actes de fiançailles et de mariage de Jean Poquelin, le père de Molière, sont des 25 et 27 avril 1621. Leur contrat de mariage est. antérieur de deux mois, du 22 février. Du 27 avril au 15 janvier, où Molière est né au plus tard, puisqu'il fut baptisé ce jour-là, on compte huit mois et dix-huit jours. « Ce n'est pas le seul signe de précocité qu'ait donné celui qui sera Molière, dit M. Loiseleur, mais c'est assurément le premier. »

Jean Poquelin, marchand tapissier, occupait un rang honorable dans la bourgeoisie parisienne. Plusieurs membres de cette famille avaient fourni des juges et des consuls à la ville de Paris. En 1631, Jean Poquelin succéda à la charge de tapissier valet de chambre du roi, qui était déjà dans la maison. Jean Poquelin devint tapissier ordinaire de la maison du roi le 2 avril 1631, par la résignation de son frère, Nicolas Poquelin. Le titre de valet de chambre n'était pas encore attaché à cet emploi. La transaction ne fut définitive qu'en 1637. C'était là un de ces offices de cour qui s'achetaient moyennant finance et se transmettaient presque héréditairement. Les huit tapis

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